Les prisons russes

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Depuis le 5 octobre 2021, les articles de presse se multiplient au sujet de l’effroyable système en place dans l’administration pénitentiaire russe. Plusieurs agences ont en effet pu prendre connaissance de vidéos tournées à l’intérieur des prisons russes, tirées d’une archive de pas moins de 40 Go de documents accablants. Ces vidéos contiennent des images particulièrement choquantes : les prisons sont en effet régulièrement le théâtre d’actes d’humiliation, de torture et de viol sur les prisonniers.

Les données révélées prouvent qu’il ne s’agit pas de cas isolés, mais d’une pratique qui remonte jusque dans les plus hautes stratifications du FSIN, l’autorité fédérale russe responsable du système des prisons, et du FSB. Les photos et les vidéos sont sauvegardées dans des archives secrètes des services de renseignement. Elles sont accompagnées de documents, dont certains ont également fuité, qui montrent que les sévices font partie de procédures totalement normalisées. Dans certains endroits, des centres spéciaux au sein des établissements pénitentiaires sont même réservés à ces activités, parfaitement connus par le personnel.

Les instructions proviennent de la chaîne de commandement, qui ne recule devant rien pour obtenir des aveux forcés, des informations sur un individu recherché ou extorquer de l’argent. La possibilité de « commander » de tels sévices serait également un « service » proposé officieusement par l’administration pénitentiaire à des personnes extérieures pour des sommes pouvant aller de 3 à 5 millions de roubles, soit 35 000 à 60 000€. Les viols et humiliations sont de plus filmés afin de pouvoir faire chanter les détenus en les désignant comme des « cibles sexuelles » après leur torture. Si les vidéos sont de trop mauvaise qualité, les victimes doivent subir de nouveau le même traitement uniquement pour améliorer les enregistrements.

Les sévices sont rarement effectués directement par les agents pénitentiaires. Ils payent plutôt d’autres détenus, qu’ils appellent « activistes », pour faire le sale boulot. Le matériel nécessaire pour la torture et les enregistrements leur sont en général transmis par d’autres anciens prisonniers qui ont accepté (de gré ou de force) de travailler pour leurs bourreaux. Ceux-ci peuvent aussi être amenés à couper volontairement les caméras de surveillance officielles des centres pendant les séances de torture. La plupart des vidéos tirées de l’archive qui a fuité ont été réalisées au moyen de caméras telles que celle de l’image ci-dessous, qui sont officiellement spécifiquement utilisées par les gardiens. L’horodatage et les numéros de série que l’on peut voir sur certaines vidéos sont d’ailleurs reconnaissables. 

Les tortures sont assez variées. Certaines prennent la forme d’humiliations lors desquelles les détenus sont réduits à moins que des animaux. Dans d’autres cas, ils sont brutalisés. L’image ci-dessous est notamment tirée d’une vidéo où les quatre détenus sont forcés de se tenir debout, nus dans une pièce, en tenant le sexe de leur voisin dans leurs mains, tandis que « l’activiste » se moque d’eux et les filme de près.

La suivante montre un détenu, là encore nu, brutalisé cette fois directement par des agents.

De tels incidents peuvent laisser des marques profondes, voire des blessures graves aux victimes. Nombreux sont les cas où les détenus présentent de gigantesques hématomes après avoir été maltraités.

Début octobre 2021, dans Le Monde, on décrit en particulier une vidéo filmée dans la prison de Saratov, une ville de l’Ouest de la Russie située à 726km au sud-est de Moscou. Un détenu est attaché sur un lit, ses jambes sont maintenues en l’air par un homme, tandis qu’un deuxième le viole au moyen d’une perche en lui infligeant probablement des blessures internes, à en juger par les hurlements de la victime. Un troisième filme la scène non pas avec un appareil personnel mais avec les systèmes appartenant à l’administration pénitentiaire russe. 

