Il existe un type d'histoires que tous les enfants connaissent. On les trouve dans des livres pour adolescents à la bibliothèque de l'école, ou dans des séries B américaines. Elles se ressemblent toujours toutes.
Certains jeunes se rendent dans une grande maison abandonnée, en plein milieu de la nuit pour y dormir et se faire peur. La lune brille, et... Vous connaissez le reste. Un loup-garou, un tueur violent avec un crochet à la place du bras ou un fantôme agressif effraie les ados, les tue ou les blesse, d'une façon ou d'une autre.
Paradoxalement, ce sont justement des histoires comme celles-là qui poussent les enfants, peut-être majoritairement des garçons, à faire de telles bêtises. C'était, en tout cas, comme ça que ça s'est passé pour moi. Mais je n’ai en aucun cas trouvé une maison abandonnée, une pleine lune ou un tueur assoiffé de sang. Pour moi, ce fut quelque chose de différent. De plus froid. De plus sombre.
Je venais juste d'avoir quatorze ans. L’air automnal avait peu à peu pénétré la ville. Il y avait une brise agréable et fraîche, qui répandait l'odeur de châtaigniers et de feuilles mortes. Ce jour-là venait de se finir, la respiration des passants formait de minces nuages de buée dans l'air. Trop chaud pour un manteau d'hiver, trop froid pour un simple pull.
Cette après-midi-là, quand Johan, Jonathan et moi-même sommes sortis, pour « explorer », comme on disait... Je ne me doutais pas que ce jour-là, cette après-midi-là, j'y repenserai chaque jour pour le reste de ma vie. Je me réveillerai d'innombrables nuits avec un cri coincé dans la gorge, le front trempé de gouttes de sueur. Et j'essayerai d'oublier.
Je me souviens de combien la terre était froide sous mes pieds, malgré mes deux paires de chaussettes. Le chemin qui descendait vers « la Cerp » était trempé et glissant, et mes vieilles chaussures de sport usées n'arrangeaient rien.
La Cerp, c'était le surnom du bâtiment en briques rouges, long et étroit, qui se situait tout à la fin d'un petit chemin de gravier, à environ dix minutes à pied de la station d'essence en bordure du village. Le nom « la Cerp » vient de C.C.E.R.P., une abréviation pour « Centre de Collecte Et Recyclage de Papier », qui était autrefois un point de rencontre pour les familles responsables voulant contribuer à un avenir meilleur en recyclant leurs déchets. Maintenant, de hauts arbustes encerclaient le bâtiment, et le chemin qui y menait devenait chaque année de plus en plus étroit, à mesure que la forêt se rapprochait.
Mais notre objectif, ce n'était pas la Cerp. Ce bâtiment n'était pas la raison pour laquelle j'avais dans mon sac une lampe torche et des batteries supplémentaires, ni pour laquelle Jonathan avait commencé à dire: « Euh, les gars, on s'en fout de la Cerp maintenant ou...? »
Ce n'était pas non plus ce pour quoi mon souffle se faisait de plus en plus court, ni ce pour quoi mon ventre se serait.
Derrière la Cerp, le chemin de gravier menait à un versant de montagne de vingt-cinq mètres de haut, une grande barrière grise qui s'élevait jusqu'à une forêt de pins en amont, où la forêt ne cessait de s'étendre. Qu'il y ait une entrée dans le versant de la montagne n'était pas nouveau. Ce qui l'était en revanche, c'était que celle-ci se trouvait à présent être accessible. Nous ne savions pas pourquoi la porte en acier se trouvait là, dans l'énorme montagne, et j'ai par la suite passé de nombreuses heures à parcourir les archives de l'État et les archives municipales à la recherche d'une explication. J'ai fait des recherches sur Google des centaines de fois, attendu des heures au téléphone pour parler avec des administrateurs peu suspicieux. Je n'ai jamais réussi à savoir ce qu'était cette porte, ou ce que j'avais vu à l'intérieur. Et par la suite, je n'y suis jamais retourné.
Mais pour l'heure, la porte était là. Vert foncé, elle semblait peser une tonne. D'aussi loin que je puisse me souvenir, les grosses orties qui la bloquaient avaient été tuées par un petit feu d'herbes, plus tôt en été. Nous avons presque immédiatement commencé à parler d'y entrer. Et oui, c'était quelque chose que nous voulions tous. On aurait dû être dix pour explorer le monde au-delà de la porte, on aurait pu y passer une journée entière sans difficulté. Mais la semaine qui précédait l'aventure, les changements d'avis avaient commencé à tomber. Mes amis ont, les uns après les autres, trouvé des excuses, ont regretté leur choix ou ont juste arrêté de répondre quand on les appelait. Il n'y avait maintenant plus que Johan, Jonathan et moi-même.
