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vendredi 30 décembre 2016

Three friends diner

À : Dr Jeremy Fuentes

Professeur d'Anthropologie Culturelle

Université de Californie, Berkeley


Jeremy –

J'imagine que tu as entendu parler de l'étrange découverte faite au 918, 3e rue Est. C'est un ancien entrepôt situé à l'angle de la 3e et de Weller Avenue, dans le quartier des arts du centre-ville de Los Angeles.

Actuellement le bâtiment subit quelques rénovations. 3 semaines auparavant, les ouvriers se sont aperçus d'une odeur nauséabonde dans la bâtisse, et  venant vraisemblablement de l'autre côté de ce qu'ils pensaient être un mur de brique porteur. Après de plus amples recherches, ils se sont rendus compte que les dimensions intérieures du bâtiment ne collaient pas avec les dimensions extérieurs. Il y avait en effet une pièce de 7m sur 9, dont l'existence reste inexpliquée. Une pièce secrète, pour ainsi dire ; elle est inaccessible, que ce soit de l'intérieur ou de l'extérieur du bâtiment. Elle a été trouvée à l'autre bout de la propriété, le long du mur formant le côté Ouest de l'avenue Weller.

Avec la permission du chef de chantier, les ouvriers ont abattu le mur pour pouvoir y accéder. Ils ont été aussitôt surpris par une écrasante puanteur de viande pourrissante avant d'y entrer, bandana sur le nez. Ils s'attendaient à trouver la pièce vide – après tout, la pièce a été emmurée et est restée inaccessible depuis au moins 20 ans.

Au lieu de ça, ils ont trouvé une belle caméra 16mm, réduite en miettes, ainsi que du matériel de tournage lui aussi détruit – des projecteurs fendus, des fonds déchirés, des c-stand pliés comme de vulgaires trombones, des peintures bon marché et des menus factices parsemaient le sol. Ainsi que trois corps.


Trois corps en décomposition, dans un état beaucoup trop dérangeant pour en donner une description – bien que le terme « à moitié dévorés » ait été lâché.

La façon dont l'équipement, ou les corps, se sont retrouvés là reste à découvrir. Les murs et le toit
n'ont pas été endommagés, et aucune trace d'un quelconque tunnel n'a été trouvée sous la dalle de béton du sol.

Cette étrange découverte a bouleversé l'intégralité du comté. À l'heure actuelle, personne ne peut expliquer comment 3 morts et tout un attirail de tournage ont pu apparaître de nulle part dans un espace emmuré.

Cependant, c'était d'autant plus choquant en ce qui me concerne, étant donné le contenu d'un récit manuscrit que m'a laissé une ancienne patiente.

Elle s'appelle Kathryn Soo. Elle a été internée de son plein gré, plusieurs mois auparavant, à l'Hôpital Psychiatrique de Marsdale, où je suis médecin de garde, puis a été libérée peu de temps avant la terrible découverte faite à l'ancien entrepôt. Je ne suis plus en contact avec la jeune femme. Cependant, je pense que tu trouveras son témoignage – dont ce que j'ai joint est une transcription – des plus fascinants.

Cordialement,


Dr Larry Schurr


*****




Témoignage de Katy Soo


01/05/2015,  Hôpital Psychiatrique de Marsdale


Juste pour information, tourner le film de Bella Cardone au Three Friends Diner n'était pas mon idée. Je lui ai dit que c'était sûrement une arnaque ; aucun restaurateur de Los Angeles avec un tant soit peu de cervelle ne nous aurait fait payer un si bon prix pour un endroit aussi photogénique. Je lui ai répété bien assez de fois que ça sentait mauvais.

J'avais raison. J'aimais avoir raison, avant.

Revenons un peu en arrière.

Je m'appelle Katy. J'ai 21 ans. J'étais en troisième année de licence à l'Université d'État de Californie à Northridge, à préparer ma maîtrise en administration des affaires et à étudier la production cinématographique. J'aimais passer les coups de fil, organiser, et remplir la paperasse que la plupart des étudiants détestent. Aussi, je me suis faite une modeste réputation d'experte en pré-production parmi mes camarades, mais aussi chez mes amis et connaissances d'autres écoles.

Bella Cardone était une de ces connaissances ; une étudiante italienne de 29 ans, rencontrée dans un pauvre festival de films d'horreur. Elle avait déjà travaillé pour une chaîne de télévision à Rome pour faire... des trucs, mais rêvait d'écrire et de réaliser pour Hollywood. Avec environ une douzaine d'autres personnes, la plupart étrangères, elle s'était inscrite un an et demi sur les deux ans du master à la New York Film Academy ; elle écrivait un script qui devait lui servir de mémoire universitaire, et m'a demandé de l'aider pour organiser la production de son film.

Son script parlait d'une artiste fauchée, travaillant en tant que serveuse, qui se fait larguer par son copain et qui a une crise existentielle dans laquelle elle s'imagine empoisonner et torturer ses clients, avec à son summum, des cut épileptiques la montrant se trancher les veines et se noyer dans l'océan.

Elle voyait un peu trop grand, le grand classique.


On avait besoin de bloquer 5 lieux : un appartement, une plage, un parc, quelque chose qui pourrait servir de cachot, et un restaurant. Pour la plage et le parc, c'était relativement facile, et une camarade de Bella était d'accord pour nous laisser utiliser son appartement au Nord d'Hollywood pour 2 jours. Sandeep, un autre camarade, assez réservé, m'a parlé avec discrétion d'une boutique SM avec un cachot aux sous-sols qu'ils louaient – rarement, cependant – pour des tournages. Je ne sais pas comment il s'est retrouvé familier avec ce genre d'endroit, et ne suis pas vraiment sûre de vouloir le savoir, mais ça répondait parfaitement à nos besoins. Ce qui ne laissait donc plus que le restaurant, ce qui reste compliqué pour des étudiants et cinéastes indépendants.

Alors quand j'ai trouvé un petit restaurant français à Encino sur Craiglist, pris contact avec le gérant, joué la carte de « l'étudiant fauché » si bien qu'il nous a accordé pour un petit peu plus de 400$ l'utilisation de son restaurant pour une nuit, j'étais prête à signer les papiers, prendre l'autorisation, et passer à autre chose. C'était 2 semaines avant que Bella n'organise le premier jour de tournage, et j'avais un million d'autres préoccupations – de l'assurance de responsabilité civile, en passant par la nourriture et aussi à demander aux élèves de premier cycle de nous donner un coup de main en tant qu'assistants techniques.

Bella en revanche, pensait que $400 pour une nuit était trop cher, et restait persuadée de pouvoir trouver mieux. Elle a donc posté elle-même l'annonce « Recherche restaurant pour film étudiant » sur Craigslist. J'avais déjà posté une annonce similaire trois semaines auparavant (c'est comme ça que j'ai trouvé le restaurant français à Encino), et Bella a reçu les même réponses des mêmes personnes que moi.

À une exception : un e-mail de gsjegjpdg@me.com, qu'elle m'a transféré. Voici ce que ça disait :

« LOCATN PS CHER pour etudints en cniema ! Restarant dsna la banlieu de Losangeles, 35 weller ave, 100 puor une jounrée. Rep nodez a cet email, la clef vuos sera envoyé, paiemnet le jour meme. Huere locale, 3 decmbr aprs-midi. »

Ça m'a tout de suite paru suspect. $100 pour une journée de tournage me paraissait un peu trop beau pour être vrai. L'orthographe, le manque de coordonnées, et le fait que lorsque j'essayais de répondre à l'e-mail je ne recevais rien d'autre qu'un message d'erreur, allait aussi dans ce sens. C'était tellement étrange que j'en ai gardé une copie.


Et puis il y a eu la clef.

La clef a été trouvée dans la boîte aux lettres de Bella, sur le campus, dans une enveloppe marron tachée, vierge de toute adresse. Et comme si ça n'était pas suffisamment glauque, elle était accompagnée d'une note où on avait griffonné – « clef puor 3 frends dinr. »

J'étais prête à voir ça comme une arnaque et on en aurait fini avec tout ça. Mais Bella pensait que nous devions au moins aller à l'adresse donnée et parler au gérant. Selon elle, si c'était vrai, le marché était trop bon pour passer à côté. Les films reviennent cher, et on était déjà en train de dépasser son budget. J'ai donc accepté d'y aller avec elle et Hamed Shirazi, le cadreur, au 35 Weller Avenue, qui se trouvait au beau milieu du quartier des arts.


Mon amour pour ce quartier est assez mitigé.

C'est un super endroit pour retrouver une amie dans son nouveau loft. Il y a quelques restaurants et peintures murales sympas, et le contraste crée par les poubelles taguées, les fils barbelés, et les files d'attentes malodorantes devant les locaux des services sociaux partageant le quartier avec des salles de yoga, des BMW et des magasins de souvenirs vendant à la criée des pulls pour bébé à 80 billets, reste ironiquement poétique. Mais les rues sont à sens unique et les parkings gratuits sont inexistants. J'ai ainsi tourné en rond pendant un bon quart d'heure avant de finalement laisser tomber et de me garer dans un parking à $10.

« Weller Avenue » n'était pas vraiment une rue, mais plus une allée – une courte, étroite allée sans issue qui se séparait de la 3e rue. Un grand immeuble en forme de « L » occupait les côtés Est et Nord de Weller. Visiblement c'était une boîte de nuit fermée en attente d'être reconvertie en galerie d'art. Les fenêtres condamnées étaient couvertes d'affiches déchirées et sales, qui montraient des spectacles déjà joués et des groupes depuis longtemps séparés, et des graffeurs (plutôt ceux affiliés aux gangs que ceux d'Arts Foundation) avaient trouvé leur chemin vers les murs vert marin et les bennes abandonnées dans un coin.

L'entrepôt, gris et miteux, qui marquait le côté Ouest de Weller, au  918 E, 3e rue, avait l'air complètement inoccupé. Un panneau pendait à une fenêtre ; visiblement l'édifice avait été racheté par l'East River Department, nom que je reconnaissais – mon père connaissait des gens qui avaient travaillé pour cette compagnie. Ils achètent de vieux immeubles commerciaux pour les transformer en appartements branchés hors de prix.

En revanche, ce que l'on voyait le plus était la peinture murale sur le mur Nord. Elle représentait la tête et le buste d'une femme, face inclinée vers l'Est. Elle avait la peau bronzée, des lèvres rouge-rubis, et ses cheveux flottaient en différentes teintes de bleu ; bleu pervenche aux pointes, s'assombrissant jusqu'à un bleu lavande foncé aux racines. Ses yeux étaient fermés. À l'arrière plan, plus loin derrière elle,  apparaissait ce qui semblait être une orangeraie. C'était une peinture magnifique, et bizarrement hypnotisante. Si on la regardait d'une certaine façon, elle paraissait jeune et innocente, avec un sourire timide. Alors que si on penchait la tête, ou plissait les yeux, des rides apparaissaient sur ses joues, et ses lèvres formaient alors une moue de dédain.


Je n'ai vu qu'une seule porte, menant à l'intérieur du bâtiment gris.

C'était une porte en mauvais état à la peinture écaillée, avec une poignée en laiton et une serrure. Pas de nom d'entreprise, ni de numéro de rue. Ça ne pouvait pas être le restaurant de Craigslist – Three Friends Diner, il me semble. Comment qui que ce soit aurait pu trouver l'endroit ? J'étais toujours en train de réfléchir quand Bella et Hamed m'ont trouvée.

Hamed a demandé, « Bordel, il est où ce restaurant ? » Je lui ai répondu qu'on était censés y être, en lui montrant notre localisation sur mon portable. On commençait à se demander si on se foutait pas de nous. Bella de son côté n'avait pas l'air très inquiète, elle fixait la peinture murale. «C'est beau, on peut filmer ? » J'ai haussé les épaules et lui ai dit qu'on risquait d'avoir des problèmes de copyright. De plus ça n'avait pas l'air d'être l'endroit où on allait filmer puisque nous n'étions pas devant un restaurant. Elle m'a regardé en fronçant les sourcils, a pris les clefs de son sac et a marché vers la porte en bois. « Ici ? » Je lui ai répondu que je ne pensais pas que ce soit ici, qu'il n'y avait ni panneau, ni rien. « Je veux dire, tu peux essayer, mais franchement je doute que cette clef rentre dans cette... » Et avant que je finisse ma phrase, elle a tourné la clef, puis la poignée. Avec un craquement, la porte s'était ouverte. Hamed et moi l'avons rejoint et, ensemble, on est entrés. J'entendais la main de Hamed parcourir le mur, et d'un coup la pièce s'est illuminée d'une chaude lumière dorée.


On se trouvait au Three Friends Diner. L'endroit était parfait.

C'était plus grand que ce que je pensais, rectangulaire, la cuisine ressortait du mur nord. Il y avait derrière la cuisine un petit corridor qui menait vers des sanitaires et une petite pièce qui pouvait servir de stockage à sec. Les murs étaient peints dans un rouge exceptionnel qui donnerait certainement un rendu magnifique sur pellicule, et les chaises, tables et box donnaient un beau contraste en noir et gris. Aussi une salière, une poivrière, une bouteille de ketchup vide, et un vase rempli de lys en plastique ornaient chaque table.