Le détenu ne cesse de répéter « pourquoi vous faites ça ? », sans jamais recevoir de réponse. Après environ deux minutes de torture, le violeur lui ordonne de se souvenir et d’avouer et le menace de le laisser trois jours avec la perche s’il ne coopère pas. À la fin de la vidéo, le tortionnaire semble volontairement donner un grand coup de perche en tournant, avant de la retirer et de sortir du champ.

Il faut savoir qu’une partie des activistes ne se contentent pas d’utiliser des perches pour effectuer leurs viols. Et c’est d’autant plus sordide lorsque l’on sait que le SIDA est une maladie très répandue dans ce milieu. Elle est utilisée comme élément de torture psychologique supplémentaire pour briser complètement l’esprit des détenus. Sur l’image suivante, le détenu est là encore attaché et maintenu, tandis que l’homme à droite s’apprête à le violer. On entend le moment où l’esprit du détenu se brise : il part dans une crise qui mêle rires et sanglots, sans davantage protester.

Certaines vidéos sont parfois tournées spécialement afin de décharger l'administration pénitentiaire de toute responsabilité. Les détenus sont forcés de dire qu'ils n'ont rien à reprocher à leurs gardiens, parfois immédiatement après leur séance de torture, comme dans la vidéo suivante. Le premier ne parvient même pas à s'exprimer et s'effondre, tandis que le deuxième, le regard hagard, parvient difficilement à répondre à ses tortionnaires.

Ces séances de torture peuvent parfois déraper et avoir des conséquences funestes. En 2018, le détenu Dmitry Batyrev a été tabassé à mort à coups de matraque car il ne voulait pas avouer qu’il avait commis les crimes dont on l’accusait. Il a ensuite été laissé à son sort par les médecins du centre pénitentiaire, qui considéraient qu’il ne faisait que simuler. Une vidéo a fuité, réalisée à la morgue, et montre clairement les traces de torture.

L’homme qui a révélé ces vidéos, Vladimir Ossetchkine, a lui-même été arrêté dans le début des années 2010 et a développé des problèmes de santé, notamment au niveau de ses yeux, après le traitement qu’il a subi pendant sa détention, qui a toutefois été écourtée. Il a fondé l’ONG Gulagu.net qui recense ce type d’histoires et publie régulièrement des preuves et de nouveaux éléments, qui sont parfois très difficiles à regarder. Il fait également intervenir des victimes de ces sévices dans les vidéos de sa chaîne, chez qui l’on peut parfois très clairement ressentir la cassure psychologique.

Dans une vidéo publiée le 9 octobre, un dénommé Sergueï, dont on ne voit pas le visage pour sa sécurité, raconte ce qu’il a subi en prison et désigne des coupables. Sa voix est traînante, hésitante, comme s’il n’était plus vraiment capable d’aligner rapidement ses pensées. Vers la fin de l’interview, à la question de pourquoi il s’est tourné vers Gulagu.net plutôt qu’ailleurs, il part dans une crise de fou rire incontrôlable et se met à hurler que personne n’en a rien à faire du sort des détenus et ne fera jamais rien, avant de réussir à se recentrer sur la conversation.

L’État russe semble paniquer devant l’ampleur de la fuite de données et essaye d’attribuer ces incidents à une mauvaise gestion très localisée. Leur but est de mettre hors d’état de cause les institutions fédérales, en particulier le FSB. Cependant, ces pratiques ont été constatées dans plusieurs régions de Russie, et les documents prouvent que les informations enregistrées à leur sujet par les branches locales du FSIN et du FSB étaient transmises au niveau national. Les coupables cherchent à protéger leurs positions, mais beaucoup craignent de se retrouver à leur tour de l’autre côté des barreaux, à la merci des « activistes ». Comme toute personne emprisonnée en Russie, que ce soit pour des crimes réels, des raisons politiques, parce que vous êtes un étranger qui pose trop de questions, ou parce que quelqu'un aura payé l'administration pour votre arrestation.

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