Quand j'ai posé la main sur la poignée de la porte, j'ai presque espéré qu'elle soit fermée à clé, mais elle a cédé sans problème. Celle-ci était silencieuse, aucun grincement ne s'est fait entendre à son ouverture. Cependant, sa lourdeur et le bruit de son frottement sur l'herbe donnaient l'impression que la porte, l'entrée même de la montagne, soupirait.
Dès le battant ouvert, une odeur de pierre froide et humide, et d'air renfermé, m'a frappé au visage. Je me souviens encore d’un relent de métallique coincé dans mes narines. L'obscurité à l'intérieur était compacte, et la seule source de lumière provenait de l'ouverture de la porte. Les seules choses que je pouvais voir sur le sol bétonné étaient des papiers dispersés, un journal, des déjections de rat, et...
Mon cœur s'est figé. Quand mon regard s'est posé sur l'objet, j'ai seulement vu deux petits yeux noirs comme du charbon qui me fixaient. Mon corps hésitait entre fuir et en découdre, mais je ne pouvais que rester immobile. Après quelques secondes, mes nerfs se sont apaisés, et j'ai vu qu'il n'y avait rien de vivant qui reposait là, sur le sol. Rien non plus qui avait, un jour, vécu. Un ourson en peluche brun et hirsute, à peu près grand comme un gant, se trouvait là. Il était allongé sur le côté, comme si quelqu'un l'avait jeté ou laissé tomber là. Et maintenant, les yeux d'épingles noirs me fixaient. La bouche, un morceau de tissu rouge-rose, était tordu en un léger sourire, comme si l'ours en peluche me voulait du bien. Ou, peut-être ricanait-il.
Toujours un peu tremblant, j'ai fait quelques pas à l'intérieur. Je pouvais maintenant voir distinctement qu'il s'agissait d'un simple ours en peluche, et même si j'étais un peu dépassé, ce n'était rien qui valait la peine d'y prêter attention. Je refusais cependant de m'en approcher, je ne voulais pas le regarder, ni le toucher. Mon for intérieur hurlait que ce n'était pas normal, que je devais faire demi-tour. Mais j'ai continué.
J'entendais derrière moi les respirations saccadées de mes deux compagnons tandis que j'allumais ma lampe torche. La pièce dans laquelle nous nous tenions maintenant était grande d'environ vingt mètres carré. Contre le mur était placé un gros placard à fusibles sur lequel des tableaux aux cases remplies étaient scotchés, bien que celles-ci étaient illisibles. Une plus petite table ainsi que quelques chaises se tenaient dans un coin. L'air, quant à lui, était froid et humide.
En bas de la pièce, un des murs s'ouvrait sur un passage plus long avec de gros tuyaux au plafond et des murs nus, sans portes. En réalité, je voulais faire demi-tour, mais il était, en même temps, impossible de résister. J'avais l'impression d'être un explorateur qui découvrait courageusement des pays dans lesquels personne n'était encore allé. Je pensais que l'endroit était vide depuis longtemps et qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur. Plus tard, j'apprendrai qu'une seule de ces deux choses était vraie...
Passé le choc de la découverte, et la panique redescendue, j'ai un peu repris confiance en moi, l'idée qu'il s'agissait d'un endroit oublié et immaculé commençant à s’imposer. Nous avons allumé nos lampes torches et entamé l'exploration des tunnels. Je me suis mis à ressentir de l'excitation, et l'impression d'être un explorateur était de retour. Les tunnels étaient sales, il y avait de la moisissure et des excréments de rats, des taches de différentes tailles et de différentes natures. Les murs étaient nus, à l'exception de quelques plaques isolées indiquant « Personnel autorisé seulement » ou « Port de l'équipement de protection obligatoire ».
Les odeurs, ou plus exactement, les puanteurs, variaient. Le plus souvent humides et rocailleuses, parfois plus huileuses. Il régnait constamment une lourde pénombre et un silence de mort. La seule chose que je pouvais entendre était mes amis explorateurs quelque part au loin. Nous nous étions éloignés les uns des autres depuis un moment, mais on s'était dit qu'on se reverrait à l'extérieur.
