J’ai un furisode à la maison, un kimono à manches longues porté par les jeunes filles en fleur pour symboliser la jeunesse. Il est aussi de coutume de s'en vêtir dans les mariages japonais. C'est un cadeau que ma mère m'a offert pour mes vingt-et-un ans, et je dois dire que c’est l’une des plus belles choses qu’elle ait pu m’offrir. Il est en satin blanc, décoré de phénix dorés aux ailes pourpres qui s’envolent depuis le bas du kimono jusqu’aux manches.
Quand je l’ai essayé pour la première fois, je l’ai porté avec un obi rouge orné de carpes vertes et jaunes. L’ensemble me semblait parfait, et après m’être pavanée dans la rue, je suis rentrée à la maison pour me préparer en vue d'une session photos dans le jardin.
Mais alors que je me coiffais devant le miroir de ma chambre, j’ai remarqué qu'une tache se trouvait près de l'encolure du furisode, un petit point brun foncé qui se démarquait sur le blanc. J’ai essayé de l’enlever en frottant délicatement le satin avec mon pouce humidifié de salive, mais évidemment, la tache n’est pas partie. Au contraire, les choses ont empiré, l'humidité n'ayant aidé à rien d'autre qu'à l'étaler. Par contre, la tache brune devait être récente, parce qu’en regardant si c'était la seule, j'en ai repéré une autre sur mon obi, en plein sur la queue jaune de l’un des poissons. Immédiatement, je suis allée dans la salle de bain pour la nettoyer, mais rien n’y a fait. Avec l'eau, les taches semblaient juste s’étendre davantage. Horrifiée à l’idée que le tissu reste souillé, j’ai abandonné la prise de photos pour enlever l’ensemble et l’emmener au pressing.
Trois jours plus tard, j’ai pu récupérer le furisode et l’obi. Les employés avaient fait un travail de pro, puisque les tâches avaient disparu, et le satin semblait plus doux et brillant que jamais.
J’étais assez contente du résultat, et je pensais que mes mésaventures allaient s’arrêter là. Mais le soir même, à peine après m’être couchée, tournée contre le mur, j’ai entendu du bruit derrière moi. C’était léger, presque inaudible, comme le bruit d’une étoffe qui frotte contre le sol. Je précise que je vis seule dans mon appart'.
Je ne me suis pas retournée, pas tout de suite en tout cas. D’abord, je me suis mise à réfléchir à ce que je devais faire. Si quelqu’un était dans la pièce, je ne pouvais pas rester immobile à attendre que quelque chose ne m’arrive. Prenant mon courage à deux mains, j’ai saisi mon portable pour le mettre en mode lampe-torche, et me suis brusquement jetée hors du lit, avant de me ruer sur l'interrupteur pour éclairer la chambre.
Il n’y avait rien.
J’ai vérifié chaque pièce, mais personne ne semblait s’être introduit chez moi. En revanche, le furisode n’était plus rangé dans mon placard, mais posé sur la chaise devant le miroir de ma chambre, comme si quelqu’un l’avait porté, s’était assis, et l’avait enlevé avant de s'en aller.
Je l’ai rangé, tout en sachant que quelque chose d’étrange venait de se passer, quelque chose que je ne pouvais pas expliquer de manière rationnelle. Tout ce à quoi je pouvais penser, c'était qu’un fantôme était venu porter le furisode, avant de disparaître quand il m'a entendue arriver, aussi absurde était-ce. .
La nuit suivante, j’ai fait attention à me coucher de façon à voir l'intégralité de la pièce. Depuis mon lit, j’avais une pleine vue sur le reste de ma chambre, et je pouvais voir la chaise devant mon miroir. Je n’ai jamais aimé dormir devant celui-ci, je n’aime pas voir mon reflet la nuit. Ça me donne l'impression qu'il y a quelqu'un en face de moi. Mais cette fois, j’ai pris sur moi pour essayer de surprendre mon fantôme.
J’ai attendu, mais la nuit est passée sans aucune manifestation de sa part.
Je crois qu’il a fallu environ un mois avant qu’il ne se passe de nouveau quelque chose. J’avais décidé de porter de nouveau l’ensemble, mais je n’arrivais pas à retrouver mon obi, même en cherchant dans tous les placards. Pour tout dire, j’avais même pensé l’avoir oublié au pressing quand je l’avais amené, mais lorsque je suis allée les voir, ils m’ont confirmé le fait que je l’avais bien récupéré en me montrant le ticket.
J’étais un peu agacée, cet obi était aussi un cadeau de ma mère et je ne savais pas comment faire pour lui dire que je l’avais perdu. Mais ce soir-là, quand je suis rentrée à l’appart' après être passée au pressing, l’obi était là, sagement posé sur le furisode que j’avais étendu sur mon lit. Je me souviens m’être pétrifiée en le voyant, sachant très bien malgré mon soulagement qu’il n’était pas là avant que je ne sorte. Maintenant, la présence du fantôme me semblait confirmée.
À partir de ce moment-là, j’ai essayé de rentrer en contact avec lui. Je parlais à voix haute, comme s’il me comprenait ou m’entendait. Je prenais soin du furisode, je ne le rangeais plus dans l’armoire, mais j’essayais de le tendre sur un portemanteau pour kimono à la japonaise. L’achat en valait la peine à mes yeux, et j’accrochais le vêtement à un endroit où le soleil ne pouvait pas venir le brûler tout en le protégeant sous une énorme housse en plastique, afin de pouvoir le contempler. Il était un peu exposé à la manière d'une œuvre d’art, et pour sublimer le tout, j’ai accroché l’obi sur un autre petit portemanteau, classique celui-là, qui tenait parfaitement sur le japonais, placé à l’une de ses extrémités.