J'ai dit à Hamed – qui était en train d'examiner une série de vitraux - de ne pas trop s’enthousiasmer pour l'instant. « On ne sait pas encore combien de courant tu auras pour travailler » Il m'a joyeusement dit que c'est ce qui était génial. « Je n'ai même pas besoin de tant de courant que ça. Si on vient assez tôt et qu'on change toutes ces ampoules, je pourrai me servir des lampes. Et vraisemblablement cet endroit n'a pas encore ouvert, ce qui fait que je n'ai pas à partager l'alimentation avec quoi que ce soit. »

Il avait raison pour ça. Les congélateurs et réfrigérateurs étaient vides et débranchés, la pièce de stockage était vide, et il n'y avait ni assiette ni verre ni morceau de viande à trouver. C'était de toute évidence un nouveau restaurant, le petit dernier d'une longue liste qui s'est implantée ici ces trois dernières années avec la montée de richesse du quartier. Bien sûr qu'il était dur à trouver. Ça jette un air de mystère au restaurant ; l'impression d'exclusivité attire le follow sur Twitter.

Bella nous a annoncé qu'elle l'adorait. « Tu peux avoir le permis de filmer ? »

J'ai essayé de l'en dissuader. Quelque chose à propos du Three Friends Diner me rendait nerveuse, qui me dressait les cheveux de la nuque. Mais c'était exactement ce que Bella recherchait, et Hamed prévoyait déjà les séquences, et les cheveux de ma nuque n'avaient aucune chance devant un idéal de logistique splendide et peu coûteux. Le restaurant n'avait pas encore ouvert, ce qui voulait dire qu'on pouvait tourner de jour, décorer comme bon nous semblait et placer la caméra n'importe où sans risquer de déranger quelqu'un. Aussi, le 3 décembre – date que le mystérieux propriétaire a insisté pour que nous venions – était dans notre planning des 6 jours de tournage.

Bella m'a dit, « À cheval donné, on ne regarde pas en-dessous. »

Je pense qu'elle voulait dire, « À cheval donné, on ne regarde pas les dents. »

Cette expression est une référence au Cheval de Troie, donné en tant que gage de reddition par les Grecs durant la Guerre de Troie. Je ne sais pas pourquoi les gens continuent de la répéter. Parce que si les Troyens avait effectivement regardé dans la bouche du cheval de bois, l’Iliade aurait eu une tout autre fin.


Comme je l'ai dit avant, j'ai été forcée de me garer sur un parking à 10$. Et, comme par hasard, l'iPhone du gardien ne fonctionnait pas, donc je ne pouvais pas payer avec ma carte. Je n'avais pas de liquide ; le gardien m'a indiqué le chemin vers une supérette sur Alameda qui avait un distributeur. Il commençait à faire nuit, et je n'étais pas vraiment enchantée à l'idée de courir partout en centre-ville toute seule. Même si on était dans un quartier branché, Skid Row se trouvait à seulement quelques pâtés de maisons.

La supérette attirait l'attention comme une dent en or ; un petit bout de ce qu'était le quartier autrefois, coincé entre un café et un chantier. Un néon fissuré indiquait « Alameda Mart », le frigo à glaces était rempli de glaces à l'eau La Michoacana, et la caisse se situait derrière une vitre pare-balles. Je me suis engagé dans une bataille avec ce qui devait être le distributeur le plus lent de l'histoire, et j'étais si préoccupée à insulter mentalement l'écran et ses « chargements en cours » que je n'ai pas remarqué le seul autre client du magasin.

« Besoin de payer le parking ? »

Je me suis retournée. L'homme était de toute évidence un sans-abri – il portait un jean crasseux, une veste militaire tachée, et son visage tanné montrait le dur quotidien des jours passés sans savon.

J'ai acquiescé et souri.

« Vous êtes une touriste ? »

J'ai fait non de la tête, et lui ai dit que nous étions des étudiant en cinéma. « Mon amie va tourner dans ce restaurant sur Weller. »

J'ai directement douté quant à la sagesse de donner cette information. Je ne voulais pas qu'il se ramène et commence à faire la manche. Mais les traits de son visage barbu se sont affaissés, et le ton de sa voix était finalement plus celui d'une mise en garde.

Il a murmuré : « Il n'y a aucun restaurant sur Weller, il n'y a que Bessie. »

J'ai ri bêtement. «  Bessie ? »

Il a acquiescé, il m'a dit que c'était comme ça que les gens du coin l'appelaient. « Les anciens disent qu'elle peut faire changer, faire apparaître, disparaître des choses. »

Il a ajouté en se penchant vers moi, plissant les yeux et dans un murmure de conspiration, « Si j'étais vous, je resterais en dehors. Ils disent que tous les 20 ans, pour une journée, Bessie vient, et se nourrit. »


J'allais lui demander de détailler ; d'expliquer qui était « Bessie », pourquoi je devrais avoir peur. Mais juste après, le propriétaire du magasin a remarqué le sans-bri et lui a hurlé des mots que j'imagine ne pas être de politesse en espagnol. Le temps que je me retourne après que la machine ait finalement craché mes billets, il avait disparu.

Sur mon chemin pour aller au parking, j'ai dépassé Weller. La fille aux cheveux bleus était là où je l'avais laissée. Debout devant une orangeraie en deux dimensions, de trois quarts de profil, faisant face à l'ouest, en direction de la porte du Three Friends Diner, les yeux fermés. C'était elle « Bessie » ?

Puis, la peur m'a envahie comme une douche froide, et j'ai couru. J'ai piqué un sprint vers le gardien et je suis sortie aussi vite que je le pouvais. Quelque chose dans cette peinture murale m'a fait peur au plus profond de mon subconscient. À la moitié du trajet pour l'autoroute 405, j'ai trouvé ce qui clochait.

Elle – Bessie – tournait la tête du mauvais côté.


******


Les cinq premiers jours de tournage de Bella se passèrent étonnamment bien. Si bien qu'en arrivant au Three Friends Diner pour le 6ème et dernier jour, le 3 décembre, j'avais oublié ma peur pour cet endroit.

Hamed était déjà là depuis une heure, changeant les ampoules et déchargeant l'équipement avec Esteban l'éclairagiste et deux techniciens, Miguel et une nouvelle qui a dit s'appeler Andrea. Notre fourgon était garé devant, obstruant partiellement ma vue sur la peinture murale. Mais je pouvais dire que Bessie était orientée vers le Nord-Est, en direction de l'ancienne boîte de nuit. Tout comme elle l'était la première fois que je l'ai vue. Évidemment. Il faisait sombre la nuit d'avant, et j'avais dû me faire peur toute seule. J'avais dû voir des choses qui n'y étaient pas.

Je me suis frayé un chemin à travers les lampes et les c-stands, installé mon iPad sur une table libre, et travaillé sur l’emploi du temps des points de déchargement des équipements, tandis que les membres de l'équipe arrivaient un à un. J'ai entendu la voix de Katia au moins une minute avant qu'elle n'entre avec Bella. Bordel, cette fille était tellement bruyante. Travailleuse, aussi ; pas étonnant qu'elle soit une si bonne assistante de réalisation. Puis est arrivé Venna, la chef décoratrice, portant une grande boîte de photos encadrées venant d'un entrepôt d'accessoires et des menus qu'elle avait elle-même réalisés. Nairi, l'assistante caméra en chef, installait la Arri tandis que son larbin du jour chargeait le film. Ensuite deux autres équipes, Pete et Ryan, Kaylee et Michelle, les assistants techniques. Lisa, la scripte. Dante, le gars du son. Et enfin Ming, la maquilleuse.

Quand les acteurs sont arrivés, Hamed et les gars mettaient en place les lumières pour le plan d'ensemble, on a appelé Katia pour les derniers détails, puis on a poursuivi sur les gros plans. Les quatre premières heures étaient toutes aussi fluides et productives qu'on était en droit de l'espérer et, pour un court instant, on a apprécié l'idée de finir tôt. On était en avance d'une heure sur le planning quand on a fait une pause pour manger, tout le monde parlait, rigolait et passait un bon moment.


C'est là que les choses ont commencé à devenir bizarres.

Juste après avoir mangé, alors qu'on se rassemblait et qu'on résumait notre travail, une des assistantes techniques – Michelle – était partie aux toilettes.

Une minute après, on entendait un cri à glacer le sang.

Ryan a fait tomber un c-stand, et Nairi a failli faire tomber une lentille. Hamed et Esteban partait en direction des toilettes quand Michelle s'est mise à sprinter vers nous.

Elle hurlait en nous demandant qui était dans l'armoire de stockage. On s'est tous regardés. Elle nous a dit que c'était loin d'être drôle, qu'on l'avait fait tomber. Katia lui a demandé de quoi elle parlait, tandis que Michelle tremblait et semblait sur le point de pleurer.

Elle nous a dit, « Je suis allée aux toilettes, et j'ai entendu ce bruit sourd venant de l'armoire là-bas. Quelqu'un cognait à la porte.

Hamed lui a répondu qu'on n'avait rien entendu.

Michelle a répété que c'était comme si quelqu'un enfonçait la porte. « Et quand je l'ai ouverte, quelqu'un m'a percutée et a couru vers vous. »

Elle sanglotait. Hamed plissait les yeux et lui demandait si elle en était sûre. « Parce qu'on est tous là, et personne n'est venu en courant des toilettes.

Elle a insisté, en précisant qu'il portait un sweat à capuche noir. J'ai regardé si l'un de nous manquait. Négatif. Dix-sept membres de l'équipe, quatre acteurs. Et personne ne portait de sweat à capuche noir. Tous dans un restaurant qui ne comporte qu'une entrée.

J'ai demandé, assez bêtement, à Michelle si elle n'avait pas vu qui c'était.

Elle m'a crié qu'évidemment non. « C'est arrivé vraiment vite, j'ai juste vu un sweat à capuche noir, et une peau vraiment pâle. »

On n'a pas pu résoudre le mystère, et Michelle était vraiment secouée. Un des techniciens, Miguel, a proposé de la reconduire à Northbridge. Il disait qu'il devait y aller aussi, parce qu'il avait des cours l'après-midi. Mais c'était dur de ne pas remarquer le tremblement de sa voix et la moiteur de ses mains. Et soudainement Kaylee, l'autre technicienne, avait aussi des « cours » qu'elle avait oublié de mentionner, et a suivi le chemin des deux autres vers le campus.


Trois heures après cet incident, on a tout installé pour la dernière séquence dans la salle à manger avant de bouger vers la cuisine. Bien qu'on se soit accordés sans le dire sur le fait que Michelle cherchait soit de l'attention, soit fumait de l'herbe dans les toilettes, tout le monde était un peu à cran. Ce qui nous ralentissait.

Pour accélérer les choses, j'ai proposé mon aide à Venna pour meubler la cuisine. Elle avait apporté des planches à découper, des ustensiles, du pain, de la viande, et assez de produits indispensables aux restaurants pour faire d'une cuisine vide une office occupée. À un moment, elle a couru à sa voiture pour rapporter des assiettes qu'elle avait achetées à un magasin « Tout à 1$ ». De mon côté, je disposais les couteaux sur un râtelier. Pendant que je m'occupais de cette tâche, j'en ai accidentellement fait tomber un ; il a dérapé sur le sol et est parti se loger sous un gros réfrigérateur industriel. Je me suis mise à genoux pour l'atteindre et l'attraper. C'est à ce moment que j'ai entendu un crac derrière moi – une porte aux charnières résistantes s'ouvrait.

Je me suis redressée  et me suis retournée, toujours sur mes genoux. Un courant d'air froid m'a frappée au visage. Je me trouvais devant un congélateur ouvert, de la glace couvrait le derrière de la porte et les murs.


Il y avait des corps dans le congélateur.

De vieux corps en décomposition. La peau tannée, ridée, se détachait des os jaunâtres. Os qui étaient étrangement en très mauvais état, brisés, pulvérisés. De la moisissure verdâtre collait à ce qui restait des cerveaux au creux des crânes fendus. L'odeur putride de viande pourrie embaumait la cuisine.

J'ai fermé les yeux et j'ai crié. Et crié et crié et crié.


J'entendais la voix de Hamed, j'ai senti sa main sur mon bras qui me secouait. « Katy ! Il se passe quoi Katy ?! »

J'ai ouvert les yeux

Le congélateur était vide. Vide, et éteint.

J'ai levé les yeux pour voir Bella et Venna, qui se tenaient debout au-dessus de moi. Le reste de l'équipe était amassé autour de l'entrée de la cuisine ou regardait à travers la fenêtre qui nous séparait de la salle à manger.

J'ai bégayé que j'étais désolée, le cœur toujours emballé. « J'ai cru avoir vu un rat. J'ai ruiné une séquence ? »

Hamed a répondu que non, ils avaient fini. « T'es sûre que ça va ? »


J'ai hoché la tête. Je lui ai demandé si je pouvais lui parler, ainsi qu'à Bella et Katia dehors. Les trois ont accepté en silence. On a traversé la salle à manger alors que les autres installaient les lumières et la caméra dans la cuisine. Je devais leur dire. Nous devions partir. Maintenant. Quelqu'un... Quelque chose... essayait de nous faire comprendre que nous n'étions pas les bienvenus.