Avec un sursaut, j'ai tourné le cou, par réflexe. J'étais en train de regarder un calendrier sur le mur quand j'ai cru voir une sorte de petite lumière scintiller au loin, sur ma gauche. Mais non, ça ne pouvait pas être vrai. Ou alors, le faisceau de lumière de ma lampe s'était réfléchi sur quelque chose en verre ou en métal ? J'ai fait quelques pas vers la zone où j'avais vu le rond de lumière, voulant m'assurer que ce n’était rien de bizarre, qu'il y avait une explication rationnelle. Ce n'était vraiment pas une question d'héroïsme téméraire. Mais exactement au moment où la zone a rencontré la lumière de ma lampe torche, cette dernière s'est éteinte dans une clignotement.
Je n'avais jamais fait l'expérience d'une telle obscurité, d'une telle noirceur. L'atmosphère était si lourde et compacte que j'ai vite perdu la perception de mon corps et de ma position. J'ai lentement enlevé mon sac à dos et l'ai tâté jusqu'à en sentir la fermeture, pour chercher les batteries de secours que j'avais rangées dedans plus tôt dans la journée. Puis j'ai été ébloui par une lumière, et apeuré par un bruit soudain. Un clic électronique assez fort et sec s’est répandu dans la pièce, et par la même occasion, de fortes lumières se sont allumées au plafond. J'ai mis mon bras devant mes yeux pour atténuer la lumière aveuglante bleue et blanche, mon cœur battant la chamade. Le clic bruyant et la lumière m'avaient fait énormément flipper.
J'ai tendu l'oreille. Rien ne se faisait entendre. Il n'y avait ni Johan, ni Jonathan. Aucun autre bruit, si ce n’est le bourdonnement du tube fluorescent au-dessus de moi. Doucement, tout doucement, j'ai retiré ma main tremblante de devant mes yeux.
C'est là que j'ai vu ça. Ce que je vois parfois, encore maintenant, dans mes rêves et quand je ferme les yeux.
Des pupitres. Il y avait des pupitres.
Environ vingt-cinq, alignés, faisant face au mur. Ils ressemblaient à ceux que j'avais en primaire, avec un couvercle et un petit creux où on pouvait mettre des crayons et une gomme, mais ces pupitres-ci étaient quand même différents. Ils avaient l'air anciens. Usés et au bois assombri. À l'avant de la pièce se trouvait une estrade, une partie surélevée où il y avait un bureau d'enseignant et un harmonium.
Je ne pouvais rien faire d'autre que de rester totalement immobile. Mon corps était comme gelé, et mon regard errait à travers la pièce. Il y avait quelque chose de différent ici, par rapport au reste des tunnels. Quelque chose qui faisait battre mon cœur encore plus fort. Le sol était propre. Il n'était pas seulement exempt de détritus, de merdes de rat, de flétrissures humides et de vieux journaux que j'avais vus partout ailleurs dans les tunnels.
Il était propre. Vraiment propre. Même pas poussiéreux ou humide. L’estrade où se trouvaient le bureau et l’harmonium n'était pas non plus sale ou poussiéreuse. Tout était... joliment propre.
J'ai balayé la pièce du regard. Sur le mur était accroché une rangée de manteaux, principalement des imperméables, mais aussi des manteaux plus épais et plus chauds avec des capuches et des fermetures éclair. Néanmoins, leurs couleurs n'étaient pas aussi claires et vives que les vêtements d'extérieur pour enfants qu'on a l'habitude de voir. Ceux-là avaient l’air ternes, fatigués. Comme s'ils avaient été colorés autrefois mais étaient devenus sombres et graves après des années d'utilisation et des centaines de lavages. Le regard plein d'effroi et les yeux presque larmoyants, j'ai remarqué qu'un écriteau était placé au-dessus de chaque crochet.
Stig. Britt. Eva-Lena. Kjell.
Chaque manteau avait un crochet et chaque crochet avait son propre nom, écrit en lettres désordonnées, dessinées avec des pastels.
Anna. Leif. Birgitta. Gunnar.
Paralysé de terreur, j'ai laissé mon regard glisser vers les rangées de tables, de l'autre côté de la pièce. Je me suis alors à nouveau figé sur place.
Il y avait des dessins accrochés avec des épingles, sur le mur. Des centaines de dessins. Ce n'était cependant pas leur nombre qui m'avait glacé le sang. C'était ce qu'ils représentaient.
