Le chic macabre

Tout ceci me paraissait sans grand intérêt, avant que la vérité m'apparaisse. Rien de bien méchant, non, mais l'affaire me semblait assez intéressante pour retenir l'attention des amateurs de pastas.

Il y avait chez une parente une vieille ombrelle, qui m'effrayait beaucoup étant enfant. Appréciant de me faire un peu peur, comme tout le monde à cet âge il me semble, je l'avais rebaptisée "le Parapluie en Os" - et l'inclus de suite dans ce folklore d'horreur douce qui faisait toute l'animation des vacances entre cousins... En effet, son manche au pommeau renflé, taillé d'une pièce, me rappelait vaguement la forme d'un os de jambon.

En grandissant, constatant la patine et la fibre, j'avais dû toutefois me résoudre à l'idée que ce n'était que du bois. Mon enfance était terminée...

Je suis revenu récemment ausculter l'objet en repensant à tout ça. Cette ombrelle usée est un bel objet, si ce n'est son manche: ce bois patiné très laid, à la fibre grossière...
Pris d'un doute, ou peut-être seulement par jeu, je me pris alors à faire sauter de petites plaques de vernis là où il était déjà sur le point de se détacher.

Et à bien regarder la surface qui se cachait en dessous, je crois bien que c'était le gamin qui avait raison. Oui, cette idée du manche en bois n'était qu'un rejet bien normal de tout ce qui avait trait à mes jeunes années. Mais la vérité sort de la bouche des enfants: ce manche était bien fait d'os. Un os poli, raboté, retaillé, méconnaissable peut-être, mais bien un os.
Je vous vois venir: un os de quoi?

J'ai tout d'abord pensé à celui d'un porc. Mais constatant à quel point il était grêle, je ne tardai pas à me raviser et à demander conseil à un ami.
"Sans doute un animal exotique. Ce ne serait pas surprenant sur un objet qu'on destine aux grandes dames, tu sais... Un paresseux peut-être, ou un grand singe, mais c'est dur à dire vu comme ils l'ont arrangé... Ou encore une espèce disparue, genre celles dont les européens encourageaient le braconnage avant la colonisation de l'Afrique: des tas d'espèces ont disparu ainsi tu sais, avant même que l'Occident les découvre!"

Je le quittai en le remerciant de son érudition, en songeant toutefois que le fini était bien grossier pour un objet de cette classe. J'ai croisé des dizaines de connaisseurs, qui m'ont presque tous donné des réponses différentes. Or un jour, alors que je me promenais, en pensant à autre chose, l'ombrelle sous le bras, je fus interpellé par un passant qui semblait très intéressé par le fameux Parapluie. Comme je n'avais rien à faire, nous nous arrêtâmes dans un café où il me donna une nouvelle explication.

"Ceci est un trophée. On en fabriquait parfois en Nouvelle-Angleterre, au 19ème siècle. C'était à chaque fois que les chasseurs revenaient avec cette... Cette chose parmi leur gibier. Ca n'arrivait pas souvent, pour sûr, et les rencontres avec la bête étaient meurtrières bien plus souvent pour les chasseurs que pour l'animal. Animal, c'est presque l'insulter: c'est une bête avec toute la cruauté, toute la perversité et toute l'intelligence de l'homme dans ses mauvais jours.
-Vous voulez dire que cet os appartient à un wendigo?
-Exactement. Je ne suis pas sûr de pouvoir vous dire quel os, mais... Le wendigo, j'en suis sûr, j'en ai déjà vu plein, des objets de ce genre."


C'est la dernière histoire qu'on m'ait servi, et comme vous vous en doutez, elle ne m'a guère mieux satisfait que les précédentes. Pour lever le doute une fois pour toutes, j'ai pris la décision d'user de mes relations à la fac pour procéder à quelques analyses. L'ombrelle abjecte est en ce moment même au laboratoire d'anatomie comparée, et si ça ne suffisait pas, je suis disposé à laisser faire des analyses ADN.

Mais après coup, sans qu'on ait eu à me livrer les résultats, la réponse a fini par m'apparaître clairement.


Vous aussi, n'est-ce pas, vous savez de quoi provient le manche de l'ombrelle?

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