« J'ai cru voir... des choses mortes dans le congélateur. Il était allumé, il faisait froid, et il y avait cette odeur... »

Bella ouvrait grand les yeux, Hamed penchait la tête en fronçant les sourcils et Katia croisait les bras.

« Je veux dire, je sais que c'était qu'une hallucination. Mais ça faisait vrai, et je ne suis pas schizophrène, et ce qui s'est passé avec Michelle et... Je pense qu'on devrait partir. Il se passe quelque chose d'étrange ici. »

Je m'attendais à ce qu'ils se moquent de moi, ou me traitent comme une folle. Ils n'ont fait ni l'un ni l'autre.

Hamed a dit que cet endroit le faisait flipper lui aussi. « Pour commencer, où sont ces foutus propriétaires ? Qui donne la clef de son établissement à un étranger ? Soit ils ont un sérieux problème, soit ils ont d'autres motivations. » En baissant la voix, il a ajouté : « Et j'ai comme l'impression que quelqu'un nous regarde. »

Bella et Katia ont acquiescé, elles l'avaient senti aussi.

J'ai dit à Bella qu'on pourrait trouver un autre restaurant. « Tout ce qu'il nous faut c'est une cuisine – on peut facilement tricher pour que ça ressemble au même endroit. »

Hamed a ajouté qu'il ferait tout ce qu'elle voudrait qu'il fasse, mais qu'il faudrait envisager de ranger plus tôt.

Bella a regardé Katia, puis Hamed, puis moi. « On attend une heure. S'il ne se passe rien, on filme. »


On a décidé de ne rien dire ni à l'équipe, ni à l'actrice qui restait, à propos de l'accord que nous avions passé, de peur qu'ils paniquent, faisant une grosse histoire pour ce qui n'était sûrement que l'effet de l'obscurité sur une grande ville. Mais plusieurs d'entre eux étaient indéniablement apeurés et cherchaient une excuse pour partir.

Dès que nous avons tous les quatre passé la porte, Nairi et la deuxième assistante technique sortaient. Nous étions « trop immatures » pour elles, selon Katia. Dante, le gars du son, a demandé à Bella s'il pouvait partir plus tôt, puisqu'on n'avait pas besoin de lui pour la scène de la cuisine. Deux heures auparavant, il insistait pour rester et prendre différents sons de cuisine. Et quand les lumières ont eu fini d'être installées, la mise en scène répétée et les derniers détails répétés, on s'est rendu compte que Ming, la maquilleuse, avait silencieusement rangé ses affaires et était partie.

Aucune grosse perte. L'actrice était parfaitement capable d'appliquer elle-même le maquillage créé pour elle. Pete, un des techniciens, était plutôt doué pour faire la mise au point et Hamed m'avait appelé à tenir le clap. Aussi notre heure d'attente passait et rien d'étrange ne se produisait.


Finalement, Hamed a repris la caméra, et Bella a annoncé : « Action ! ».

L'actrice a étalé sans grand enthousiasme de la mayonnaise dans du pain, empilé de la viande et de la salade, puis a souri, l'air malfaisant. Elle s'est retournée pour attraper le détergent sous l'évier.

Et puis les lumières se sont éteintes.


Quelqu'un dans l'obscurité a hurlé, un cri perçant. Il y a eu un coup, puis un bruit sourd, puis les lumières de la salle à manger se sont allumées. Esteban avait trouvé l'interrupteur.

Lisa a crié que quelqu'un avait couru vers elle. « Qui m'a frôlée ? »

Hamed parlait avec un technicien. « Ça ne peut pas être une coupure générale, les lumières du bâtiment marchent parfaitement. »

Lisa a insisté en demandant qui l'avait poussée, mais Esteban nous a interpellés.

On s'est tous poussé pour aller dans la salle à manger. L'équipe de techniciens avait branché les cinq lumières que nous utilisions sur cinq prises différentes au milieu des tables. Les câbles d'alimentation étaient dispersés sur le tapis comme une toile d'araignée.

Chaque câble avait été sectionné. Tranchés en plein milieu ; des coupures parfaites, propres, aussi nettes que si elles avaient été faites au sécateur.


Katia a brisé le silence en demandant qui avait fait ça, en essayant vainement de cacher sa détresse.

Parce qu'elle savait que tous les dix membres de l'équipe avaient été dans la cuisine. Et que personne n'aurait pu couper les cinq câbles au même moment.


Hamed a demandé à ce que tout le monde sorte, sur-le-champ.

Personne n'avait besoin de se le faire dire une seconde fois. On s'est précipités vers la porte en bois et on s'est réunis sur le trottoir, sous les yeux fermés de la fille aux cheveux bleus. Les étudiants de Northbridge réunis ensemble, Katia faisait les cent pas, Venna lançait des regards noirs les bras croisés, et Bella essayait de reprendre le contrôle sur son plateau de tournage compromis.

Elle parlait à qui voulait écouter. « On ne peut pas laisser l'équipement ici. »

Ce à quoi Venna a répondu d'oublier ça. « Je me barre. »

Elle est partie en trombe. L'actrice a jeté un regard impuissant à Bella, a vaguement murmuré un « Appelle-moi », et a suivi Venna. J'ai regardé les quatre étudiants de premier cycle qui restaient – Andrea, Lisa, Pete et Ryan.

Ryan nous a dit que Miguel était censé les reconduire, et Lisa a balbutié qu'elle avait pris le bus.

Hamed m'a dit de les ramener. « Je vais rester avec Bella pour ranger. »

Katia a ajouté qu'elle resterait aussi. Esteban leur a adressé un hochement de tête.

Je leur ai dit que j'étais d'accord, et que je reviendrais les aider après les avoir déposés. « Donnez-moi une heure. »


Personne n'a parlé sur le trajet du retour vers le campus. Le silence était coupé par les sanglots occasionnels de Lisa. Les deux gars regardaient à travers leurs fenêtres respectives. Je les ai laissés devant les résidences universitaires, puis j'ai fait demi-tour avec ma voiture en direction de la 405.


Je ne pouvais pas m'arrêter de réfléchir sur ce que je venais de vivre. Des personnes aux intentions mal définies nous ont attirés au Three Friends Diner, laissé une clef à un groupe de parfait étrangers, demandé à ce qu'on filme aujourd'hui – le 3 – et ne se sont même pas dérangés pour venir récolter la somme ridiculement suspecte qu'ils ont demandé comme paiement. Pourquoi ?

Pour se foutre de nous ? Étions-nous victimes d'une sorte de caméra cachée ? Y avait-il une trappe ou une deuxième entrée qu'on ne connaissait pas ? Peut-être qu'il y avait des projecteurs dans la cuisine, créant l'image dérangeante des corps en décomposition dans le congélateur.

Mais comment expliquer l'odeur ? Ou le froid ? Ou le spectre à capuche qui a produit ces coups contre la porte de l'armoire que seule Michelle a pu entendre ?

Pour la deuxième explication – on a été victime du spectre que le sans-abri appelait « Bessie ». C'était une revenante, ou un démon, et nous étions des intrus sur sa propriété.

Alors pourquoi ne pas avoir commencé par l'effet le plus impressionnant – les câbles tranchés ? Pourquoi systématiquement approcher une personne à la fois ? Et cette théorie du poltergeist n'expliquait pas qui nous avait menés au Three Friends Diner, ni pourquoi.
Qui nous y a menés, pour nous faire fuir.


Three Friends Diner.


Alors que je rejoignais la 101, 4 minutes après minuit, j'ai compris.

Gardant une seule main sur le volant, j'ai appelé Bella trois fois, Hamed deux fois, puis Katia, Puis Esteban. À chaque fois, je suis tombée directement sur leur messagerie. Je leur ai laissé des messages – des messages hurlés, implorants, leur suppliant d'oublier l'équipement et de courir aussi vite qu'ils le pouvaient hors du Three Friends Diner. Puis j'ai appelé le 911, et sangloté que mes amis étaient en grave danger au 35, Weller Avenue. On m'a calmement assuré que de l'aide y serait d'ici 10 minutes.

J'y ai été avant les secours.

Les lampadaires du pâté de maison s'étaient éteints, donc j'ai dû trouver mon chemin au 35 Weller Avenue avec mon portable et le clair de lune pour me guider. La faible lumière bleuâtre de mon portable est tombée sur le mur Est vert marin, puis sur le fourgon ouvert et à moitié chargé, puis enfin sur Hamed. Il était effondré sur l’asphalte, baignant dans un liquide sombre.

J'ai couru vers lui, hurlant son nom encore et encore. Il ne répondait pas. Je voyais son torse monter et descendre faiblement quand je me suis agenouillée à ses côtés, et ai senti une faible pulsation au niveau de la carotide. Je l'ai fait rouler sur le dos. Il y avait une grosse coupure sur le côté de sa tête ; ses cheveux étaient collés par le sang. Son bras gauche pendait dans un angle étrange. Mais la blessure la plus douloureuse, et celle responsable de tout ce sang, était une série de cinq lacérations profondes sur son biceps droit. Le muscle était arraché, et l'os brisé était visible à travers l'amas de rubans de peau et de tissus hachés.

Le positionnement des lacérations concordait avec celui de cinq doigts. Cinq doigts très longs, avec de très longues griffes...

J'ai déchiré ma veste et l'ai serrée autour de son bras en guise de garrot. Je réfléchissais à toute vitesse. Quelque chose avait attaqué Hamed. C'était parti. C'était parti ? Bella. Katia. Esteban. Ils étaient où bordel ?

Je me suis relevée. Les secours était sur le chemin, et je ne pouvais pas faire beaucoup plus pour Hamed jusqu'à l'arrivée de l'ambulance. Mais les autres étaient encore dans le Three Friends Diner, et si mes peurs étaient justifiées...


J'ai couru à la porte.

Mais la porte n'était pas là. Je fixais un mur gris, un mur intact.

Je me suis précipitée à l'angle de l'impasse, puis sur le trottoir, scrutant le long du mur avec mon portable. Je faisais des allers et retours, encore et encore, sentant le béton dur sous mes doigts. Rien. L'unique entrée du Three Friends Diner venait de... disparaître.

Puis les lampadaires se sont allumés. J'ai fait un pas en arrière, et mon horrible impression se confirmait. J'étais sur Weller Avenue, je regardais dans la bonne direction, mais il n'y avait pas de porte. Au loin, je croyais avoir entendu des sirènes. J'ai regardé la peinture murale – celle de la fille aux cheveux bleus, se tenant devant une orangeraie.

Elle avait disparu, elle aussi.

À sa place, il y avait une vielle femme desséchée, la peau parsemée d’écœurants grains de beauté et de taches de vieillesse. Ses cheveux étaient les cheveux sales, filasse et hirsutes d'une sans-abri. Sa bouche grande ouverte prenait toute la longueur de ses joues, découvrant des dents noires, pourries, aiguisées et ruisselantes de sang. Beaucoup de sang. Sang qui coulait le long du mur vert marin, comme de la pluie, formant une flaque sur l’asphalte.

Ses yeux étaient ouverts.

Ses yeux, jaunes et injectés de sang. Ses pupilles dilatées étincelaient frénétiquement. Ses yeux globuleux, me fixant, impossibles à détailler. Ça n'était pas de la peinture. Ses yeux étaient réels. Puis ses pupilles de 30 cm se sont déplacées, et je jure que son sourire s'est agrandi. Elle me regardait.

C'était Bessie.

Je ne me rappelle pas de l'arrivée de la police, ou des pompiers ou encore de l'ambulance. Je n'ai pas fait attention quand ils ont mis Hamed sur un brancard, ni quand ils l'ont installé dans l'ambulance. Et je n'ai pas non plus de souvenirs de l'arrière de la seconde ambulance, ni du psychologue urgentiste, ni des questions auxquelles j'ai répondu pour les médecins, ni des médicaments.

Ils m'ont dit que je pleurais et rigolais en même temps. Et que je n'arrêtais pas de répéter : « Elle n'en voulait que trois. »


Tout ce que je sais c'est que je me suis réveillée vingt-trois heures plus tard, dans une petite chambre de désintoxication de la clinique psychiatrique privée où mes parents m'avaient transférée. J'y suis restée pour les dernières 49 heures qu'indiquait la loi californienne dans un cas comme le mien, puis je suis rentrée à La Crescenta avec ma famille.


Aux dernières nouvelles, Hamed aurait repris conscience et pourrait parler avec des mots simples comme « salut » ou « oui ». C'est bon signe ; les dégâts au cerveau sont peut-être moins importants que ce que pensaient les médecins. Par contre, sa mémoire est flinguée. Il ne se rappelle pas avoir voyagé pour aller aux Etats-Unis, et encore moins de la nuit qui lui a valu ses blessures. Il a eu de la chance, si un tel mot peut être appliqué dans de telles circonstances, que son épaule gauche ait pris le plus gros de l'impact quand il s'est pris le mur. Sa tête est retombée sur l’asphalte à une vitesse moins grande. Les médecins ne sont pas trop sûrs de ce qu'ils doivent faire de lui. Ses blessures suggèrent que quelque chose l'a projeté comme une poupée de chiffons contre le mur est de la boîte de nuit.