Des bonshommes bâtons dessinés au crayon noir. Violemment, comme si quelqu'un avait pressé le crayon contre le papier. Des traits rouges qui ressemblaient à des traînées de sang. Des êtres gigantesques avec les yeux rouge clair et les bras levés. Des bonshommes bâtons qui étaient chassés, qui perdaient leurs bras, leur tête. Qui hurlaient. Malgré le style enfantin et simpliste, je pouvais pratiquement entendre les dessins hurler de douleur et de peur.
Ils avaient tous l'air différents, mais le même thème revenait sans cesse. Sang. Peur. Un effroi indescriptible se dégageait des dessins. Pendant une milliseconde, j'aurais pu jurer que certains regards des bonshommes prenaient vie, qu'ils me regardaient avec des yeux suppliants. Comme s'il y avait quelque chose derrière le mur...
J'ai soudainement entendu un fort bruit de grincement. J'avais l'impression que ce son était celui d'un ongle aiguisé qui me déchirait le long de la colonne vertébrale. J'ai cherché du regard la source du bruit...
Jusqu'à cet instant, j'aurais peut-être pu tout expliquer. Un vieil abri, le tournage d'un film, une société secrète de jeux de rôle. Mais ce que je venais de voir là déjouait toutes les « explications rationnelles ». Un trait blanc était apparu sur le tableau noir. C'était l’origine du bruit que je venais d'entendre. Comme un clou qu'on frotterait lourdement contre le tableau.
Un nouveau trait. Les deux traits se rencontraient au sommet du premier et formaient le début d'un R. Encore un trait. Et encore un. À chaque trait, « l'écriture » s'accélérait et devenait de plus en plus agressive, stressée.
Le tout a finalement formé deux mots. « RETOURNE-TOI ! »
J'ai à peine eu le temps de réfléchir à ce que j’avais vu que la pièce se retrouvait de nouveau plongée dans le noir. Le tube fluorescent ne bourdonnait plus, mais j'entendais maintenant autre chose. Des bruits de pas. Les bruits de pas de plusieurs pieds légers en provenance des tunnels, comme s'ils couraient dans ma direction. Les bruits se rapprochaient de plus en plus. Ils résonnaient dans la pièce, et j'ai soudainement eu la sensation que les pas étaient juste derrière moi, à seulement quelques centimètres. J'ai reculé, non sans trébucher, vers l'entrée. Un rire s'est fait entendre au loin, ressemblant à celui d'une petite fille. Mais il semblait aussi sombre, distordu. Je me suis retourné et me suis mis à courir, me fichant de la lampe torche et des batteries.
Je n'entendais rien, sinon mon cœur battre dans mes tempes. Bam bam bam.
J'ai fini par apercevoir au loin la lumière de la porte qui se rapprochait de plus en plus, et ai vu en même temps du coin de l'œil une autre lumière lointaine, derrière moi. Davantage de rires fous et distordus. Bam bam bam.
Je me suis précipité comme un taré hors du tunnel, le souffle court. Dehors, l'air était frais, et une petite pluie avait commencé à tomber. Jonathan et Johan étaient chacun assis sur une pierre dans l'herbe et me regardaient avec étonnement. Jonathan rigolait un peu.
Johan m'a demandé pourquoi je courais, et je me suis alors rappelé que la porte était toujours ouverte. Bien que mon corps soit complètement éreinté par la peur, la panique et la fatigue, je me suis redressé et me suis dirigé vers le battant. J'ai posé ma main sur la poignée et, au même moment, je les ai entendues.
Au loin, retentissant entre les murs de béton nus, les notes claires d'un harmonium jouant une mélodie monotone et plaintive.
Je me suis tourné vers Johan et Jonathan, qui m'ont regardé avec des yeux pleins de terreur, confirmant ainsi ce que j'avais perçu. Ils l'avaient, eux aussi, entendue. La porte s'est refermée avec un bruit sourd. Et le son de l'orgue s'est tu.
Certains jeunes se rendent dans une grande maison abandonnée, en plein milieu de la nuit pour y dormir et se faire peur. La lune brille, et... Vous connaissez le reste. Un loup-garou, un tueur violent avec un crochet à la place du bras ou un fantôme agressif effraie les ados, les tue ou les blesse, d'une façon ou d'une autre.
Paradoxalement, ce sont justement des histoires comme celles-là qui poussent les enfants, peut-être majoritairement des garçons, à faire de telles bêtises. C'était, en tout cas, comme ça que ça s'est passé pour moi. Mais je n’ai en aucun cas trouvé une maison abandonnée, une pleine lune ou un tueur assoiffé de sang. Pour moi, ce fut quelque chose de différent. De plus froid. De plus sombre.
