La radio des insomniaques : volume 1

Temps approximatif de lecture : 4 minutes.

Je suis animateur de nuit sur une petite radio peu connue. À cause de mes horaires de diffusion, c’est assez difficile de me trouver un public d’auditeurs fidèles. La plupart des gens qui viennent m’écouter sont là parce qu’ils divaguent et n’arrivent pas à trouver le sommeil, d’où le nom « la Radio des insomniaques ». Je parle généralement de tout et de rien, de faits divers et d’actualités… Mais ironiquement, le sujet de l’émission qui marche le mieux est celui pour lequel je demande aux auditeurs d’appeler, pour témoigner de leurs problèmes de troubles du sommeil à l’antenne.

Ne croyez pas qu’il n’y ait que des appels de gens venus se plaindre qu’ils dorment mal ou font des cauchemars. Il y en a bien quelques-uns, mais c’est un sujet qui amène souvent son lot de bizarrerie et d’histoires parfois franchement inquiétantes, et c’est de celles-ci dont je voudrais vous faire part. Après tout, ce n’est pas parce que vous n’écoutez pas mon émission que vous n’avez pas le droit de profiter de ces anecdotes, pas vrai ?

La première dont je vais vous parler m’a été racontée par une mère de famille s’occupant de ses deux enfants et de son père malade. Il y a de ça quelque temps, ses deux fils ont commencé à lui dire quasiment chaque matin que toutes les nuits ils faisaient tous les deux le même cauchemar. Ils lui disaient que dans ce fameux « cauchemar commun » ils pouvaient voir un homme masqué déambuler d’un bout à l’autre de leur chambre. Bien entendu, mon auditrice ne les a pas crus, persuadée qu’ils avaient inventé cette sordide histoire pour la faire marcher.

Les jours avançaient et ses enfants avaient de plus en plus d’appréhension quand l’heure du coucher arrivait. Le plus jeune des deux avait même entrepris de dessiner la personne que son frère et lui voyaient dans une tentative de montrer à leur mère à quoi elle ressemblait. Plus tard, après l’émission, cette auditrice m’a transmis par mail, à ma demande, des images des dessins. Les voici :

Le premier dessin représentant l'homme en train de déambuler dans la chambre.

Et un second montrant ce dernier penché au-dessus du lit d'un des garçons.

Un matin, l’aîné a emmené sa mère dans la chambre pour lui montrer qu’à son réveil il avait trouvé des traces de terre sur le tapis au milieu de la pièce. Mais refusant de croire les histoires invraisemblables de ses fils, notre jeune mère a simplement pensé qu’il avait sali le tapis avec ses chaussures après avoir joué dehors la veille et qu’il voulait se couvrir en utilisant l’histoire de l’homme.

C’est dingue de voir à quel point on peut trouver des tas d’excuses, d’explications en tout genre quand on veut se persuader qu’une histoire est fausse. Et dire que notre auditrice a dit à l’antenne qu’elle regrettait de ne pas avoir cru ses enfants plus tôt…

Mais tout ça n’est pas terminé. Une nuit où elle dormait mal, elle a entendu le parquet de la chambre des enfants grincer. De ce qu’elle m’a dit, elle aurait d’abord pensé que l’un d’eux avait décidé de se lever pour une quelconque raison. Alors, elle a pris la décision d’aller jeter un œil dans le but de demander ce qu’il y avait. En arrivant dans leur pièce, elle a vu son vieux père, le visage caché et un couteau à la main, en train de traverser les lieux de long en large devant ses deux fils. Ce que les garçons pensaient être une sorte de cauchemar était en réalité leur grand-père atteint de démence qui se levait chaque nuit pour déambuler dans la maison sans raison apparente, le visage camouflé et un couteau à la main. Ne voulant pas croire que leur papy adoré pouvait être capable de faire une chose pareille, les enfants s’étaient persuadés qu’ils faisaient un cauchemar et que cette personne était soit un fantôme, soit leur imagination, comme disait leur mère.

Prise de panique en découvrant ça, notre auditrice a pris la décision de trouver une maison spécialisée pour son père. Après son départ, ses fils n’ont plus jamais fait de « cauchemars » et ont simplement cessé de parler de tout ça.

Je me souviens également de ce jour (ou plutôt de cette nuit) où un jeune homme a appelé pour parler de ses expériences de paralysie du sommeil. Malheureusement pour lui, il avait l’habitude d’en faire depuis son adolescence. À chaque fois qu’il se réveillait en pleine nuit avec cette sensation de lourdeur sur la poitrine, comme si quelque chose la comprimait et qu’il ne pouvait ni bouger ni appeler à l’aide, il savait ce qui l’attendait.

Il m’a dit que durant la majorité de ses « crises » il voyait un monstre, une hallucination. Et il ne pouvait rien faire d’autre que regarder et attendre que ce soit terminé. Au début, il était terrifié. Il se disait que ce n’était pas réel, comme un cauchemar, mais il en avait vraiment peur. Puis à force, avec le temps, il a commencé à se dire que c’était dans sa tête et que ça n’allait pas durer.

Il avait même fini par donner un nom à ce monstre qu’il voyait presque systématiquement dans ses hallucinations, il l’appelait « la Chose ». Comme une image est bien plus parlante qu’une simple description, le jeune homme a accepté de m’envoyer par mail une photo d’un dessin de la Chose, réalisé par une amie à lui :

La Chose représentée par l'amie de notre auditeur.

Malgré le fait qu’avec le temps il n’était plus aussi terrifié que les premières fois, les paralysies du sommeil étaient toujours aussi éprouvantes pour lui. D’après ce qu’il a dit à l’antenne, plus les paralysies se avançaient, et plus la Chose était proche  de lui.

À la première apparition, elle était dans le couloir, à la deuxième, elle était presque devant la porte de la chambre, et ainsi de suite… Au début, il n’a pas prêté attention à ce détail, après tout, c’était dans sa tête. C’est le jour où la Chose s’est retrouvée au pied de son lit, à frotter ses griffes sur ses jambes, qu’il a commencé à y prêter beaucoup plus d’attention. D’après ses dires, à son réveil ses jambes portaient vraiment des traces.

J’avoue que même lorsqu’il était en ligne avec moi je n’ai pas pu lui donner d’explications rationnelles… Apparemment il vivait seul, sans aucun animal. Était-ce possible qu’il se soit infligé ces griffures lui-même ? En pleine paralysie, j’en doute quand même.

Il n’empêche que la Chose monte visiblement de plus en plus haut sur le corps de notre auditeur et que, d’après lui, de nouvelles marques voient le jour à chaque nouvelle apparition. Le jeune homme serait même devenu insomniaque à cause du stress engendré par ce mystère…

Ce sera tout pour aujourd’hui. J’ai encore de nombreuses histoires étranges venant de nos auditeurs, mais il n’y aurait pas d’intérêt à toutes vous les raconter d’un coup. Alors chers lecteurs, j'espère que vous aimez les anecdotes de la Radio des insomniaques et que vous allez réussir à être patients jusqu’aux prochaines.

La radio des insomniaques : volume 2

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