J'ai tout dit à la police – de l'étrange e-mail et la clef aux terrifiantes transformations de la peinture murale. Sauf que l'e-mail avait disparu de mon ordinateur et de celui de Bella, qui ont été confisqués par la police en tant que preuves. La clef, aussi, a été perdue et n'a jamais été retrouvée. Et la peinture murale apparaissant sur les photos de la scène de crime est la même qu'avant l'inexplicable nuit – le charmant profil d'une fille aux cheveux bleus, les yeux fermés.

Ils avaient aussi l'air perplexe quand j'ai mentionné le 35, Weller Avenue comme un « restaurant ». Parce qu'aucun restaurant ne s'y trouve, ni y a existé dans le passé. Le 35, Weller Avenue n'était même pas une vraie adresse – il  n'y a jamais eu de porte sur le côté de l'immeuble au 918 E sur la 3e rue, et les bâtiments sont restés complètement vides de toute activité depuis six mois.

J'ai insisté. J'ai décrit, dans tous les plus petits détails, les murs d'un rouge profond, et la cuisine immaculée, et les petits vases sur chaque table. J'ai supplié aux policiers de regarder nos enregistrements. Mais j'ai appris que c'était impossible.

Notre caméra n'a pas été retrouvée. De même que la moitié de notre équipement, tout n'avait pas été chargé dans le fourgon. Tout comme Bella Cardone. Et Esteban Serra, et Katia Milicevic. Les trois n'ont pas été vus depuis la nuit où j'ai été trouvée, délirante, aux côtés d'Hamed à moitié mort. Leur cartes de crédit n'ont pas été débitées, leur voiture étaient toujours garées dans le quartier des Arts, et leurs téléphone étaient tous éteints.


Les policiers ont parlé aux autres membres de l'équipe – j'espère qu'il corroboreront mon histoire. Ils ont aussi qualifié l'agression d'Hamed de « bestiale », et la disparition de Bella, Esteban et Katia comme étant sûrement une « tentative d'outrepasser la validité de leur visa ». Ils ont gardé une grande partie des détails hors de la portée du public. Je suppose qu'ils n'avaient pas envie de devoir expliquer comment un lion gigantesque s'était débrouillé pour se faire pousser un pouce opposable, attraper et balancer un homme contre un mur à 95 km/h.


En ce qui me concerne, je suis maintenant une internée volontaire au Marsdale Psychiatric Hospital, sous traitement pour trouble de stress post-traumatique et trouble de l'humeur non-spécifié. C'est pas trop mal ici. Ils me laissent fumer, et personne ne panique quand je me réveille en hurlant au milieu de la nuit.

J'ai compris trop tard la signification du nom – Three Friends Diner. Trois amis. Le sans-abri avait raison. « Bessie » existe. Elle peut faire apparaître et disparaître des choses – la clef, la porte, le restaurant. Elle incarne quelque chose d'inhumain, de mal, quelque chose qui demande un sacrifice. Elle nous y a attirés. Elle a joué à ses petits jeux, faisant fuir un à un les membres de l'équipe, jusqu'à ce qu'il ne reste que le nombre souhaité. Puis elle a jeté Hamed à part comme un os de poulet, et a pris sa récompense.

Elle n'en voulait que trois. Trois amis. Bella, Katia, Esteban.





******

À : Dr Jeremy Fuentes

Professeur d'Anthropologie Culturelle

Université de Californie, Berkeley


Jeremy –

En complément de ma dernière lettre, je devrais ajouter que les trois corps trouvés dans la pièce secrète au 918, 3e rue ont été identifiés comme ceux des trois étudiants étrangers disparus – Bella Cardone, Katia Milicevic, et Esteban Serra. La police reste perplexe sur comment ces malheureux jeunes gens ont trouvé la mort, bien que des preuves indiquent qu'ils ont été mutilés par un animal extrêmement grand et extrêmement violent.

Nous avons aussi appris que le bâtiment au 918 E 3e rue, qui est supposé avoir abrité le « Three Friends Diner », a été précédemment rénové au début des années 1990. Selon les plans du bâtiment, la « pièce secrète », dans laquelle les corps furent trouvés, était supposée être à l'origine un placard de stockage. Mais l'entreprise a décidé plus tard d'interdire la zone, probablement après que trois ouvriers de nuit y ont été retrouvés morts. On attribua leur mort à une « explosion ». Une explosion que personne ne vit, ni n'entendit, et qui ne fit aucun dégât matériel.

Les trois ouvriers ont été retrouvés morts le 4 décembre 1994. Ce qui est fascinant, parce que les trois étudiants – les camarades de Katy – ont été portés disparus aux premières heures du 4 décembre 2014. Selon Katy, l'e-mail qu'elle a reçu disait qu'ils devaient filmer au « Three Friends Diner » le 3 décembre, l'après-midi. Une journée de tournage typique dure 12 heures, terminant leur journée peu après minuit, le 4 décembre.

Il me semble que le sans-abri de Katy parlait de quelque chose à propose d'une journée, tous les vingt ans.

J'ai regardé dans des livres à la recherche d'images, de vieilles copies du LA Times, des diapositives, des enregistrements des médias, etc. J'en ai inclus plusieurs pour ta lecture attentive. Dans chacune d'entre elles, depuis que l'entrepôt au 918 E. 3e rue a ouvert en 1920, la peinture murale de la femme aux cheveux bleus est présente. Aucun artiste n'a jamais pris le crédit de cette peinture. Et c'est toujours la même, elle n'a jamais été abîmée par la pluie, ou le soleil, ou le temps.

Enfin, pas tout à fait la même.

Parfois elle regarde vers l'Ouest, et parfois elle regarde vers l'Est.



 

Cordialement,

Dr  Larry Schurr




Traduction : Nevermore

Texte original ici.

vendredi 23 décembre 2016

Troisième édition du palmarès annuel

Oyez oyez, la fin de l'année est quasiment là, il est donc temps de réitérer le classement des meilleures creepypastas de l'année, comme en 2015 et en 2014 ! Comme l'an dernier, nous vous proposons de participer à ce classement en établissant le vôtre, le classement final prenant la forme d'un top 10 moyenné sur l'ensemble des votes.

Je rappelle donc les règles pour que votre vote soit pris en compte, ce sont les mêmes qu'en 2015 :

- Les participants établissent chacun un classement personnel de 10 pastas, NI PLUS, NI MOINS. Les classements comportant plus, ou moins de 10 publications ne seront pas pris en compte car ils ne peuvent pas entrer dans le calcul de la moyenne.

- Les ex-æquo ne seront pas pris en compte. Une seule publication à chaque position de votre classement.

- Le choix se fait parmi les publications ayant eu lieu entre le 1er janvier et le 31 décembre 2016. Tout classement comportant une publication antérieure se verra automatiquement refusé.

- Vous nous transmettez vos classements par les moyens habituels : Facebook, mail... listés sur la page "Contact", sur le topic ouvert sur le forum, ou en commentaire sur cet article. Sentez-vous libre d'y ajouter des remarques ou tout ce qui vous semble mériter d'être dit. ;)



L'année n'est pas tout à fait terminée mais c'est tout comme, comme ça au moins vous avez le temps d'y réfléchir, de venir nombreux, et le classement final sera plus représentatif. Merci d'avance pour vos contributions !


jeudi 22 décembre 2016

Martin le manipulateur

Jimmy en avait vraiment marre de Martin.
Celui-ci était pourtant son meilleur ami, et ce depuis de nombreuses années. Mais, dernièrement, Jimmy avait commencé à douter de Martin, pensant qu'il le manipulait. A chaque fois qu'ils se retrouvaient tous les deux, Jimmy avait toujours cette impression que Martin l'obligeait à agir, ressentir, et penser d'une certaine manière. Quand ils se parlaient, Jimmy avait toujours l'impression de simplement dire les choses que Martin voulait entendre. Cela a duré des années, mais les choses se sont aggravées, au point que Jimmy avait senti qu'il n'avait plus aucun libre arbitre quand Martin était dans les environs. Jimmy voulait être libre... Libre de dire ce qu'il pensait vraiment à Martin, mais il n'avait jamais eu le courage de le faire... jusqu'à ce jour.
Jimmy, dans un accès de rage, avait levé le majeur au visage de Martin, en lui criant :

"VA TE FAIRE FOUTRE !  J'EN AI MARRE DE ME FAIRE MANIPULER !"

Les adultes du public avaient couvert les oreilles de leur enfants, choqués par ce qu'ils pensaient être un spectacle "Tout public".

Martin, le ventriloque, lui, était absolument terrifié.

Traduction : Kamus

Source

lundi 19 décembre 2016

Comment voir un fantôme

Comment voir un fantôme ?

"Comment voir un fantôme ?" est un jeu ou rituel effrayant originaire du Japon qui peut te permettre d'apercevoir de véritables esprits. Tu peux jouer à ce jeu tout seul et découvrir si tu as la capacité de voir les défunts. Ne me tiens pas pour responsable si tu découvres que ta maison est hantée.

Comment voir un fantôme ? - Instructions :

Étape 1 : Tu dois te retrouver seul dans une maison. Installe-toi dans une pièce calme. Tu peux t'asseoir sur une chaise ou t'allonger dans un lit.

Étape 2 : Ferme les yeux et visualise la maison où tu es né(e) et où tu as été élevé(e).

Étape 3 : Imagine que tu te trouves à l'extérieur de la maison, devant la porte d'entrée. Ouvre la porte et entre dans la maison.

Étape 4 : Parcours la maison dans le sens des aiguilles d'une montre, et ouvre les fenêtres, une par une.

Étape 5 : Maintenant, fais marche arrière et retourne sur tes pas dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, en fermant toutes les fenêtres, une par une.

Étape 6 : Quitte la maison par la porte d'entrée, puis ouvre les yeux.

Ne lis pas la suite tant que tu n'as pas complété toutes les étapes ci-dessus.
Maintenant, voici la question :
Pendant que tu parcourais la maison dans ton imagination, as-tu remarqué une étrange silhouette se cachant dans certaines pièces ?

Cette étrange silhouette que tu as vue était un fantôme...

Traduction : Flower Eyed

Source

samedi 17 décembre 2016

La magie de Noël

Maman dit que l'on doit croire au Père Noël si on veut des cadeaux.

Mais des fois c'est difficile. Comme quand je vois, dans le centre commercial, un Père Noël totalement différent de celui que j'avais vu l'année dernière. Et si je pose la question à maman, elle me répond tout le temps de ne pas parler de ça. Elle me dit que si j'en parle, je n'aurais pas de cadeaux pour Noël. Et que tout cela fait partie de la "Magie de Noël".

L'année dernière, à la même époque, j'ai emmené ma petite sœur au parc. Je faisais une bataille de boules de neige avec mes copains pendant qu'elle faisait un bonhomme de neige.
Nous avons vu le Père Noël au parc ce jour-là. Il est venu vers nous, et a donné à chacun de nous un petit cadeau. Il nous a dit qu'on était tous de gentils garçons et filles. Il a aussi dit que le cadeau de ma petite sœur était dans son traîneau, car il était trop lourd pour le porter jusqu'ici. Ma sœur est allée avec lui, mais n'est jamais revenue. La police nous a posé tellement de questions, mais nous avons tous insisté sur le fait que c’était juste le Père Noël : grand, enjoué, et rouge.
C’était tout ce que nous savions.

J'ai eu tellement de cadeaux de Noël cette année-là. Beaucoup plus que d'habitude.
Je suis tellement heureux de n'avoir dit à personne que le Père Noël ressemblait beaucoup à notre voisin, monsieur Wilkens. Et je suis heureux de n'avoir dit à personne que j'avais vu ma petite sœur entrer dans son camion bleu au lieu d'un traîneau.
Maman me dit de ne jamais parler de ce que j'avais vu, que c'est juste la "Magie de Noël".

Et elle dit qu'il faut croire au Père Noël si on veut des cadeaux.

Traduction : Kamus


Source

lundi 12 décembre 2016

Immortel

On m'a diagnostiqué un cancer au cerveau très agressif, la semaine dernière. Mon temps restant ne se compte plus en années ou en mois, mais bel et bien en jours. Avant de partir, je veux tout avouer. Je veux expier ma faute, ou du moins alléger ma conscience. J'ai vécu avec ça une partie de ma vie, mais maintenant que ma mort est proche, je ne peux plus garder ce secret pour moi. Alors écoutez bien car ceci est la confession d'un mourant.

Que savez-vous des immortels ?

Vous allez sûrement me dire que vous en avez vus à la télé, dans des séries comme Highlander. Ou dans des bandes dessinées, ou des comics. J'étais comme vous ; pour moi, les immortels c’étaient Wolverine et Cie. Ce n’était pas réel.
J'ai fait des études de médecine, en vue de devenir chirurgien. Vous savez que je suis plombier, c'est donc que j'ai dû arrêter ma carrière à peine naissante, pour une raison ou une autre...