Je venais juste d'avoir quatorze ans. L’air automnal avait peu à peu pénétré la ville. Il y avait une brise agréable et fraîche, qui répandait l'odeur de châtaigniers et de feuilles mortes. Ce jour-là venait de se finir, la respiration des passants formait de minces nuages de buée dans l'air. Trop chaud pour un manteau d'hiver, trop froid pour un simple pull.
Cette après-midi-là, quand Johan, Jonathan et moi-même sommes sortis, pour « explorer », comme on disait... Je ne me doutais pas que ce jour-là, cette après-midi-là, j'y repenserai chaque jour pour le reste de ma vie. Je me réveillerai d'innombrables nuits avec un cri coincé dans la gorge, le front trempé de gouttes de sueur. Et j'essayerai d'oublier.
Je me souviens de combien la terre était froide sous mes pieds, malgré mes deux paires de chaussettes. Le chemin qui descendait vers « la Cerp » était trempé et glissant, et mes vieilles chaussures de sport usées n'arrangeaient rien.
La Cerp, c'était le surnom du bâtiment en briques rouges, long et étroit, qui se situait tout à la fin d'un petit chemin de gravier, à environ dix minutes à pied de la station d'essence en bordure du village. Le nom « la Cerp » vient de C.C.E.R.P., une abréviation pour « Centre de Collecte Et Recyclage de Papier », qui était autrefois un point de rencontre pour les familles responsables voulant contribuer à un avenir meilleur en recyclant leurs déchets. Maintenant, de hauts arbustes encerclaient le bâtiment, et le chemin qui y menait devenait chaque année de plus en plus étroit, à mesure que la forêt se rapprochait.
Mais notre objectif, ce n'était pas la Cerp. Ce bâtiment n'était pas la raison pour laquelle j'avais dans mon sac une lampe torche et des batteries supplémentaires, ni pour laquelle Jonathan avait commencé à dire: « Euh, les gars, on s'en fout de la Cerp maintenant ou...? »
Ce n'était pas non plus ce pour quoi mon souffle se faisait de plus en plus court, ni ce pour quoi mon ventre se serait.
Derrière la Cerp, le chemin de gravier menait à un versant de montagne de vingt-cinq mètres de haut, une grande barrière grise qui s'élevait jusqu'à une forêt de pins en amont, où la forêt ne cessait de s'étendre. Qu'il y ait une entrée dans le versant de la montagne n'était pas nouveau. Ce qui l'était en revanche, c'était que celle-ci se trouvait à présent être accessible. Nous ne savions pas pourquoi la porte en acier se trouvait là, dans l'énorme montagne, et j'ai par la suite passé de nombreuses heures à parcourir les archives de l'État et les archives municipales à la recherche d'une explication. J'ai fait des recherches sur Google des centaines de fois, attendu des heures au téléphone pour parler avec des administrateurs peu suspicieux. Je n'ai jamais réussi à savoir ce qu'était cette porte, ou ce que j'avais vu à l'intérieur. Et par la suite, je n'y suis jamais retourné.
Mais pour l'heure, la porte était là. Vert foncé, elle semblait peser une tonne. D'aussi loin que je puisse me souvenir, les grosses orties qui la bloquaient avaient été tuées par un petit feu d'herbes, plus tôt en été. Nous avons presque immédiatement commencé à parler d'y entrer. Et oui, c'était quelque chose que nous voulions tous. On aurait dû être dix pour explorer le monde au-delà de la porte, on aurait pu y passer une journée entière sans difficulté. Mais la semaine qui précédait l'aventure, les changements d'avis avaient commencé à tomber. Mes amis ont, les uns après les autres, trouvé des excuses, ont regretté leur choix ou ont juste arrêté de répondre quand on les appelait. Il n'y avait maintenant plus que Johan, Jonathan et moi-même.
Quand j'ai posé la main sur la poignée de la porte, j'ai presque espéré qu'elle soit fermée à clé, mais elle a cédé sans problème. Celle-ci était silencieuse, aucun grincement ne s'est fait entendre à son ouverture. Cependant, sa lourdeur et le bruit de son frottement sur l'herbe donnaient l'impression que la porte, l'entrée même de la montagne, soupirait.
Dès le battant ouvert, une odeur de pierre froide et humide, et d'air renfermé, m'a frappé au visage. Je me souviens encore d’un relent de métallique coincé dans mes narines. L'obscurité à l'intérieur était compacte, et la seule source de lumière provenait de l'ouverture de la porte. Les seules choses que je pouvais voir sur le sol bétonné étaient des papiers dispersés, un journal, des déjections de rat, et...
