J'ai quitté mon insouciance et mon ignorance des
vérités premières par un soir ordinaire, où avec ma tendre épouse nous
regardions dehors, assis côte à côte comme de jeunes amoureux, la vie
qui suivait son cours. Nous voyions beaucoup de choses chez les voisins:
disputes et séparations nous amusaient; nous rêvions en espionnant les
paisibles repas qu'on servait à une famille unie et heureuse. Ça,
c'étaient les immeubles d'habitations...
Il y avait à côté un
immeuble de bureaux, dont l'intérêt était évidemment bien moindre. Voir
travailler les gens n'a rien de très distrayant, en particulier quand,
comme moi, on n'accomplit jamais que des tâches ingrates et répétitives.
C'est ce qui aurait dû être; mais le hasard fit que mon regard croisa
quelque chose d'étrange: une silhouette bizarre et immobile se tenait
près d'une fenêtre du dernier étage. Ma femme aperçut mon trouble, et je
lui montrai du doigt.
"C'est juste un portemanteau", me rassura-t-elle en riant
"Oui, oui, juste un portemanteau."
J'étais fait.
Aujourd'hui
je suis resté quelques temps à la fenêtre. La créature était toujours
là, inerte comme l'objet qu'elle prétendait être. Ma femme me surprit
dans ma contemplation: cette fois-ci, il y avait dans sa voix un accent
d'inquiétude réprimée. C'était bien compréhensible, je m'en rends compte
à présent.
"Allons, lève-toi. C'est l'heure d'aller bosser."
La
journée, l'image du monstre ne me quitta pas. Mon chef, apercevant ma
rêverie, me somma de reprendre le travail; mais comme, malgré son
insistance, je ne parvenais pas à me concentrer sur ma besogne, il en
vint, la mort dans l'âme, à me donner deux jours de repos. Je me rends
compte après coup à quel point je devais paraître mal en point pour
qu'il en arrive à cette extrémité.
J'avais donc la journée pour
surprendre les mouvements du monstre. Ses multiples têtes étaient
toujours immobiles, mais je savais très bien que c'était pour mettre ma
patience à l'épreuve. Ce coup-ci mon épouse, de plus en plus inquiète,
me jeta en silence des regards anxieux. Elle ne pouvait rester auprès de
moi, elle aussi avait à faire, alors elle me laissa un plein tube
d'aspirine et l'eau pour la dissoudre. Ses gestes étaient tremblants,
mais je m'en aperçus à peine.
En regardant longtemps, je pouvais
percevoir des mouvements minuscules et patients, obscurément coordonnés;
un trouble vague m'envahit: il n'y avait plus guère de doute.
Le
soir, je rassemblai mes forces, me relevai et vins me coucher auprès de
ma femme. Une irrépressible envie de retourner voir me tirailla toute
la nuit, mais je tins bon. Je tins bon jusqu'à six heures, heure à
laquelle je me glissai discrètement hors des draps et me jetai dans le
bleu du petit matin...
Tout en sueur, je vins m'asseoir à ma place; mais mon regard se figea en constatant que la bête n'était plus à la sienne...
Pris
de panique, tous les sons du logis me paraissaient grossis. Il y avait
des craquements partout, des grattements dans les murs, des bris de voix
au-dessus...
Et la rumeur insistante d'une chose progressant
lentement dans le couloir, ses milliers de petites pattes se posant
l'une après l'autre sur le parquet dans un tic-tic d'une horrible
légèreté. Une odeur infecte ne tarda pas à envahir la pièce, et je me
figurai le corps mince, le grouillement de ses noirs appendices, les
grêles antennes fouettant l'air...
Mais je ne le vis pas. Un pas
survint derrière lui, et il s'effaça je ne sais où; c'est ma femme qui
apparut. En me voyant ainsi suant, suffoquant, le regard d'une bête
traquée, son inquiétude grandit encore. La mienne atteignit son
paroxysme lorsque je constatai que le portemanteau était de nouveau à la
fenêtre. Mon épouse, prise par son travail, me quitta encore plus
anxieuse, en me promettant de revenir vite. Pour ma part, je ruminais de
sombres pensées.
Cette chose m'en voulait, ce fait
m'apparaissait clairement à présent. Nous étions engagés dans une lutte à
mort; il me fallait la vaincre, ou c'est elle qui me vaincrait. Je fus
pris d'une ferme résolution comme ces pensées me venaient: ce soir même,
j'irais découdre la bête et retrouver ma quiétude. Pour l'occasion,
j'exhumai mon antique revolver, qui me répugnait mais que je gardais en
cas de besoin.
Tout était clair, net, précis: je savais
exactement ce que j'avais à faire. La porte de l'immeuble ne me résista
guère longtemps, ni aucune autre par la suite, et je montai résolument
au dernier étage. Arrivé là, une grande peur me serra la gorge, mais mes
forces ne m'avaient pas abandonné. Le couloir était obscur, des choses
semblaient se mouvoir dans l'ombre en silence. Des craquements
métalliques m'indiquèrent que j'étais à la bonne porte...
Je
poussai lentement le battant, ma main crispée sur mon arme. Une odeur
nauséabonde régnait dans la salle. Il était là, tapi dans un coin,
diabolique, ses milliers de bras grouillant sous sa tunique sombre...
Ces mouvements... Ces poils collants fendant l'air avec une grâce
abjecte...
Je tirai. Une flaque noire s'étendit à ses pieds, et
une puanteur abominable me fit suffoquer. Je me sentis perdre conscience
comme l'odeur inondait mes poumons...
Alessandro J. a
été interpellé dans un immeuble d'affaires après qu'on y ait entendu un
coup de feu. On l'a trouvé étendu, un pistolet à la main. Déclaré fou,
il est actuellement interné dans un hôpital psychiatrique de Thuringe.
Détail secondaire, on ne retrouva jamais le portemanteau qu'il prétendit avoir abattu.
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L'équipe de Creepypasta from the Crypt n'affirme ni n'infirme la véracité des témoignages et histoires présents sur ce blog. Pensez à consulter nos pages d'aide pour en apprendre plus, et à toujours vérifier les sources pour vous faire votre propre avis sur la question, ici comme ailleurs.
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lundi 25 mars 2013
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J'adore cette pasta !
RépondreSupprimerQu'elle drole d'histoire :x -Taylor
RépondreSupprimerC'est trop bien !! **
RépondreSupprimerPas mal, elle est bien racontée.
RépondreSupprimerTres originale , elle m'a fait voyager
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerC'est particulier 🙂
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