Bref, j'étais jeune diplômé à l'époque, et j'avais postulé dans tous les hôpitaux du pays, et même à l'étranger. Aucun ne m'avait donné de suite favorable, sauf un qui se situait dans la banlieue de Berlin, en Allemagne. Bon, je devais quitter ma famille et mes amis pour aller poursuivre ma carrière dans un autre pays - dont je ne parlais même pas la langue - mais c’était une occasion inespérée d’acquérir de l’expérience auprès de chirurgiens professionnels.

Je me suis donc installé à Berlin, dans une chambre de bonne. Il n'y avait aucun confort, mais je savais que c’était temporaire. Une fois l’expérience acquise, je retournerais en France pour trouver un poste à temps plein dans un hôpital prestigieux de Paris.

Les premiers mois ont été difficiles, la barrière de la langue n'aidant pas. Je m’efforçais d'observer les opérations, je prenais des notes, je posais des questions en anglais, mais presque aucun chirurgien ne parlait cette langue.
Au bout d'un an, à l'aide de cours particuliers, j'arrivais à comprendre l'allemand, et je pouvais enfin discuter avec mes tuteurs.
J'ai pu parfaire mon apprentissage, et enfin assister les chirurgiens pendant les opérations. Je progressais à une vitesse folle car il y avait énormément d'opérations par jour. En effet, cet hôpital n’était jamais à court de patients. Ils venaient des quatre coins du pays, et même de l’étranger. Et pour cause : l’hôpital avait la réputation de ne jamais être à court d'organes pour les greffes.

Cœurs, reins, poumons... Je ne savais vraiment pas comment ils faisaient, mais ils en trouvaient toujours très rapidement. J'avoue que certaines pensées m’étaient venues à l’esprit - comme un trafic d'organes dans la ville - mais il n'y avait aucune preuve. Et surtout, c’était une aubaine pour moi de pouvoir assister à toutes ces opérations.

Une nuit, alors que j’étais resté dans l’établissement jusque tard dans la nuit, afin d'étudier certains ouvrages sur les greffes présents dans le bureau du docteur Hausman, je me suis endormi, le nez dans les livres. Il faut dire que la chaise de bureau du docteur était tout sauf inconfortable.
J'ai été réveillé par des cris. Des cris d'un homme. C'est normal dans un hôpital, me direz-vous. Mais c’étaient des cris d'agonie. C’était affreux. Je suis sorti du bureau, et j'ai commencé à chercher d'où ça venait. Je suis allé voir l'infirmière de garde, mais selon elle aucun patient n'avait crié. Je retournais dans le bureau du docteur, quand je les ai entendus une nouvelle fois. Cette fois, j'ai su reconnaître la provenance de ces cris. Ils venaient de derrière une porte qui menait vers les sous-sols de l’hôpital. Sur celle-ci, il y avait un gros panneau "Kein Eintritt", entrée interdite. Évidemment, je voulais venir en aide à la personne, mais la porte était fermée. Les cris ne se faisant plus entendre après que j'ai posé les yeux sur la porte, je suis rentré chez moi cette nuit-là.

Le lendemain, j'ai tout de suite posé des questions au docteur, lui demandant ce qu'il y avait derrière cette porte, et pourquoi on pouvait entendre des cris la nuit venant de derrière celle-ci.
Lui qui avait toujours été gentil et souriant, s'est montré à ce moment-là sous un tout autre jour. On pouvait lire la colère dans ses yeux. Après m'avoir saisi par le col, il m'a plaqué contre le mur en me répétant que ce qu'il y avait derrière cette porte ne me regardait pas, et en me menaçant de me virer avec perte et fracas si je continuais à mettre mon nez là où il ne fallait pas.

Je ne voulais pas risquer ma carrière en me faisant virer de mon tout premier poste, alors je n'ai plus repensé à cette affaire durant quelques mois. Mais, une nuit où j'étais de garde, j'ai eu besoin d'une agrafeuse, et je me suis souvenu qu'il y en avait une dans le bureau du docteur Hausman. Et, évidemment, en allant à son bureau, j'ai de nouveau entendu ces hurlements venant de derrière la porte. C'étaient les même que la dernière fois, et, comme cela remontait à des mois, ça voulait dire que c’était la même personne qui souffrait là-bas.

Je tenais à ma carrière, il est vrai, mais j'avais encore des valeurs. Je ne pouvais pas laisser cet homme comme ça, sans rien faire. Je me suis rappelé que le docteur gardait un trousseau de clés dans son bureau. Je suis allé les chercher et j'ai essayé toutes les clés sur cette porte. Et, par chance, il y en avait une qui a fonctionné.

Je suis descendu dans les sous-sols de l’hôpital, tout en essayant de repérer d'où venaient les cris. Je suis finalement arrivé devant une autre porte, en métal. Au travers des cris de l'homme, je pouvais entendre deux personnes parler en allemand. Je suis resté quelques minutes devant la porte, avant que les cris ne cessent.
J'ai longuement hésité, mais j'ai fini par entrer. Dans la pièce, il y avait une salle de chirurgie. Un homme était allongé sur la table d'opération, la poitrine complètement ouverte. Devant la table, il y avait le docteur Hausman et l'infirmière en chef. Dans les mains du docteur : un cœur humain. Fraîchement retiré du torse du patient allongé sur la table. Il me regardait, les yeux grands ouverts. Il a posé le cœur dans une glacière, puis a enlevé son masque.

J’étais terrifié, je pensais déjà au pire. J’étais prêt à détaler et aller avertir la police. Le docteur m'a demandé d'attendre, d'écouter ce qu'il avait à me dire, et que si à la fin de notre discussion j'avais encore envie d'avertir la police, il me laisserait le faire. J’étais vraiment contre cette idée, mais quelque chose m'a fait changer d'avis : l'homme dont on venait de prélever le cœur avait ouvert les yeux. Je n'en revenais pas. Je pouvais même l'entendre répéter : "Helfen Sie mir ! Ich flehe Sie an... Helfen Sie mir !"

Il demandait de l'aide. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Le docteur m'a donc tout expliqué.
L'homme qui était couché là était un immortel. Ils existent bel et bien, mais préfèrent se fondre dans la masse. Et pour cause : si le monde apprenait leur existence, ils deviendrait des cobayes, des curiosités destinées à être exploitées par la science dans le but de leur faire livrer leurs secrets.
Mais ce n’était pas dans cet objectif qu'ils en détenaient un ici.

Il m'a demandé combien de vies avaient été sauvées dans cet hôpital depuis que j’étais arrivé ici. Combien de demandeurs d'organes avaient pu avoir la vie sauve grâce aux greffes faites dans les temps. Il y en avait énormément. Facilement 30 fois plus que dans les autres hôpitaux.
C'est là qu'il m'a révélé leur but. En effet, les immortels étaient une source d'organes illimitée. À chaque fois qu'on leur prélevait un organe - cœur, foie, rein, ... - il repoussait aussitôt. Parfois, lorsqu'on prélevait le même organe trop de fois à la suite, il pouvait mettre plus de temps à repousser que d'habitude, c'est pourquoi ils ne pouvaient pas subvenir aux besoins des autres hôpitaux, et que tout ceci devait rester secret. Pour le bien des patients.

Habituellement, il le mettait sous sédatifs pour le laisser inconscient, mais lorsque l'on prélevait les organes, ils ne faisaient plus effet. La douleur le réveillait et, malheureusement pour lui, il devait supporter toutes ces opérations à vif. Ils évitaient de le tuer, pour avoir des organes aussi préservés que possible.

Il a fini par me poser une question : "Es-tu prêt à sacrifier tous les hommes, femmes, enfants, qui attendent la greffe d'un organe uniquement pour sauver une seule personne ? Une vie contre des milliers d'autres, que choisis-tu ?"
La réponse paraît évidente, mais croyez-moi, lorsque vous êtes confronté à ce choix directement, ce n'est pas si facile.
Laisser ce pauvre homme se faire torturer encore et encore, ou bien fermer les yeux sur tout ceci, sauvant ainsi des milliers de demandeurs d'organes ?

J'ai regardé une dernière fois l'homme. Je lui ai dit à quel point j’étais désolé, avant de partir.

Le lendemain, j'ai démissionné. J'avais préalablement informé le docteur que je ne dirai rien à propos de tout cela, puis je suis revenu en France. Je n'ai plus jamais pratiqué depuis...

Voilà, ceci est mon péché. Même si j'ai fait cela dans le but de sauver le plus grand nombre, savoir qu'un homme se fait torturer tous les jours depuis 20 ans est insupportable. J'ai l'image de son regard implorant dans la tête depuis ce jour-là...

Mais, entre vous et moi...

Qu'auriez-vous fait à ma place ?


samedi 10 décembre 2016

Le calendrier de l'avent

Bonjour à tous,
Je voudrais vous partager le contenu d'un blog. Je suis tombé dessus par hasard, et son contenu est assez... Troublant.
Je vous laisse en juger.


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30 Novembre

Aujourd'hui, ma mère a insisté pour que je l’accompagne au marché de Noël, histoire de me changer les idées. Depuis sa séparation avec Papa, c'est la première fois que l'on sort tous les deux. Ça m'a fait chaud au cœur !
J'ai trouvé quelque chose de sympa : un calendrier de l'Avent. Bon, le vendeur était un peu bizarre, du genre pas très bavard, sourire en coin, et il lui manquait des doigts. Mais ce calendrier était très beau, et il ne m'a presque rien coûté. À l'instar des autres, celui-ci n'était pas en carton, mais métallique. Il y avait 24 petites portes portant des nombres allant de 01 à 24. À chaque jour sa friandise. Ce qui était dessiné dessus était très banal par contre : des rennes, le Père Noël, des enfants...
J'ai hâte d'être demain pour goûter ce qu'il y a de caché à l’intérieur !


01 Décembre

J'ai passé la journée au parc avec ma petite sœur. Elle avait l'air très heureuse.
Depuis que mon grand frère a disparu l'année dernière, c'est la première fois que j'ai eu envie de l'emmener jouer dehors. J'avais comme un sentiment paternaliste, ce qui ne m'a pas déplu. J'aimerais le refaire plus souvent, et puis ça décharge un peu ma mère. Elle n'a pas l'air dans son assiette ces temps-ci.
Sinon... J'ai enfin ouvert la petite porte portant le numéro 01 de mon calendrier. Mon Dieu... Ce petit chocolat était délicieux ! Il était carré, assez épais, avec à l'intérieur du chocolat au lait et un petit liquide... À la manière des "Mon Chéri". Mais en tout cas, c'était délicieux ! Vivement demain pour un autre petit plaisir de la sorte.


02 Décembre

J'ai passé ma journée dans le jardin. J'ai même commencé à vouloir jardiner, jusqu'à ce que ma mère me dise que ce n'était pas du tout la saison pour ça. Mais moi, je voulais jardiner.
Sinon, le chocolat de la case 02 était lui aussi délicieux. Ça va être difficile d'attendre pour manger les suivants.


03 Décembre

Aujourd'hui, il ne s'est pas passé grand-chose. J'ai fait mes devoirs et j'ai trouvé ça très facile. Je suis peut-être un génie sans le savoir !
Le chocolat de la case 03 était comme les autres. Je n'arrive pas à savoir quel est ce liquide, si délicieux. Je devrais demander à ma mère, mais elle va vouloir goûter. Et ce sont mes chocolats. Les miens.


04 Décembre

Je me suis surpris à jouer avec les poupées de ma petite sœur. Je n'ai aucune idée de ce qui s'est passé dans ma tête, mais j'ai aimé ça.
Ma petite friandise est encore bien passée. Je pense que je ne vais plus pouvoir m'en passer...


05 Décembre

Ma mère a insisté pour que j'aille avec elle au karaoké, mais je déteste ça ! Même si c'est sa passion, j'aimerais qu'elle ne l'impose pas aux autres... J'y suis quand même allé, pour lui faire plaisir. Mais mon Dieu, quel ennui. En plus, elle chante comme une casserole !


06 Décembre

Le chocolat du matin devient mon moment préféré de la journée. Je me demande vraiment comment ils peuvent être aussi bons.
J'ai passé la journée avec mon ami, Damien. Comme d'habitude, on a été au terrain de foot pour faire une partie avec les autres. Je n'ai jamais été aussi mauvais. D'habitude je ne joue pas trop mal, mais aujourd'hui, je ne sais pas... C'est comme si j'avais les pieds carrés.


07 Décembre

La journée de l'ennui. Et puis... Le chocolat de la case 07 est tombé quand j'ai ouvert la petite porte métallique. Je l'ai jeté, même si ça m'a fendu le cœur. Quel gâchis !


08 Décembre

Aujourd'hui, après avoir mangé mon petit chocolat quotidien, je suis allé dans la chambre de mon grand frère. Ça va faire un an qu'il a disparu, et tout est intact. Ses consoles sont toutes à la place même où il les avait laissées. Je n'ai jamais aimé ça, les jeux-vidéo, pourtant j'ai allumé une console et j'y ai joué. Pendant des heures. J'ai fini plusieurs jeux dès le premier essai, alors que c'était la première fois que je m'y essayais. Je me suis même surpris à allumer son ordinateur et à jouer avec ses personnages de MMO. Comment est-ce que je connaissais ses mots de passe ? C'est bizarre. Peut-être me les avait-t-il donnés un jour, et que j'avais gardé ça en mémoire tout ce temps.
En tout cas, j'ai aimé cette journée. C'était comme si j'avais passé du temps avec mon grand frère. Tu me manques, Denis.