Mon cœur s'est figé. Quand mon regard s'est posé sur l'objet, j'ai seulement vu deux petits yeux noirs comme du charbon qui me fixaient. Mon corps hésitait entre fuir et en découdre, mais je ne pouvais que rester immobile. Après quelques secondes, mes nerfs se sont apaisés, et j'ai vu qu'il n'y avait rien de vivant qui reposait là, sur le sol. Rien non plus qui avait, un jour, vécu. Un ourson en peluche brun et hirsute, à peu près grand comme un gant, se trouvait là. Il était allongé sur le côté, comme si quelqu'un l'avait jeté ou laissé tomber là. Et maintenant, les yeux d'épingles noirs me fixaient. La bouche, un morceau de tissu rouge-rose, était tordu en un léger sourire, comme si l'ours en peluche me voulait du bien. Ou, peut-être ricanait-il.
Toujours un peu tremblant, j'ai fait quelques pas à l'intérieur. Je pouvais maintenant voir distinctement qu'il s'agissait d'un simple ours en peluche, et même si j'étais un peu dépassé, ce n'était rien qui valait la peine d'y prêter attention. Je refusais cependant de m'en approcher, je ne voulais pas le regarder, ni le toucher. Mon for intérieur hurlait que ce n'était pas normal, que je devais faire demi-tour. Mais j'ai continué.
J'entendais derrière moi les respirations saccadées de mes deux compagnons tandis que j'allumais ma lampe torche. La pièce dans laquelle nous nous tenions maintenant était grande d'environ vingt mètres carré. Contre le mur était placé un gros placard à fusibles sur lequel des tableaux aux cases remplies étaient scotchés, bien que celles-ci étaient illisibles. Une plus petite table ainsi que quelques chaises se tenaient dans un coin. L'air, quant à lui, était froid et humide.
En bas de la pièce, un des murs s'ouvrait sur un passage plus long avec de gros tuyaux au plafond et des murs nus, sans portes. En réalité, je voulais faire demi-tour, mais il était, en même temps, impossible de résister. J'avais l'impression d'être un explorateur qui découvrait courageusement des pays dans lesquels personne n'était encore allé. Je pensais que l'endroit était vide depuis longtemps et qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur. Plus tard, j'apprendrai qu'une seule de ces deux choses était vraie...
Passé le choc de la découverte, et la panique redescendue, j'ai un peu repris confiance en moi, l'idée qu'il s'agissait d'un endroit oublié et immaculé commençant à s’imposer. Nous avons allumé nos lampes torches et entamé l'exploration des tunnels. Je me suis mis à ressentir de l'excitation, et l'impression d'être un explorateur était de retour. Les tunnels étaient sales, il y avait de la moisissure et des excréments de rats, des taches de différentes tailles et de différentes natures. Les murs étaient nus, à l'exception de quelques plaques isolées indiquant « Personnel autorisé seulement » ou « Port de l'équipement de protection obligatoire ».
Les odeurs, ou plus exactement, les puanteurs, variaient. Le plus souvent humides et rocailleuses, parfois plus huileuses. Il régnait constamment une lourde pénombre et un silence de mort. La seule chose que je pouvais entendre était mes amis explorateurs quelque part au loin. Nous nous étions éloignés les uns des autres depuis un moment, mais on s'était dit qu'on se reverrait à l'extérieur.
Avec un sursaut, j'ai tourné le cou, par réflexe. J'étais en train de regarder un calendrier sur le mur quand j'ai cru voir une sorte de petite lumière scintiller au loin, sur ma gauche. Mais non, ça ne pouvait pas être vrai. Ou alors, le faisceau de lumière de ma lampe s'était réfléchi sur quelque chose en verre ou en métal ? J'ai fait quelques pas vers la zone où j'avais vu le rond de lumière, voulant m'assurer que ce n’était rien de bizarre, qu'il y avait une explication rationnelle. Ce n'était vraiment pas une question d'héroïsme téméraire. Mais exactement au moment où la zone a rencontré la lumière de ma lampe torche, cette dernière s'est éteinte dans une clignotement.
