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J'arrive sur mes trente ans. J'ai une vie active, un homme avec qui j'espère me marier, un bon travail. Il n'y a pas longtemps, mon fiancé m'a fait remarquer que je ne lui parlais jamais de mon enfance avant mes treize ans. J'ai eu comme un déclic. Il avait raison. Pourtant, il n'y avait aucune mauvaise volonté de ma part, ni aucune honte qui me pousserait à cacher mon passé. Je l'avais simplement occulté. Quand j'ai réalisé ça, que j'avais moi-même muré cette partie de moi, ce passé, tout m'est revenu. Et aujourd'hui, je regrette d'avoir fouiné dans ce recoin de mon cerveau.
J'ai eu une famille atypique. Je ne sais pas vraiment comment vous raconter tout ça, alors je vais le faire en suivant l'ordre dans lequel mes souvenirs me sont revenus. Je pense que vous parler de ma famille est déjà un bon début.
Commençons par ma mère. Persuadée d'avoir des dons de médium et de guérisseuse, elle a été condamnée à plusieurs années de prison pour la mort de mon petit frère Joseph, après avoir refusé de l'emmener à l'hôpital suite à une importante brûlure lors d'un barbecue. Avec l'accord de mon père, dont je parlerai plus tard, elle a préféré soigner Joseph à l'aide de ses " dons " plutôt que d'appeler les pompiers. C'est ma tante qui, au bout de plusieurs semaines et suite à mon appel, l'a emmené d'urgence à l'hôpital. Sa blessure s'était infectée et les docteurs ont dû amputer sa jambe gauche, mais il était bien trop tard. Mon frère Joseph est mort à l'âge de dix ans. J'ai ensuite été placée chez ma grand-mère maternelle avec l'interdiction pour mes parents de me récupérer.
Mon père avait une confiance aveugle en ma mère et ses soi-disant dons, il ne la remettait jamais en question. Ce n'était pas un homme très intelligent, elle le dominait en quelque sorte. Aussi, il détournait le regard lorsqu’elle nous mettait en danger, mon frère et moi, volontairement ou pas. Il a fini ses jours seul, dans sa vieille et sombre maison de la campagne bretonne, à regretter sa vie et ce qu'il en avait fait.
Voilà dans quel environnement j'ai grandi. Mais malgré tout, ce ne sont pas ces événements qui m'ont fait oublier les trois-quarts de mon enfance.
Pour tout dire, je n'avais jamais vu ma grand-mère avant d'être placée chez elle. Ma mère ne parlait jamais d’elle et à chaque fois que l'on évoquait mon grand-père, elle entrait dans des crises d'hystérie que seul mon père parvenait à calmer. Ma mamie s'appelait Louise. C'était quelqu'un de calme, qui ne parlait jamais pour ne rien dire. Elle vivait seule dans la forêt près de Rocroi, dans les Ardennes, mais était née et avait grandi en Bretagne. Elle habitait une petite maison de bois très rustique. C'était une femme indépendante, qui s'occupait de son logis avec vigueur. Elle savait se débrouiller et se servait de sa voiture une fois par mois pour aller faire ses courses en ville.
Comme ma mère, et je pense que c'est d’elle qu'elle tenait ça, ma grand-mère était versée dans l'ésotérisme. J'avais remarqué certains livres dans sa bibliothèque qui intriguaient la petite fille que j'étais. D'épais ouvrages reliés de cuir, aux noms indéchiffrables pour moi. Mais ce n'était pas une sorcière, disons qu'elle pratiquait plus la magie à la façon des anciens du village, ceux qui vivent ou ont vécu à la campagne sauront de quoi je parle. C’était plus de la superstition que de la véritable magie.
Je me souviens que dans son salon, il y avait un petit guéridon que mamie Louise avait transformé en autel à la mémoire de papy. Je ne l’ai jamais connu car il est mort avant ma naissance. Elle avait disposé cinq bougies autour d'un cadre contenant sa photo. J'avais interdiction de m'en approcher, et de souffler les bougies pour quelque raison. Ma grand-mère prenait également soin de ne jamais créer de courants d'air dans la maison. On n'ouvrait jamais une porte ou une fenêtre si une autre l’était déjà.