Je dois dire que je suis assez fière de moi pour cette installation qui est toujours en place, mais depuis quelques temps, je n’ose plus porter le furisode. La dernière fois que je l’ai fait, il y a maintenant deux semaines, j’ai…
En fait, je fais de la calligraphie, et comme je me suis dit que le fantôme devait forcément être japonais, j’ai essayé d’écrire des kanjis sans vraiment savoir ce que je faisais à l’aide de Google traduction. J’ai laissé en vrac mes quelques feuilles griffonnées sur le bureau et, décidée à faire des photos vêtue du furisode, je m’en suis habillée avec l’obi avant de partir pour la session. À mon retour, tout semblait normal, et j’étais très contente du travail du photographe. Je me suis déshabillée en mettant tout en plan sur le lit, et ai mis une tenue plus confortable, Mais pendant que je me démaquillais dans la salle de bain, j’ai entendu un bruit d'objet qui tombe en provenance de mon espace de travail.
Je suis aussitôt allée voir ce que c’était, pour m'apercevoir que mon encre de Chine était tombée. Il y en avait partout sur mon bureau et sur le sol, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus choquée. Non. Ce qui m’a glacé le sang, c’est de retrouver l'une de mes notes couverte d’empreintes.
On aurait dit que quelqu’un s’était acharné à déverser sa colère sur cette feuille. Étrangement, c’était celle où j’avais essayé d’écrire quelque chose qui m’était venu en tête à un moment où j’étais d’humeur un peu sombre : « Il y a deux raisons de vivre, pour effacer son âme ou la détruire. »
Je ne sais pas si c’était la façon qu'avait le fantôme de me dire qu’il n’était pas d’accord avec mon idée du moment. Mais personnellement, je voyais cet acte de dégradation comme l'expression d'un mécontentement par rapport au fait que j’avais osé porter à nouveau le furisode, malgré ce que je supposais être les avertissements de son ancienne propriétaire.
Depuis, je ne l’ai plus porté, il reste en exposition sur son porte-kimono. De toute façon, même si je voulais le porter, je ne pourrais pas car je ne retrouve plus mon obi. À la différence de la dernière fois, je ne le cherche pas. Je sais qui doit le cacher, et même si j’ai envie d’en savoir plus à son sujet, j’ai peur de me frotter à elle, la violence de sa dernière manifestation n'aidant pas.
Malgré tout, je n’ose pas me séparer du furisode, il s’agit pour moi d’une preuve qu’une vie après la mort existe. L’abandonner signifierait que je ne serai pas capable de faire face à une telle révélation, car depuis, je vis ma vie autrement. Je me sens libre face à la mort.
Je compte toujours essayer de communiquer avec ce fantôme. Je sais que ce ne sera pas facile sans le provoquer grâce au kimono puisqu’il ne se manifeste que lorsque j’y touche, mais j’ai envie de mettre en place une relation cordiale entre lui et moi. Quelque chose qui me permettrait d’en savoir plus sur l’au-delà, et peut-être que j’y parviendrai. Quitte à en faire potentiellement les frais, car je suis confiante, et compte garder ce furisode jusqu’à la fin de mes jours.
Edit :
Cela fait quatre jours que j’ai envoyé cette réponse à la question : « Avez-vous déjà été témoin d'expériences surnaturelles ou paranormales ?
»
J’ai essayé de faire selon vos conseils, et je n’aurais jamais dû les suivre. J’ai posé le furisode sur la chaise devant le miroir à deux heures du matin avec la note que le fantôme a barbouillée, comme vous me l'avez indiqué, et depuis, j’entends systématiquement le bruit de l’étoffe la nuit. Ça ne me dérangeait pas plus que ça, du moins jusqu'à maintenant. Ce matin, j’ai retrouvé l'obi sous mon lit, éclaboussé de taches brunes qui mouchetaient le sol tout autour. Je ne sais pas pourquoi le fantôme a réagi comme ça, mais je commence à hésiter à garder le furisode. Est-ce que vous savez comment parler avec les morts tout en restant en sécurité ? Je m’inquiète un peu…
Edit 2 :
Vous vous êtes moqués de moi. C’est devenu pire. Je retrouve des taches sur tous mes vêtements ces temps-ci, et quand j’ai remis le furisode sur son porte-kimono l'autre jour, une odeur épouvantable s’en est dégagée, comme si quelque chose était en train de pourrir à l’intérieur. Ce matin, je me suis réveillée en faisant face au miroir et j’ai cru y voir quelque chose d'autre que moi. Ce qui se passe dépasse mes compétences, mais je ne pourrai jamais me débarrasser du furisode… Quelque chose m’en empêche, je me sens en colère contre moi-même dès que j’y pense. C’est peut-être parce que ce serait humiliant pour moi de me laisser intimider par quelque chose qui me voudrait du mal. Alors, je refuse de le jeter. Ce furisode est à moi et il le restera.
Ce fantôme pourra essayer ce qu’il veut, ça ne marchera pas, je ne me laisserai pas faire. Et n’essayez pas non plus de me dire de me débarrasser de l'objet, vous ne l’aurez pas.
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