Je n'avais jamais fait l'expérience d'une telle obscurité, d'une telle noirceur. L'atmosphère était si lourde et compacte que j'ai vite perdu la perception de mon corps et de ma position. J'ai lentement enlevé mon sac à dos et l'ai tâté jusqu'à en sentir la fermeture, pour chercher les batteries de secours que j'avais rangées dedans plus tôt dans la journée. Puis j'ai été ébloui par une lumière, et apeuré par un bruit soudain. Un clic électronique assez fort et sec s’est répandu dans la pièce, et par la même occasion, de fortes lumières se sont allumées au plafond. J'ai mis mon bras devant mes yeux pour atténuer la lumière aveuglante bleue et blanche, mon cœur battant la chamade. Le clic bruyant et la lumière m'avaient fait énormément flipper.
J'ai tendu l'oreille. Rien ne se faisait entendre. Il n'y avait ni Johan, ni Jonathan. Aucun autre bruit, si ce n’est le bourdonnement du tube fluorescent au-dessus de moi. Doucement, tout doucement, j'ai retiré ma main tremblante de devant mes yeux.
C'est là que j'ai vu ça. Ce que je vois parfois, encore maintenant, dans mes rêves et quand je ferme les yeux.
Des pupitres. Il y avait des pupitres.
Environ vingt-cinq, alignés, faisant face au mur. Ils ressemblaient à ceux que j'avais en primaire, avec un couvercle et un petit creux où on pouvait mettre des crayons et une gomme, mais ces pupitres-ci étaient quand même différents. Ils avaient l'air anciens. Usés et au bois assombri. À l'avant de la pièce se trouvait une estrade, une partie surélevée où il y avait un bureau d'enseignant et un harmonium.
Je ne pouvais rien faire d'autre que de rester totalement immobile. Mon corps était comme gelé, et mon regard errait à travers la pièce. Il y avait quelque chose de différent ici, par rapport au reste des tunnels. Quelque chose qui faisait battre mon cœur encore plus fort. Le sol était propre. Il n'était pas seulement exempt de détritus, de merdes de rat, de flétrissures humides et de vieux journaux que j'avais vus partout ailleurs dans les tunnels.
Il était propre. Vraiment propre. Même pas poussiéreux ou humide. L’estrade où se trouvaient le bureau et l’harmonium n'était pas non plus sale ou poussiéreuse. Tout était... joliment propre.
J'ai balayé la pièce du regard. Sur le mur était accroché une rangée de manteaux, principalement des imperméables, mais aussi des manteaux plus épais et plus chauds avec des capuches et des fermetures éclair. Néanmoins, leurs couleurs n'étaient pas aussi claires et vives que les vêtements d'extérieur pour enfants qu'on a l'habitude de voir. Ceux-là avaient l’air ternes, fatigués. Comme s'ils avaient été colorés autrefois mais étaient devenus sombres et graves après des années d'utilisation et des centaines de lavages. Le regard plein d'effroi et les yeux presque larmoyants, j'ai remarqué qu'un écriteau était placé au-dessus de chaque crochet.
Stig. Britt. Eva-Lena. Kjell.
Chaque manteau avait un crochet et chaque crochet avait son propre nom, écrit en lettres désordonnées, dessinées avec des pastels.
Anna. Leif. Birgitta. Gunnar.
Paralysé de terreur, j'ai laissé mon regard glisser vers les rangées de tables, de l'autre côté de la pièce. Je me suis alors à nouveau figé sur place.
Il y avait des dessins accrochés avec des épingles, sur le mur. Des centaines de dessins. Ce n'était cependant pas leur nombre qui m'avait glacé le sang. C'était ce qu'ils représentaient.
Des bonshommes bâtons dessinés au crayon noir. Violemment, comme si quelqu'un avait pressé le crayon contre le papier. Des traits rouges qui ressemblaient à des traînées de sang. Des êtres gigantesques avec les yeux rouge clair et les bras levés. Des bonshommes bâtons qui étaient chassés, qui perdaient leurs bras, leur tête. Qui hurlaient. Malgré le style enfantin et simpliste, je pouvais pratiquement entendre les dessins hurler de douleur et de peur.
Ils avaient tous l'air différents, mais le même thème revenait sans cesse. Sang. Peur. Un effroi indescriptible se dégageait des dessins. Pendant une milliseconde, j'aurais pu jurer que certains regards des bonshommes prenaient vie, qu'ils me regardaient avec des yeux suppliants. Comme s'il y avait quelque chose derrière le mur...
J'ai soudainement entendu un fort bruit de grincement. J'avais l'impression que ce son était celui d'un ongle aiguisé qui me déchirait le long de la colonne vertébrale. J'ai cherché du regard la source du bruit...