09 Décembre

J'ai encore passé la journée avec Damien. Je ne sais vraiment pas pourquoi, mais aujourd'hui je l'ai trouvé très séduisant. Que m'arrive-t-il ? J'aime pourtant les femmes... D'habitude. Je suis très troublé.


10 Décembre

Ces chocolats... J'en veux encore plus. Ça devient presque une obsession.
Je suis retourné au marché de Noël, pour trouver le vendeur et acheter d'autres calendriers. Mais évidemment, il n'était plus là. Ça aurait été trop beau. Tant pis, j'ai quand même trouvé un très joli manteau. Ça m'aidera à passer cet hiver qui s'annonce très froid.


11 Décembre

J'ai de nouveau emmené ma petite sœur au parc aujourd'hui. Je l'ai regardée longuement, je ne sais pas pourquoi. Elle est devenue très mignonne. Et très mature pour son âge...


12 Décembre

Je n'arrive pas à croire ce que j'ai écrit hier. Où avais-je la tête ? J'ai l'impression de la perdre, la tête.


13 Décembre

Ma mère m'a encore saoulé avec son karaoké. Elle m'a déjà obligé à écrire sur ce blog tous les jours car soi-disant il me fallait une activité relaxante et reposante après mon "choc émotionnel". C'est vrai que perdre tout d'un coup son frère, ça va pas aider à garder l'esprit serein. Maintenant, elle veut m'obliger à pousser la chansonnette avec elle ? Vivement mes 18 ans, que je me tire d'ici. Ma vie c'est de la merde.


14 Décembre

Aujourd'hui, après avoir mangé mon petit chocolat, j'ai voulu tricher. Je ne pouvais plus attendre, il m'en fallait plus, et tout de suite. Mais... Impossible d'ouvrir les portes métalliques des jours suivants ! C'est assez étrange... Il ne me semble pas qu'il y ait des mécanismes complexes là-dedans. Mais je n'avais pas envie de le casser, et je risquais d'endommager mes précieux chocolats.


15 Décembre

J'ai fait des recherches sur internet concernant ce calendrier, histoire de voir si je pouvais en commander d'autres. Je n'ai rien trouvé. La seule chose qui est marquée sur la boîte, c'est un nom, enfin je pense : "Tiralata". J'ai recherché ça sur internet, mais ça ne me menait à rien, sauf sur des sites écrits en portugais, donc je ne comprenais rien. J'ai essayé de voir sur le site de ma ville s'ils parlaient de ce vendeur dans les détails du marché de Noël, mais aucunes références.
J'ai demandé à ma mère si elle avait déjà vu ce vendeur au marché de Noël de l'année dernière, mais elle m'a répondu que peu de gens s'y étaient rendus, et qu'elle ne faisait pas exception. En effet, la ville faisait face à un grand nombre de disparitions... Dont celle de Denis. Les gens étaient un peu paniqués à l'idée de traîner dehors.
Il va falloir que j'attende pour manger mes chocolats... La poisse.


16 Décembre

Très mauvaise journée.
J'ai voulu prendre mon chocolat ce matin, mais il n'était plus là. Ma mère, cette garce, l'avait pris. Elle m'a dit qu'ils étaient délicieux et que j'aurais pu partager au lieu de garder tout ça pour moi. Puis elle est partie je ne sais pas où. Elle était très souriante, chose rare ces temps-ci. Bordel... Ce sont mes chocolats. Comment a-t-elle osé ? Putain.


17 Décembre

J'ai caché mon calendrier, histoire d'éviter un nouveau vol de chocolat. Et j'ai bien fait : j'ai vu ma mère sortir de ma chambre ce matin, l'air chafouin. Haha, tu pensais vraiment que j'allais te laisser avoir encore un autre de mes précieux chocolats ? Tu rêves !
Sinon, j'ai été voir un ami dont le père est brésilien, je lui ai demandé s'il pouvait lui demander ce qu'il savait sur un certain "Tiralata".


18 Décembre

Il ne me reste que six chocolats, et ça me rend triste. Je l'ai été toute la journée. J'ai même pleuré, pour aucune raison valable. L'horreur totale... Qu'est-ce qui m'arrive ?


19 Décembre

Aujourd'hui, je ne suis pas allé en cours. J’espère que ma mère ne le saura pas. Mais j'ai passé une chouette journée, à fumer de l'herbe avec Damien. Ce qui me surprend, c'est que je ne supporte pas la fumée de cigarette d'habitude.


20 Décembre

J'ai revu mon ami qui a un père brésilien. Il avait des infos pour moi. Selon lui, "Tiralata" est un "Feiticeiro", un sorcier très connu au brésil. Il s'agissait du sorcier d'une tribu appelée "Tupinamba", se situant dans la forêt amazonienne. J'ai fait des recherches sur ce peuple, à priori c’étaient des cannibales. Le sorcier pratiquait le "Macumba", une sorte de magie noire. Il est aussi dit que cette tribu mangeait le corps de leurs ennemis pour en voler la force et le savoir.
Ça me donne des frissons car je change effectivement de comportement après avoir mangé ces chocolats. Mais bizarrement, je n'ai pas envie d’arrêter. Ils sont beaucoup trop bons.


21 Décembre

Il s'est passé une chose horrible ce matin : alors que j'allais manger mon petit chocolat du matin, ma mère a débarqué dans ma chambre et me l'a pris des mains. Il était hors de question que je lui laisse, alors je lui ai arraché des mains à mon tour, avec ma bouche. J'y suis peut-être allé un peu fort, car j'ai arraché un bout de sa main avec. Elle pissait le sang ! Mais le plus étrange, c'est que le goût de son sang dans ma bouche allait de pair avec le goût du chocolat. C'était encore meilleur que d'habitude. La saveur était beaucoup plus forte. Mais c'était sans doute mon imagination.


22 décembre

Fait bizarre du jour : j'ai pu répondre à un touriste Japonais qui me demandait où se trouvait la gare... Dans un japonais parfait. Je regarde des animes de temps en temps, mais, putain, c'était comme si j'avais parlé cette langue toute ma vie.
Comme je l'ai écrit il y a quelques jours, je suis peut-être un génie sans le savoir...


23 Décembre

Il ne me reste qu'un seul chocolat. Ce matin, j'ai ouvert la porte 23, et je l'ai mangé, très doucement, pour faire durer le plaisir. Bientôt je n'en aurai plus. Cette pensée me terrifie. Je suis comme dépendant de cette douceur quotidienne. Que vais-je faire ? Ma vie n'aura plus de sens...


24 Décembre

J'ai mangé mon dernier chocolat.


25 Décembre.

Je n'ai plus de chocolats, mais ce n'est pas grave : j'ai la recette ! Après avoir mangé mon dernier chocolat hier, tout était clair. Je savais ce que je devais faire. Je savais quelle était ma destinée. J'ai hâte d'être l'année prochaine pour pouvoir en faire profiter une autre personne. Et ça ne me coûtera que quelques doigts. En attendant, j'ai très envie de faire un karaoké.

Cher lecteurs,
Joyeux Noël.


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Voilà. Pour ma part, je ne sais quoi penser de cette histoire. Car habitant en Seine-et-Marne, j'avais eu vent de cette histoire. J'ai même un ami qui faisait partie de la famille d'un des disparus. Il a d'ailleurs pu me fournir une copie d'écran d'un article publié à l'époque. Il n'est plus disponible aujourd'hui. Je suppose qu'ils effacent les articles les plus anciens.



En tout cas, personnellement, il est hors de question que je sorte seul en cette fin d'année, et je vous conseille d'en faire autant.

Voici l'adresse du blog : http://sadpandaissad.unblog.fr.



jeudi 8 décembre 2016

Le père Noël

Bonjour à tous,

J’ai décidé de raconter mon histoire troublante à Internet. Ça m'est arrivé il y a environ 5 ans. Disons qu’à l’époque, mes parents me prenaient un peu pour une débile. J’avais 11 ans et je savais très bien que le Père Noël n’existait pas, mais ils insistaient en me disant que si. Ils ne voulaient pas cracher le morceau, et ça m’énervait. Bref, riez-en si vous le souhaitez, ça ne m’atteindra plus. Je me suis dit que le meilleur moyen de les faire avouer était de surprendre mon père en train de déposer les cadeaux au pied du sapin, et hop ils seraient bien obligés d’assumer leur mensonge.

Dans la nuit du 25 décembre 2011, j’étais assise sur mon lit, prête à en bondir. Vers deux heures du matin, j’ai entendu des pas dans le couloir qui se dirigeaient vers ma chambre. Je me suis immédiatement allongée en me disant que si mon père me voyait réveillée à cette heure, je risquais de me faire engueuler. J’ai entendu la porte de ma chambre s’entrouvrir, j’ai fermé les yeux pour faire mine de dormir. Quelques secondes après, la porte s’est refermée et je me suis dit à cet instant que mon père savait se montrer discret par moments ! C’en était presque fascinant, il se déplaçait d’un pas si léger. Bref j’ai attendu quelques minutes pour sortir de mon lit, ma chambre donnait directement sur le salon, j’allais pouvoir le surprendre. J’ai entrouvert la porte et bordel je l’ai vu. Pas mon père mais bien le Père Noël, il était assis au pied du sapin, en admiration devant celui-ci avec ses espèces de lutins.  L’un d’eux s’est tout doucement retourné vers moi, il m’avait vu. Prise de panique, j’ai fermé la porte et me suis dirigée vers mon lit en mettant ma couette par-dessus ma tête.


Quelques instants plus tard j’ai entendu ma porte s’entrouvrir à nouveau… J’étais terrifiée. Pourtant, le Père Noël était bon. Je n'avais aucune raison de l’être. Il se rapprochait vers moi, ma respiration était bruyante mais je me devais de rester silencieuse. Il était tout près. Je l’ai entendu chuchoter : «Ce n’est pas bien d’essayer de surprendre le Père Noël, Émilie.» puis il a rajouté : «Cela mérite une bonne punition…». J’étais si effrayée que j'ai fini par appeler mes parents à l'aide. Bien évidemment il n’y avait rien dans ma chambre. Je leur avais tout expliqué mais ils disaient que j’avais dû faire un mauvais rêve. Ils ne me croyaient pas. Ils même décidé à enfin m'avouer que c’était mon père qui déposait les cadeaux et qu’il n’y avait jamais eu de Père Noël. J’étais contente qu’ils admettent enfin que je n’étais plus une enfant. Je n'étais pas pour autant plus rassurée en ce qui concerne les événements auxquels je venais d'assister. Ou bien avaient-ils raison ? Était-ce un cauchemar ?


Le lendemain, je me suis levée, toute excitée à l’idée d’ouvrir mes cadeaux, si bien que j’avais presque oublié les événements de cette nuit. Mon père m’a souri quand il m’a vu arriver. Ma mère, quant à elle, était occupée à appeler notre chat par la fenêtre, qui avait encore dû partir se promener. J’ai déballé mes cadeaux, il y avait exactement tout ce que je souhaitais. J’étais un véritable garçon manqué, les Action men, ce genre de trucs. Ma mère s’était retournée vers moi en souriant. Elle était ravie que ça me plaise. Elle a alors détourné son attention sur le dernier cadeau, d'un air intrigué. Elle ne comprenait visiblement pas d’où il provenait et mon père non plus. J’ai repensé à la veille. Dans un mouvement d’hésitation, je l’ai ouvert. Le papier recouvrait une boîte à chaussures dans laquelle j’ai retrouvé mon chat mort, éventré. Je vous passe les détails de la suite, c’est déjà assez dur pour moi d’en parler.

Aujourd’hui, je suis allée au marché de Noël de la Défense et je l’ai revu… L’espèce de lutin qui m’avait vue cette nuit-là, celui qui avait dû avertir le « Père-Noël ». Je l’ai pris en photo avec mon portable, c’est celui de gauche.
Regardez-le… on dirait qu’il m’a reconnue…




dimanche 4 décembre 2016

Blackmez


Temps de lecture approximatif : 5 minutes


En 1965, Albert Ellis, un psychologue américain, s'intéressa à la question des émotions chez l'homme. Sa problématique majeure était la suivante : Quels sont les indices visuels qui permettent d'identifier l'émotion d'un individu chez l'Homme ?

Pour trouver ces différents "indices visuel", le docteur Ellis mit en place une expérience mobilisant une école entière où il fut demandé à plus de 900 élèves de dessiner plusieurs visages, chacun ayant une émotion différente. Les élèves durent dessiner 4 visages, un joyeux, un triste, un en colère et un effrayé. Plus de 3600 dessins furent réalisés et envoyés aux bureaux du docteur Ellis.
 

Ce derniers étudia ces dessins et il s'aperçut que la superposition de chacun des visages donnait des formes intéressantes. Il décida donc de superposer tous les dessins, d'abord en fonction de leurs émotions. Voyant que cela ne donnait rien de concret, il superposa tout les visages et cela donna un résultat plutôt impressionnant : un visage qui semblait joyeux.