Quand le soleil se couchait, mamie déposait un plat recouvert d'une serviette blanche sur le rebord de la fenêtre, à l'extérieur de la maison. Avec tout l'amour que je lui porte encore aujourd'hui, je dois admettre que vivre avec elle ne me plaisait pas. Il y avait constamment une ambiance lourde de secrets, de choses non dites, de regards inquiétants, d'interdits. Mamie Louise ne parlait pas souvent et restait la plupart du temps dans le salon à tricoter. Quant à moi, je passais le temps en grattant le bout rouge des allumettes pour ne garder que le bois et tenter d'en faire des châteaux. Je m'amusais comme je le pouvais.
Je n'osais pas sortir seule dans la forêt et à chaque fois que je demandais à mamie de m'accompagner, elle restait immobile, sans rien dire. De colère face à son mutisme, me sentant ignorée, je courais parfois jusqu'à la porte d'entrée, bien décidée à aller jouer dehors avec ou sans elle. Mais à chaque fois, au moment de passer le battant, j'étais paralysée de peur. La forêt n'avait rien d'inquiétant, mais c'était plus fort que moi. Je ne pouvais pas franchir le seuil de la maison sans succomber à une peur panique. Alors je revenais auprès d’elle, qui continuait à tricoter, un sourire satisfait sur le visage.
Une fois, en passant devant une bougie, l'air que mon passage avait dérangé l'a soufflée. Ma grand-mère était assise dos à moi et ne pouvait pas me voir. Alors comme une petite fille, j'ai tenté de cacher ma bêtise. J'ai pris une des bougies pour rallumer la mèche éteinte. Alors que j'approchais la flamme, mamie m'a appelée pour que je vienne près d'elle. Elle savait. C'est peut-être l'odeur de la fumée qui l'avait alertée. Elle m'a demandé de m'asseoir à côté d'elle. Elle a posé sa main sur ma cuisse. J'ai regardé son visage en pensant y voir de la colère, mais elle pleurait. Sa face était crispée dans une expression de dégoût et des larmes coulaient de ses joues. Sa main est doucement remontée le long de ma cuisse vers le haut, comme une caresse. Mamie Louise pleurait toujours et semblait lutter, retroussant avec peine ses lèvres pour articuler quelque chose. Alors que sa main effleurait mon entrejambe, elle a hurlé : « RALLUME LA BOUGIE ! ». Ce que je me suis empressée de faire, terrifiée. Une fois celle-ci allumée, mamie a séché ses larmes, puis sans rien dire, est partie préparer le dîner.
Maintenant, j'aborde la partie délicate. Vous êtes libres de croire ou non à ce qui va suivre, je n'écris pas pour convaincre qui que ce soit mais pour m'exorciser d'un souvenir que j'avais miraculeusement oublié et que j'aimerais de nouveau sceller.
Un soir, ma grand-mère, comme d'habitude, emmenait un plat recouvert d'une serviette en tissu pour le poser sur le rebord extérieur de la fenêtre. Alors qu'elle ouvrait la fenêtre du salon, j'ai relevé de mon côté celle de la cuisine pour fermer les volets. J'ai aussitôt senti un courant d'air et j'ai tout de suite pensé aux bougies, avant d’entendre un grand fracas de vaisselle brisée dans le salon. J'ai aussitôt fermé la fenêtre et j'ai accouru pour trouver mamie, livide, devant l'autel dédié à mon grand-père dont les bougies étaient comme je le pensais, éteintes. À ses pieds, le plat était brisé.
Mamie Louise m'a alors jeté un regard que je n'oublierai jamais, et s'est jetée sur le paquet d'allumettes, vide. Par ma faute. J'avais tout utilisé pour fabriquer un château qui n'avait même pas tenu. Devant son affolement, je me suis mise à pleurer. Quelque chose n'allait pas. Elle a poussé un petit gémissement puis est passée devant moi sans même me regarder. La nuit commençait à tomber et on y voyait déjà plus grand-chose dans le salon. Elle a grimpé les escaliers à toute vitesse et j'ai entendu la porte de sa chambre claquer. Puis plus rien. Un silence qui encore aujourd'hui, me terrorise. Je ne peux m'endormir que si j'entends la radio ou la télé. Au grand dam de mon fiancé.