Jusqu'à cet instant, j'aurais peut-être pu tout expliquer. Un vieil abri, le tournage d'un film, une société secrète de jeux de rôle. Mais ce que je venais de voir là déjouait toutes les « explications rationnelles ». Un trait blanc était apparu sur le tableau noir. C'était l’origine du bruit que je venais d'entendre. Comme un clou qu'on frotterait lourdement contre le tableau.
Un nouveau trait. Les deux traits se rencontraient au sommet du premier et formaient le début d'un R. Encore un trait. Et encore un. À chaque trait, « l'écriture » s'accélérait et devenait de plus en plus agressive, stressée.
Le tout a finalement formé deux mots. « RETOURNE-TOI ! »
J'ai à peine eu le temps de réfléchir à ce que j’avais vu que la pièce se retrouvait de nouveau plongée dans le noir. Le tube fluorescent ne bourdonnait plus, mais j'entendais maintenant autre chose. Des bruits de pas. Les bruits de pas de plusieurs pieds légers en provenance des tunnels, comme s'ils couraient dans ma direction. Les bruits se rapprochaient de plus en plus. Ils résonnaient dans la pièce, et j'ai soudainement eu la sensation que les pas étaient juste derrière moi, à seulement quelques centimètres. J'ai reculé, non sans trébucher, vers l'entrée. Un rire s'est fait entendre au loin, ressemblant à celui d'une petite fille. Mais il semblait aussi sombre, distordu. Je me suis retourné et me suis mis à courir, me fichant de la lampe torche et des batteries.
Je n'entendais rien, sinon mon cœur battre dans mes tempes. Bam bam bam.
J'ai fini par apercevoir au loin la lumière de la porte qui se rapprochait de plus en plus, et ai vu en même temps du coin de l'œil une autre lumière lointaine, derrière moi. Davantage de rires fous et distordus. Bam bam bam.
Je me suis précipité comme un taré hors du tunnel, le souffle court. Dehors, l'air était frais, et une petite pluie avait commencé à tomber. Jonathan et Johan étaient chacun assis sur une pierre dans l'herbe et me regardaient avec étonnement. Jonathan rigolait un peu.
Johan m'a demandé pourquoi je courais, et je me suis alors rappelé que la porte était toujours ouverte. Bien que mon corps soit complètement éreinté par la peur, la panique et la fatigue, je me suis redressé et me suis dirigé vers le battant. J'ai posé ma main sur la poignée et, au même moment, je les ai entendues.
Au loin, retentissant entre les murs de béton nus, les notes claires d'un harmonium jouant une mélodie monotone et plaintive.
Je me suis tourné vers Johan et Jonathan, qui m'ont regardé avec des yeux pleins de terreur, confirmant ainsi ce que j'avais perçu. Ils l'avaient, eux aussi, entendue. La porte s'est refermée avec un bruit sourd. Et le son de l'orgue s'est tu.
Traduction : Astrophel
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C'est une traduction ou une creepypasta inventée ? Dans tous les cas, je l'ai beaucoup aimé : elle est très bien écrite, a un bon style reposant sur les descriptions détaillées et joue bien avec notre horizon d'attente.
RépondreSupprimerO mon dieux sa ma vrmt fait des frissons 😨
RépondreSupprimerC'est une creepy suédoise, dommage que je ne parles pas un seul traitre mot de suédois j'aurais bien aimé lire la version originale !
RépondreSupprimerMalgré l'avis des autres, je n'ai pas trop aimé. J'aurai plus vu ce texte sur le nécro, le style est trop littéraire a mon gout...
RépondreSupprimerJ'ai trouvé l'écriture parfois un peu maladroite, mais l'histoire était plaisante à découvrir, même si j'aurai bien aimé quelques détails de plus à propos de l'histoire des enfants et de l'harmonium, ou même du lieu lui même. Une creepypasta "l'école (2)" serai la bien venue de mon point de vu ^^
RépondreSupprimerrien compris
RépondreSupprimerJ’espère que c'est une blague.
SupprimerL'écriture et/ou la traduction sont maladroits, mais l'histoire est prenante !
RépondreSupprimerÇa ne va peut être pas assez loin par contre, je reste sur ma faim :-)
L'histoire est très bien écrite, j'en ai eu des frissons, et l'histoire est très prenante au fur et a mesure. Perso, j'ai kiffer cette creepy.
RépondreSupprimerPasta sympathique à lire, elle m"a donné des frissons à vrai dire, juste le coup du "retourne-toi" est assez éculé, à part ça, rien à dire.
RépondreSupprimerAttendez une excellente creepypasta sur ce site c'est un rêve?
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