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Un jour, mon grand-père m'a raconté une histoire dont je me souviendrais toute ma vie. J'avais 11 ans, et ce n'était clairement pas quelque chose à raconter à un enfant de cet âge-là. C'est une histoire aux racines perturbantes et au dénouement morbide. Mon grand-père en a vécu le début, j'ai assisté à sa fin.
Il est né en Espagne, vers la fin des années 20. À l'époque où tout a commencé, il avait dix ans. Le village qui l'a vu naitre était perdu dans le maquis. Il n'y avait pas beaucoup de passages à l'époque et encore moins maintenant, étant donné que le village a été depuis abandonné. Il n'était situé sur aucun grand axe routier, n'était proche d'aucune grande ville. C'était un endroit triste, un endroit où venaient mourir les rêves et ambitions des enfants, étouffés par les traditions et l'isolement presque total.
Mais parmi eux, il y en avait un qui ne voyait pas les choses du même œil. Son père le destinait comme beaucoup d'autres au village, à lui succéder comme vigneron. Mais le garçon se rêvait flûtiste dans un grand orchestre. Il se voyait jouer devant des centaines de personnes à Madrid ou encore à Barcelone. Il avait ce rêve en lui depuis qu'il avait déniché une vieille flûte en bois dans son grenier. Un instrument tellement abîmé que l’enfant s'était étonné d'en tirer un son la première fois qu'il avait soufflé dedans. Son père ne voyait pas ce nouveau passe-temps d'un bon œil car tout le temps que passait son fils à extirper des sons de son instrument ridicule, c'était du temps perdu. Il aurait dû à la place apprendre les différentes techniques de la coupe du raisin ou encore les méthodes de levage, d'agrafage. Et puis, comment un artiste sans-le-sou pourrait-il s'occuper de son père lorsque celui-ci serait immanquablement rattrapé par l'âge ?
Se dissimulant au regard désapprobateur de son père, le garçon commença à jouer en cachette. Mais au village, les murs avaient des oreilles et le son distinctif de sa flûte ne passait pas inaperçu. Alors, lorsque l'envie lui en prenait, il laissait les petites maisons de pierre derrière lui et s'enfonçait dans la garrigue. Il marchait longtemps, passant ravins et crevasses, montant et dévalant les collines. Il ne s'arrêtait que lorsqu'il arrivait à sa cachette. Devant la grande pierre.
C'était un énorme morceau de roc rougeâtre, semblant avoir été déposé là par une main divine et gigantesque. Le garçon s'asseyait toujours sur la même vieille souche d'arbre et après avoir regardé par-dessus son épaule, il jouait de sa flûte sans se soucier de savoir si on l'écoutait ou pas. Les premiers temps, les notes étaient hésitantes. Les sons qui sortaient du petit instrument de bois étaient stridents et tremblants. Mais plus l'enfant venait s'asseoir face à la pierre, plus les jours passaient, et mieux il jouait de sa petite flûte. Il arriva bientôt à créer des mélodies de plus en plus complexes. Un jour, alors qu'il jouait comme à son habitude, un corbeau noir comme la nuit vint se poser sur la grande pierre. L'enfant s'arrêta de jouer et observa le volatile. Cette fois-ci, le garçon avait un public. Il se remit donc à jouer et à la fin de son récital, salua bien bas le corbeau avant de s'en aller.
Alors qu'au village on parlait de guerre civile et de disparitions, le garçon passait tous ses après-midis assis sur la souche, devant la grande pierre. Le corbeau était toujours au rendez-vous pour assister au spectacle. Le petit jouait pour lui comme s'il s'agissait du président en personne et bientôt, un second corbeau vint se poser aux côtés du premier. Puis un troisième, suivi d'un quatrième. Au bout de plusieurs semaines, pas moins de quarante corbeaux venaient tous les jours se poser sur la grande pierre. Il arrivait même parfois que les volatiles arrivent avant lui. Le garçon entrait donc sur scène, saluant son auditoire.
Mais avec le temps, ses concerts se firent plus rares. Son père en effet, interdit l'enfant de sortir en fin d'après-midi et lui intima l'ordre de rester loin de la grande pierre rouge. Puis finalement, lui interdit de sortir tout court. Des gens disparaissaient au village. Le boulanger s'était volatilisé, suivi du meunier. Des gens qui parlaient trop fort, d'après le père du garçon. D'autres habitants étaient partis sans explications. Des gens respectables, pourtant bien établis dans le village, déménageaient du jour au lendemain.