J'ai ramassé les morceaux du plat et récupéré la serviette en tissu. Jusque-là, je n'avais jamais pu voir ce que mettait mamie Louise dans ce plat qu'elle s'évertuait à poser sur le rebord de la fenêtre, tous les soirs, à la nuit tombante. Je croyais à de la nourriture, mais il n'en était rien. J'ai découvert, ce soir-là, une petite poupée de chiffon, avec de la laine jaune en guise de cheveux et une petite robe rose. J'étais terrifiée. C'était moi dans ma tenue de nuit, la robe avec laquelle je dormais.
J'ai alors entendu la porte de la chambre de ma grand-mère s'ouvrir doucement. Des pas lents ont commencé à descendre l'escalier. Sans savoir pourquoi, je me suis ruée derrière le canapé pour me cacher. Quelque chose n'allait pas, j'avais l'impression que mamie essayait de se faufiler sans que je ne l'entende. Au fond de moi, je sentais que ce n'était pas mamie Louise qui descendait l'escalier. Que quelque chose d'autre était dans la maison avec moi. J'ai entendu sa voix, beaucoup plus proche que je ne le pensais. J'ai levé la tête, elle se tenait juste devant le canapé. Aujourd'hui je crois, sans savoir pourquoi, qu'elle savait où je me cachais avant même d’être en bas.
Je me suis levée et je suis sortie de ma cachette. Que pouvais-je faire d'autre ? Elle s'est approchée de moi et m'a serrée dans ses bras en m'assurant que tout allait bien. Je l'ai crue. J'avais envie de la croire. J'étais une enfant terrorisée. Elle a pris ma main dans la sienne, je me sentais presque rassurée. Puis, elle s'est assise dans son fauteuil et m'a invitée à venir sur ses genoux. Il faisait noir, la nuit était totalement tombée. Je ne distinguais pas bien son visage, mais je crois qu'elle souriait. Je me suis assise sur ses genoux, face à elle. D'une manière ou d'une autre, je n'osais pas lui tourner le dos. Elle a caressé mes cheveux puis ma joue, essuyant mes larmes. Sa main est descendue le long de mon épaule puis s'est attardée sur ma poitrine naissante. J'ai à nouveau senti que quelque chose n'allait pas. Je n'aimais pas la façon dont elle me touchait. Ni son sourire qui s'était élargi. Elle dégageait une odeur d'alcool et de tabac qui me donne encore la nausée, quand j'y repense.
J'ai repoussé sa main et je me suis levée, toujours lui faisant face. Son sourire s'est estompé. Elle s'est levée d'un bond et s'est jetée sur moi. Elle a enfilé quelque chose sur ma tête et a recouvert mon visage. C'était épais, élastique, et ça m'empêchait de respirer. J'ai tout de suite compris qu'elle essayait de m'étouffer avec le bonnet de bain qu'elle utilisait pour garder ses cheveux au sec sous la douche. J'essayais de hurler, mais je ne pouvais pas reprendre mon souffle. Je me débattais, griffais ses mains qui me maintenaient avec une force sidérante. Je ne sais pas combien de temps tout ça a duré. Probablement pas longtemps, même si ça me parait une éternité. J'entends encore aujourd'hui le son de sa voix, les mots qu'elle a prononcés.