Mais le docteur Ellis ne s'arrêta pas là. En juin 1969, il reproduisit l'expérience, mais sur une bien plus grande échelle. Plus de 600 000 dessins furent récupérés. Ellis les superposa et s'aperçut d'une chose : au bout d'environs 50 000 dessins, un "pattern" semblait apparaitre. À chaque superposition de 50 000 dessins,
apparaissait le même visage, à quelques exceptions près. Le visage semblait être celui d'un homme ouvrant la bouche joyeusement, comme pour rire. En superposant tous les dessins, le docteur Ellis s'aperçut que le visage ne changeait presque pas.
Albert Ellis écrira plus tard dans son essai sur la thérapie comportementale et cognitive :

« [...] ce n'est pas la joie, ni la tristesse, ni l'effroi, ni la colère, c'est la combinaison de ces quatre qui donne un sens à nos vies, sans une, aucune des trois autres n'est possible. […] C'est sur son lit de mort, que l'individu pense à sa vie, à ses expériences, à ses moments de joie, aux moments où il était triste, aux moments où il était en colère et à ceux où il avait peur. Et c'est en repensant à toutes ces expériences que l'individu ressentira toutes les émotions liées à ces dernières, et que la combinaison de chacune d'entre elles le fera simplement rire. Rire de joie, de colère, de tristesse et d'effroi. »



Cependant, en 2008, un an après la mort d'Albert Ellis, on découvrit
dans sa maison une lettre signée de sa main. Voici le contenu de la lettre :

« Cela fait maintenant presque quarante ans que je vis avec cette image monstrueuse en tête. Je la vois partout. Quand vous observez des choses qui vous font penser à des visages humains, comme une structure sur Mars, des trous dans un mur, un dessin sur une feuille ou un de vos proche, vous la voyez. Nous la voyons tous, elle nous est tous familière, mais personne ne la connait. Son visage est partout, il vous suffit de fixer n'importe quel visage assez longtemps pour la voir apparaître. J'ai décidé d'appeler ce phénomène le "visage de Blackmez".
J'ai longtemps cru que ce visage était synonyme de joie et d'amour, mais mes dernières observations m'ont ouvert les yeux. Ce visage ne représente pas quelqu'un de joyeux, mais quelqu'un qui souffre et qui a peur.
Les seules images existantes de ce phénomène se trouvent dans mes bureaux, à New York, merci de toutes les détruire au plus vite. »



Malheureusement pour le docteur Ellis, tous les exemplaires de l'image ne furent pas détruits. L'un des exemplaires de cette image refit surface en 2011 sur le board /b/ du célèbre forum 4chan.



 Ce que vous voyez sur cette photo est la dernière image de Blackmez, c'est le résultat de la superposition de plus de 600 000 dessins de visages venant d'une expérience datant des années 60. L'expérience fut conduite par le célèbre Albert Ellis qui utilisa plus tard cette image comme la fondation principale de son travail. Il pensait que ce visage était la représentation de la "véritable nature de l'être humain" qu'il décrivit en détail dans ses livres. Durant le début de l'année 2008, une lettre fut retrouvé dans sa maison dans laquelle Albert Ellis expliquait que le visage était en réalité celui d'un homme souffrant. Il y demandait également que toutes les images de Blackmez soient incinérées. Mon père était l'un de ceux qui étaient chargés de brûler les images, mais il a refusé de toutes les faire disparaître, il a donc décidé d'en garder une sans que personne s'en aperçoive. Mon père m'a toujours dit de ne jamais rien en dire à personne, mais voila maintenant un mois qu'il est mort et j'avais vraiment envie de la montrer à quelqu'un car il y a quelque chose dans cette image de dérangeant et je sais que vous apprécierez. Alors, qu'en pensez vous ?

-Supprime ça.
 



Bien que l'exemplaire original de l'image soit flou sur la photo, un utilisateur parvint à faire une reconstitution presque exacte du visage. De nombreux utilisateurs remarquèrent avoir une forte impression de déjà vu en regardant le visage, d'autres encore racontèrent qu'ils commençaient à voir le visage quand ils avaient les yeux fermés mais que le visage semblait hurler au lieu d'être joyeux. En quelques heures, le post atteignit plus de 300 réponses et un autre sujet fut créé. Dans ce second fil de réponses, certains utilisateurs décrivirent voir le visage sur tous les objets ressemblant de près ou de loin à un visage humain. Un autre utilisateur expliqua avoir vu le visage pendant qu'il dormait. Bien qu'attirant beaucoup d'attention et restant sur la première page de /b/ pendant plus d'une nuit, le post tomba rapidement dans l'oubli.



Aujourd'hui l'image circule sur les sites de creepypastas et dans certaines régions du Deep Web, bien que la majorités des personnes la postant ne connaisse pas son origine. Il n'a jamais été recensé dans l'histoire écrite un nom comme Blackmez. L'origine de ce nom reste inconnue, et sa nature exotique ne fait qu'ajouter une touche de mystère à ce phénomène. Certaines personnes disent que pour voir la véritable nature de l'Homme, il suffirait de fixer quelques minutes sans cligner des yeux le centre du visage de Blackmez pour qu'elle nous apparaisse.

 À vous de voir.




mardi 29 novembre 2016

On connait tous cette histoire

On connait tous cette histoire.

Vous descendez les escaliers, car vous avez entendu votre mère vous appeler. Elle vous appelle par votre prénom. Elle est dans la cuisine. Mais arrivé là, vous vous retournez pour découvrir à nouveau votre mère, cachée sous les escaliers. "Ne va pas dans la cuisine", dit-elle. "Moi aussi, je l'ai entendue".

C'est juste une de ces histoires idiotes.

Mais imaginez ce qui arrive après. Vous devez faire un choix. Vous, un enfant si jeune, devez prendre une décision. Vous vous souvenez de tout : Vous regardiez votre mère, sous l'escalier. Même maintenant, vous vous souvenez de l'expression qu'avait son visage. Elle tremblait de peur, le regard empli de terreur. "Viens ici", disait-elle. "Vite !"

Mais de l'autre coté se tenait votre mère dans la cuisine. Elle vous regardait d'une manière étrange. Mais elle était si grande, dominante. Comme si elle pouvait vous protéger. Alors, vous avec couru vers elle. Vous n'aviez que 4 ans, qu'auriez-vous pu faire d'autre ?

Elle avait hésité quelques instants, avant de vous enlacer en retour. Et, à ce moment-là, la mère qui était sous l'escalier avait disparu. Pour toujours.

Vous avez fait un choix. Vous avez grandi avec cette décision. Mais, quelques fois, vous vous posez des questions. Votre mère vous regarde, quelques fois, avec une expression étrange. Comme si elle ne vous reconnaissait pas. Plus vous vous approchez de l'age adulte, plus vous vous éloignez l'un de l'autre.

Puis un jour, vous entrez au lycée. Elle vous regarde encore, curieusement, distante. Elle vous embrasse, mais juste un court instant, avant de vous laisser. Et pour la première fois de votre vie, vous vous posez la bonne question :

Avez-vous fait le bon choix ?
Avez-vous choisi la bonne mère ?

Et, pour la première fois, vous voyez clair à travers ses yeux. Vous comprenez enfin ce qui la trouble. Elle pense la même chose que vous.

A-t-elle choisi le bon enfant ?

Traduction : l'incroyable Kamus

source

jeudi 24 novembre 2016

Les escaliers

Bonjour/bonsoir,
Je poste ceci aujourd'hui car il est arrivé quelque chose de vraiment étrange à ma nièce. Mon frère et sa femme ne savent vraiment pas quoi faire, et à vrai dire, moi non plus... Ça s'est passé il y a deux jours. Voici en gros ce qui est arrivé :


Sophie venait d'emménager avec ses parents dans une maison sur la colline. Son père avait un rendez-vous d'affaires et sa mère devait aller avec lui. Ils avaient donc décidé de la laisser seule pour la soirée. 


Elle a passé le début de la soirée devant la télé, jusqu'au moment où il y a eu une coupure de courant. Elle est alors allée à la cuisine chercher des bougies et appeler ses parents pour savoir ce qu'elle devait faire.

Son père a décroché son portable et lui a demandé de rallumer le disjoncteur qui était à la cave. Elle avait toujours eu très peur de descendre à la cave. Aussi, son père est restée au téléphone pour la rassurer.

"Commence par ouvrir la porte doucement.
- D'accord."

Elle a ouvert la vieille porte qui grinçait.

"Ensuite, commence à descendre les marches...
- D'accord. Une, deux, trois...
- C'est bien ma chérie. Continue.
- Quatre, cinq, six, sept...
- Tu y es presque.
- Huit, neuf, dix.
- C'est bon, maintenant le disjoncteur est juste à côté de toi.
- Onze, douze, treize, quatorze...
- Sophie ? Sophie ?! Mais qu'est-ce que tu fais ?!
- Quinze, seize, dix-sept..."




mardi 22 novembre 2016

Souvenirs d'automne

Depuis ma plus tendre enfance, j'ai toujours été très joueur. Mes parents considéraient cela comme un vice qui nuirait à ma scolarité, mais c'est tout le contraire : les jeux de logique et de réflexion m'ont permis de développer un esprit extraordinairement aiguisé.
Énigmes, jeux d'enquête, j'ai tout essayé. Et j'ai tout réussi.
Internet m'a aussi apporté mon lot de défis à relever. Comme la Via Virtualis, ou bien ouverture facile. Ces sites proposent une série d’énigmes, de la plus facile à la plus ardue. Mais, comme tout, ça a été une partie de plaisir pour moi.

Petit à petit, j'ai gagné une grande réputation dans ma ville, puis dans mon pays. On me comparait souvent à un Sherlock Holmes des temps moderne. Ainsi, j'ai intégré la police très rapidement. On me confiait les enquêtes qui piétinaient, et je passais mon temps à analyser des scènes de crime, des pièces à conviction, et je décelais des indices là où les autres ne voyaient qu'un élément insignifiant, ce qui permettait généralement de résoudre l'affaire.
Pourtant, l'année dernière, j'ai fait face à l'affaire qui a détruit ma réputation, ainsi que ma carrière.

Plus d'une dizaine d'enfants avaient disparus, depuis le début de l'année. Tous avaient étés enlevés, depuis leurs lits, dans le domicile familial. La méthode était toujours la même. Les parents couchaient leurs enfants le soir, pour ne découvrir qu'un lit vide au matin. Aucune trace d'intrusion, cependant. Un vrai mystère. Personne ne comprenait comme cela était possible. J'ai donc hérité de l'affaire. Enfin un défi à ma hauteur, je me disais alors.

Pourtant, même moi, je ne voyais aucun indice. Aucun signe d'intrusion apparent. Aucun lien entre les familles victimes, ou les enfants enlevés. Rien qui ne reliait ces enlèvements à des cas similaires. Bref, c’était inexplicable, surtout qu'aucune rançon n’était réclamée. S'agissait-il d'un pervers ? D'un tueur en série? C’était impossible à dire avec les éléments à notre disposition.

C'est le matin où un autre enfant avait disparu qu'une lettre est arrivée à notre bureau. Une lettre qui m’était spécialement destinée. Dans celle-ci, une simple photo, avec au dos une inscription :


"Tic...Tac... :-) "

La photo était superbement prise, il faut l'avouer. Elle représentait une route, bordée de feuilles mortes, s’enfonçant dans une forêt. La photo était prise du centre de la route. Au milieu de celle-ci était posée un panier. L'angle de vue était tel qu'il était impossible de voir ce qu'il y avait dans celui-ci. Au bord de la route on distinguait de grands pins majestueux. En agrandissant l'image, j'ai pu noter que celle-ci était parsemées de petits grains de maïs.

C'est juste ce dont j'avais besoin pour retrouver l'endroit de la photo. En effet, je savais que dans la région, il y avait énormément de champs de maïs, mais il n'y en avait qu'un seul dont le chemin du retour à l'entrepôt passait par une forêt.

Et j'avais raison, nous avons rapidement trouvé l'endroit précis où avait été prise la photo. Mais il n'y avait plus aucune trace du panier. La police avait passé la forêt au peigne fin, ainsi que les champs de maïs environnants et les entrepôts. Mais aucune trace des enfants disparus. Au bout de deux journées de recherche intensive, nous avons fini par conclure que c’était une fausse piste. La photo avait sûrement été envoyée pour nous distraire des pistes qui nous mettrait sur les traces du criminel.

Pourtant le lendemain, je sentais que je n'en avais pas fini avait cette photo. Je l'ai analysée une nouvelle fois, un détail m'avait peut être échappé... Et c’était le cas. C’était tellement gros, que ça ne m'avait pas sauté aux yeux de suite. Je suis tellement habitué à flatter mon ego en trouvant des indices indécelables pour la plupart des gens, que les choses évidentes ne m'interpellaient plus. Et ça a été ma plus grande erreur.