Le doux son de la flûte, les mélodies, le grand air, tout ceci vint à manquer à l'enfant qui se morfondait à la fenêtre. C'est ainsi qu'un mois plus tard, alors que d'autres villageois avaient encore disparu, le petit garçon profita du lourd sommeil de son père pour s'éclipser. La nuit tombait doucement et beaucoup de maisons étaient maintenant inoccupées.
On raconte qu'arrivé non loin de la grande pierre, le garçon vit de la lumière et des centaines de corbeaux volant en cercle autour de l'endroit. Les habitants qui vivaient encore au village, bien que peu nombreux, racontèrent avoir entendu un bruit terrible et sec. Comme un coup de fouet titanesque qui résonna dans toute la vallée. On raconta aussi qu'une odeur atroce put être sentie dans tout le village, jusqu'à l'intérieur des maisons. L'enfant, quoi qu'il advînt de lui, ne revint jamais de sa promenade au crépuscule.
Mon grand-père a toujours assuré que ce petit garçon était son frère, même si mon père était certain qu'il n'avait pas connaissance d'un oncle mort étant enfant. Et pendant une longue période de ma vie, je me suis demandé pourquoi il m'avait raconté cette histoire alors que j'étais si jeune. Peut-être était-ce une sorte de conte à morale, pour me mettre dans la tête l’idée de ne pas trop m'éloigner de la maison. En tout cas, elle avait fait son effet. Je ne sortais jamais seul très longtemps et toujours dans les environs de la propriété.
Je l'ai par la suite presque oubliée, jusqu'à la mort de mon grand-père. Par curiosité, je me suis renseigné sur son village natal. Je n'ai rien trouvé qui parlait d'une légende d'enfant jouant de la flûte aux corbeaux. Mais j'ai découvert quelque chose de beaucoup plus triste. Le village, à l'époque où mon grand-père y était enfant, s'était retrouvé tiraillé par la guerre civile espagnole. Beaucoup d'habitants ne soutenaient pas le régime franquiste et certains même le revendiquaient ouvertement. Les troupes nationalistes stationnées dans la région faisaient régulièrement des descentes au village pour emmener les habitants qui affichaient avec trop de conviction leur soutien aux républicains, les soupçonnant de leur apporter de l'aide dans leur déroute.
Les descendants des disparus ont longtemps ignoré le sort de leurs aïeux. Ils s'étaient volatilisés, sans laisser de trace, emportés par les fascistes. Avaient-ils été emmenés dans des camps de concentration ? Avaient-ils été fusillés ? Où étaient leurs corps ? Des questions qui restèrent longtemps sans réponses. Mais il y a quelques années, ces familles se sont réunies pour pousser le gouvernement espagnol à se pencher sur leur cas. Les recherches qu'ils ont menées leur ont permis de découvrir une fosse commune, non loin d'une immense pierre rouge, dans laquelle se trouvaient 28 corps, calcinés pour la plupart. Tous abattus d'une balle dans la tête ou la nuque.
Il n'y avait qu'un seul cadavre dont les os étaient restés intacts. D'après les enquêteurs, il avait été tué bien après les autres et n'avait pas été brûlé comme eux. C'était un squelette d'enfant présentant lui aussi la marque d'une balle, placée entre les deux yeux. Ce qui a définitivement fini par me persuader de la véracité de l'histoire de mon grand-père, c'était l'objet que tenait l'enfant, dans sa main toujours serrée.
Une petite flûte en bois.
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J'ai l'impression que je l'ai déjà lue, celle-ci. Bien écrite et efficace, avec un cadre historique peu exploité, mais vraiment plus triste que creepy.
RépondreSupprimerNormal c'est une déchronologie estivale. Les D.E tous les ans au mois d'août c'est des mises à l'honneur de vieux textes jusqu'à la rentrée
SupprimerAh oui j'avais même pas capté que c'était encore les déchronologies estivales XD
RépondreSupprimerJ,ente.d de la flute alors que il y en a pas
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