Sa voix était beaucoup plus grave, mais c'était toujours la sienne. Son accent en revanche, n'était plus le même. Elle ne cessait de répéter : « Tu vas être obéissante, tu vas m'écouter ! »
Mais soudain, elle a lâché prise et je suis tombée au sol. Elle se tenait devant moi, agrippant son bras à l'aide de sa main comme pour l'empêcher de se mouvoir. Ses deux membres semblaient lutter l'un contre l'autre. Elle a poussé un hurlement terrifiant et a traversé la maison en courant, a ouvert la porte d'entrée et a disparu dans la nuit. Moi, je suis restée quelques instants à reprendre mon souffle, incapable du moindre mouvement. Ensuite, quand j'ai senti que mes jambes pouvaient de nouveau me porter, j'ai couru tout le long du chemin jusqu'à la ville, m'attendant à tout moment à ce que le monstre qu'était devenue ma grand-mère ne se jette à ma poursuite. Mais il n'en a rien été. Je suis tombée dans les pommes, exténuée, devant les portes de la mairie.
Écrire tout ça a été difficile, j'ai dû faire de longues pauses. Lorsque l'on m'a retrouvée à l'époque, j'avais dit que quelqu'un s'était introduit dans la maison pour me faire du mal et que mamie l'avait poursuivi dans les bois. C'était évidemment faux, mais personne n'aurait cru la vraie version des faits. Depuis que tous ces souvenirs ont refait surface, j'ai parlé à ma tante. Elle m'a dit qu'après la mort de mon grand-père, mamie Louise n'avait plus été la même. Mon grand-père qui d'ailleurs, était de ses dires un homme mauvais qui avait plusieurs fois jeté des regards malsains sur ma mère et elle.
Le plus étrange dans tout ça, c'est que j'aime toujours ma mamie. Je pense qu'au fond, elle essayait de me protéger. De quoi ? J'ai quelques hypothèses mais aucune certitude. Mais ce qui est sûr, c'est que quand mamie Louise a gravi les marches de l'escalier ce soir-là, c'était la dernière fois que je la voyais. Quant à ce qui est descendu dans le salon ensuite, à pas de loup, tentant de se faufiler dans le noir et qui a disparu dans l'obscurité en hurlant, je ne saurai probablement jamais ce que c'était…
Cette creepypasta vous est offerte grâce au travail de Atepomaros, qui a assuré la compilation des éléments nécessaires à sa rédaction, de Undetermined.B et Sawsad qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et de Noname et Gordjack qui se sont chargés de la correction et la mise en forme. L'équipe de Creepypasta from the Crypt n'affirme ni ne dément la véracité du présent article et invite les lecteurs à se faire leur propre avis sur la question. L'équipe décline également toute responsabilité en cas de disparition ou de mort, douloureuse ou non, s'ensuivant des éventuelles recherches menées à cet effet.
Pas mal !
RépondreSupprimerPersonnelement je pense que c'est le grand pere qui a ""pris possession"" de la grand mere pour faire des atouchement (et surement plus) a sa petite fille et que la grand mere mettait la poupee pour ""calmer"" les ardeur de son defun mari
RépondreSupprimerC'est exactement à ça que je pensais, la grand mère a quand même réussi à reprendre partiellement le contrôle pour éviter que le grand père étouffe la protagoniste, gg
SupprimerVraiment excellente celle-ci, courte, percutante, ambiance malsaine sans trop en faire, et bien ficelée en plus !
RépondreSupprimerPerso je vois trois hypothèses:
1) Même supposition que Jérémy, l'esprit du grand-père prend possession de la mémé dès que les bougies sont éteintes
2) La grand-mère s'est retrouvée possédée par un esprit maléfique en faisant joujou avec l'occulte (pas forcément celui du grand-père)
3) La mémé est juste complètement tarée (brisée par le deuil ?) et blâme le pépé pour ses propres actes
Excellente creepypasta, en plus bien française, parfait !
RépondreSupprimerEt qui traite d'un sujet bien tabou : l'inceste.
On comprend vite que le grand-père était incestueux. La grand-mère et la mère se sont sans doute jetées dans la magie et la superstition pour s'en protéger. Comme si l'incestueux, en bannissant l'interdit de l'inceste, était banni de l'humanité et rejoignait le monde des démons et esprits maléfiques.
Et, comme le montre Sid, plusieurs interprétations sont possibles, ce qui rend la creepypasta encore plus excellente
Oui
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