En regardant la photo, c'est les feuilles mortes qui m'ont semblé bizarres... Sur le côté de la route, il y avait des pins. Les pins ont des aiguilles. Pas des feuilles. Et les aiguilles ne tombent pas en automne.
Nous sommes retourné sur les lieux et avons creusé à l'endroit ou étaient les feuilles mortes sur la photo. Nous avons retrouvé 10 crânes d'enfants, dont un dans un panier. Avec eux, était aussi enterré un petit cercueil, dans lequel se trouvait le cadavre d'une petite fille. Une note était attachée à ses vêtements :

« Il y avait assez d'air pour qu'elle tienne une journée. Vous auriez pu la sauver. »

lundi 14 novembre 2016

Mes chers amis...

Je vais vous raconter mon histoire, j'ai besoin de m'exprimer; Je la poste sur ce forum car seul ici je ne serai pas pris pour un fou. La plupart se diront que ce n'est là qu'une affabulation de ma part, afin d'effrayer les lecteurs. Les autres auront l'esprit suffisamment ouvert pour ne pas me juger. En fin de compte, je ne crois pas que cela revêt une quelconque importance. Mes chers amis, ne m'en tenez pas rigueur mais, vous ne serez que mon exutoire.

Je suis un homme d'un certain âge, un professeur de mathématique à la retraite, heureux jusqu'à récemment. Car cette histoire est celle de mon veuvage. Ma Sélène et moi nous nous sommes rencontrés il y a quarante ans, je vous dirais bien que le coup de foudre fut immédiat, seulement, ce ne fut pas le cas. Nous avons mis quelques semaines à nous rendre compte de notre attachement mutuel ; dès lors nous ne nous sommes plus quittés, affrontant la vie ensemble. À vous, jeune lecteur, je vous souhaite de vivre la même chose, connaître à la perfection votre moité, l'aimer pour ses qualités, et pouvoir aussi se moquer de ses défauts. Bref, les années ont passé, nos enfants, de même que nos petits enfants, ont grandi. Pourtant, il y avait toujours quelque chose que je ne comprenais pas chez ma femme. Une chose qu'elle s'est toujours refusée à m'expliquer.

En effet, depuis toujours, elle avait une peur panique des flammes. Oh, je ne vous parle pas que d'incendies ou de catastrophes, qui seraient une explication logique au phénomène, mais bien de tout les feux. Ne serait-ce qu'une simple bougie d'anniversaire était proscrite dans notre demeure. J'ai initialement supposé une phobie ; je l'ai longtemps pensé. Cependant, lorsque vous vivez suffisamment de temps avec quelqu'un, vous le comprenez au-delà de toute explication. Il y avait autre chose, je le sentais. Je ne puis vous apporter une explication rationnelle à ma certitude. Je le savais, c'est tout. De vous à moi, je suis d'une indécrottable curiosité, une véritable manie, la suite logique était donc une enquête.

Vu que ma dulcinée se montrait réfractaire à toute conversation sur le sujet, j'ai dû ruser. J'ai dû faire preuve de patience afin de saisir le moment opportun pour fouiller ses vieux objets et autres paperasses en tous genres entreposées depuis un bout de temps. C'est donc à l'occasion d'un week-end « Grand-mère, mère, fille » que j'ai commis mon larcin. 


À peine j’entends la voiture s'éloigner que je grimpe jusqu'au grenier et que je commence mes fouilles. Cela m'a pris un temps infini mais, entre deux souvenirs mélancoliques, je tombe sur une malle en fer couverte de poussière et fermée à clef. Un frisson d'extase remonte ma colonne vertébrale ; pensez-vous, j’étais dans l'obligation de la crocheter comme dans ma punk de jeunesse ! Un trombone, un couteau, dix minutes et la serrure cède devant le vieux débris que je suis, flattant mon ego au passage. J'affiche un rictus de vrai gredin puis je plonge mon regard dans la caisse peu remplie.

Je fouille la boite métallique et remarque d'anciennes photographies de mon épouse, entre sept et huit ans, accompagnée de quatre de ses camarades. On aurait dit le club des cinq (seuls les plus vieux d'entre vous me comprendront), de charmants petits anges avec de magnifiques sourires, sous un soleil radieux, le marchand de glace en arrière-plan. On dirait un panorama de ces pub qui passaient dans les années 60, en pleine guerre froide, où une famille parfaite ventait les mérites de tels produits. Surréaliste, c'est le mot qui me vient à l'esprit vis-à-vis de ce cliché. Les suivants sont du même genre, ma femme devait vivre dans le monde de Kellogs, je suppose. Sauf que la bouille du marchand de glaces est de plus en plus sur les photos : avec feu mes beaux-parents, avec Sélène dans ses bras ou un des amis de tout à l'heure sur les genoux… Une chose me dérange dans tout ça, après avoir regardé toutes les images dans l'ordre plusieurs fois de suite je constate que plus l'homme malingre est présent, moins les enfants sourient sincèrement. Je sais reconnaître quand mon amour se force à être joyeuse. Sur le coup, je faits rapidement le lien avec l'absence d'album de famille, son refus de se faire photographier et surtout qu'elle ne fasse jamais mention de sa petite enfance. Non… Ce ne peut pas être ce que je pense, seigneur faites que non, par pitié.

Dans l'espoir de contredire ma petite voix qui me hurle une sordide conclusion, je continue mes recherches. Des dessins écornés, décrépis et certains presque déchirés, comme si quelqu'un avait voulu s'en débarrasser mais qu'une force colossale l'avait retenu. Cependant, la plupart sont encore lisibles, on voit un monstre aux bras démesurément longs et rachitiques, une rangée de crocs et deux tourbillons noirs en guise d'yeux, le tout avec un chapeau blanc et un tablier crème rappelant celui du vendeur. Il retient prisonnier les enfants avec ses horribles appendices, la gueule enjouée et grande ouverte. Une langue verte
longue et mince  lèche le visage d'un des gamins, qui est en larmes. Toutes les esquisses sont du même acabit, sauf que la langue ne se situe pas toujours au même endroit. Bonté divine, je ne puis vous en dire plus la-dessus, je demande votre compréhension. Je suis tombé en arrière, profondément choqué. Si vous voulez me demander pourquoi j'ai continué à fouiller, je ne peux vous répondre avec certitude mais, j'ai continué, quelque chose en moi m'y a poussé.

J'ouvre alors un journal intime. Très ancien, incroyablement bien conservé. L'ouvrage dégage une sorte d'aura malsaine et immonde, ce petit livre en cuir avec une licorne gravée sur la couverture me terrorise. Pourtant, je l'ouvre et le lis.

Je ne vous narrerai pas tous les détails, le respect que j'ai pour mon épouse m'oblige à une certaine discrétion. De toutes façons, seul ce passage compte vraiment.

« Nounour [le nom de son ami imaginaire, à l'époque] c'était vraiment horrible. Le marchand a emporté tous mes copains. Il nous a dit de le suivre dans la chaufferie de l'école pour jouer. Mais on a pas joué. Il nous mouillait un par un avec un liquide qui pue… Et puis, il a commencé à jeter des allumettes sur mes copains. Ils ont crié, crié… Nounour aide-moi. Papa, le papa de David, de Christine, d'Henri et de Marc sont arrivés, ils m'ont sortie. Je ne me sens pas bien, Nounour réponds-moi s'il te plaît. »

Je vous assure que la lecture de ces lignes a été très éprouvante, un sentiment de culpabilité a commencé à me ronger. Pourtant, je ne me suis pas arrêté. Un article de journal est tombé de la reliure écorchée, avec pour titre le COURRIER Cauchois datant du 4 juillet 1964.

« Le croque-mitaine de Saint-Lô
Quatre jeunes enfants âgés de 7 à 8 ans ont été retrouvés brûlés vif dans la chaufferie d'une école de la paroisse. Les forces de l'ordre ont pu remonter jusqu'au coupable : un marchand de glaces, bien connu des habitants. Ce dernier a été retrouvé sur la place de l'église, immolé par le feu. Il s'agirait, selon la police, d'une vengeance populaire. Les pères des victimes sont sortis ce matin de garde à vue, aucune charge n'est actuellement retenue à leurs encontre. Le commissaire s'est refusé à tout commentaire supplémentaire et déclare que l'enquête est toujours en cours.
Le récent préfet, M. Raymond Jacquet, a réagit sur le sujet en déclarant : « Bien que je condamne avec fermeté l'action de ces justiciers, dont l'identité exacte nous est encore inconnue ; en tant que père, je comprends leur geste ».
Nos sources nous indiquent que l'affaire risque d'être classée sans suite en raison de la réticence des Laudiens à coopérer avec les autorités, du manque de preuves tangibles ainsi que d'une certaine mauvaise volonté de la part des enquêteurs. »

La suite du journal intime est constituée de nombreuses descriptions des sensations de ma femme à la vue du feu. Mon amour voyait les enfants et l'homme revenir chaque fois qu'elle se trouvait en présence de flammes. Ils disaient qu'ils étaient là pour venir la chercher, qu'elle leur manquait, qu'ils l'aimaient... Les notes psychiatriques ultérieures qu'elle a pu récupérer, venant des années 70 vraisemblablement, font mention de troubles et de paranoïa post-traumatique. Selon le docteur Bernard, la peur des flammes est l’extériorisation du traumatisme par une figure identifiable comme mauvaise et externe à la personne. Mécanisme de défense psychique afin de haïr une entité palpable dans le but de prévenir, inconsciemment, un complexe du survivant. Chose qui n'est que partiellement réussie, car la présence des enfants dans les délires paranoïaques de Sélène sont la preuve d'un sentiment de culpabilité sous-jacent. Il décrit la terreur comme positive, selon ses notes, « (...) évite que le sujet ne prenne les hallucinations comme étant une chose normale dans son existence. La peur prévient donc, en partie, les risques de confondre les délires psychotique et la réalité. (...) En l'état, je préconise une dose régulière d'iproniazide mais, l’internement n'est pas nécessaire actuellement. »

J'ai fermé tout ça et je me suis promis de ne plus jamais violer le jardin secret de ma femme, plus jamais.

Quelques mois après cet événement, ma femme est tombée sévèrement malade et, têtue comme une mule, elle a refusé l'hospitalisation. Je me suis donc occupé d'elle du mieux dont j’étais capable. 

Un soir, alors que je dormais devant la télévision, une étrange odeur m'a sorti de ma torpeur. Une odeur de fumée ! Rapidement, je me suis rendu compte que la maison commençait à prendre feu, les flammes envahissaient lentement la pièce. Je me suis mis debout, faisant tout pour ne pas sombrer dans la panique. Le bruit assourdissant de l'alarme m'empêchait de réfléchir correctement. Je priais pour que l'étage ne soit pas atteint. Je me suis précipité en vitesse pour monter les escaliers afin de sortir Sélène de là. L'escalade était difficile, maudit soit mon âge ! La rambarde était brûlante, ma gorge en fusion, mon sang en ébullition. Le fait de respirer était un calvaire et pourtant, il fallait que je tienne bon. Mes yeux commençaient à me faire mal, ma vue se troublait, mon bras gauche ne suffisait plus à protéger mes yeux. Par miracle, j'ai réussi à gravir ce mont.
En haut, j'entendais des cris de terreur sourde. J'ai couru jusqu'à la porte de notre chambre et j'ai essayé d'entrer, mais la poignée était brûlante. Les flammes continuaient de se propager partout, le temps pressait. J'ai donné de violents coups de pieds et d'épaules dans la porte, mais elle résistait à mes assauts. La panique me gagnait, je tremblais et hurlais à mon aimée que j'allais la sauver. Et de l'autre côté de la porte, je pouvais seulement l'entendre supplier. 

Je me suis vite rendu compte qu'elle n'était pas seule : des rires d'enfants s’élevaient derrière elle. Des rires glaçants. Une voix grave était aussi perceptible, une voix qui lui disait qu'elle l'aimait comme au premier jour, qu'il était maintenant temps d'aller jouer tous ensemble. J'ai retenté de tourner la poignée, mes mains fumaient, la douleur était infernale, si intense que pas un son ne pouvait sortir de ma bouche. Une ultime supplication de ma douce Sélène m'a donné la force de tourner le mécanisme. Les mains calcinées, j'ai pénétré en trombe dans la chambre. Je n'ai vu que le lit en flammes et je n'ai senti que l'odeur de l'essence. J'ai pris un dras, un rideau mais, rien ne m'a permis d'étouffer le feu. Je vous jure que j'ai tout fait pour l'éteindre, je le jure !
Je suis resté là, immobile, près du feu qui dévorait l'être qui m'est le plus précieux. Je restais las, immobile, autour du feu qui allait aussi me dévorer. Cependant, la fumée a eu raison en premier de ma conscience.

Je me suis réveillé dans un lit d'hôpital et c'est un jeune médecin à l'air triste qui m'a expliqué la situation. Il a articulé laborieusement que la machine à laver était défectueuse et qu'elle s'était enflammée, ma femme était morte et ce sont les pompiers qui sont intervenus à temps pour me sauver. Que j'avais eu de la chance. Mon rictus de haine, à l'annonce de sa dernière phrase, l'a fait déguerpir.

Merci d'être resté jusqu'au bout mes chers amis. Je vous supplie de ne pas me considérer comme l'a fait ma famille. Comme un vieillard sénile qui, tel un enfant en bas âge, exprime l'absurdité par un intermédiaire absurde.