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lundi 14 novembre 2022

Légendes urbaines du Bangladesh, partie 1


Temps approximatif de lecture : 6 minutes.

J’ai souvent voyagé au Bangladesh quand j’étais enfant. Je passais la plupart des vacances d’été dans la ville de Khulna, où je partageais mon temps entre mes grands-parents et mes cousines. Ces dernières étaient férues d’histoires d’horreur : nous avons passé bon nombre de soirées assises en tailleur autour d’une bougie à se raconter des légendes effrayantes. Parfois, mon père ou mon oncle se joignaient à nous, sous le regard désapprobateur de leurs femmes, pour essayer de nous faire peur. Le plus souvent, nous avions droit à l’histoire de la “penta buri”, une vieille femme qui faisait fermenter du riz toute la nuit pour attirer les enfants au petit matin et les dévorer. Très honnêtement, ça nous faisait plus rire qu’autre chose, parce que, vraiment, qui irait manger du riz qui a croupi dans de l’eau toute la nuit ? Malgré tout, nous ne nous lassions pas d’écouter ces histoires.


Certains soirs, nous restions éveillées jusqu’à tard dans la nuit, à écouter des témoignages de phénomènes paranormaux locaux sur “bhoot radio”, ce qui se traduit globalement par “radio fantôme”.. Je me souviens tout particulièrement d’une histoire, où le présentateur rapportait que plusieurs crânes d’enfants et de bébés avaient été retrouvés dans les fondations d’un pont du Rupsha, qui s’était écroulé suite aux inondations récentes. Il a ensuite listé tous les événements inexplicables qui s’étaient déroulés sur les lieux : pleurs d’enfants, sensation d’étouffement, sensation d’angoisse inexpliquée, froid inhabituel, plusieurs personnes ont même raconté avoir été tirées vers le précipice. Il avait conclu en disant que les esprits de ces jeunes enfants hantaient les personnes qui les piétinaient en marchant sur le pont. En y repensant, c’était sûrement faux, mais à l’époque, cette histoire m’avait particulièrement impressionnée, et j’avais eu peur de me retrouver seule dans une pièce pendant tout le reste du voyage. Je croyais voir des esprits dans le noir, ce qui m’empêchait de m’endormir, le moindre bruit me faisait sursauter. Je n’arrivais à m’assoupir qu’après l’appel à la prière du fajr, qui sonnait vers 2h ou 3h du matin. Autant vous dire que j’étais loin d’être en forme. Ça ne m’a cependant pas empêchée de continuer à suivre mes cousines quand elles parlaient d’histoire d’horreur.

Il faut savoir qu’au Bangladesh, il y a souvent des coupures de courant, qui durent une à deux heures, souvent après 18h, donc après le coucher du Soleil. On se retrouvait donc dans le noir, sans ventilateur, à mourir de chaud à la lumière des bougies et à se faire dévorer par les moustiques. Dans ces moments-là, il nous arrivait de monter sur le toit, éclairé par la Lune et les étoiles (et par les autres quartiers qui n’avaient pas subi de coupure de courant), pour profiter des vents plus frais. Il y avait des palmiers qui poussaient à côté de notre immeuble, dont les feuilles caressaient les rebords de notre toit. On les déchirait pour les tresser et en faire des boîtes, des éventails, des couronnes… Bien sûr, les adultes nous disaient de faire attention et de ne pas trop nous approcher du bord. Ma mère a été jusqu’à me raconter qu’il y avait un fantôme qui agrippait les bras des enfants qui s’approchaient trop près du vide et les faisaient basculer. Curieusement, j’y avais cru. Je pense que l’ambiance globale me rendait beaucoup plus susceptible de croire à tout et n’importe quoi. Toujours est-il qu’après ça, je restais sagement à une distance de plus d’un mètre du bord. Surtout que j’avais l’impression de voir une silhouette humaine dans la couronne des palmiers… Les noix de coco et l’obscurité, sûrement.

Quand nous ne montions pas sur le toit, nous prenions une bougie et nous nous isolions dans une pièce (enfin, c’est un bien grand mot, quand l’embrasure des portes n’était fermée que d’un simple voile) pour invoquer des fantômes ou pour pratiquer des exorcismes. Nous étions en général trois : Ria, qui avait un an de moins que moi, et Tonny qui avait quelques mois de plus que moi. Nous avions fait une planche ouija maison, avec de vieilles planches en carton. Il faut savoir que nous habitions au rez-de-chaussée de l’immeuble et que mon oncle louait le premier étage à deux autres familles. L’une d’elles avait deux enfants : un garçon d’environ 16-17 ans et une fille de 5 ans, Mina. La petite fille était ingérable : elle hurlait, tapait les gens, tirait les cheveux, déchirait les affaires des autres, arrachait les vêtements. Aucune réprimande ne semblait fonctionner. Les châtiments corporels pleuvaient également mais aucun changement de comportement n’avait été constaté. Ria était persuadée qu’elle était possédée par un démon et que nous devions l’exorciser pour notre paix à tous. Je n’étais pas vraiment convaincue, mais la voisine me terrorisait et j’étais curieuse de voir à quoi ressemblait un exorcisme.

Nous nous sommes donc toutes les trois réunies autour d’une bougie un soir, pendant une énième coupure de courant. Tonny avait apporté une aiguille pour que nous nous piquions le doigt, parce qu’il fallait un sacrifice pour invoquer un esprit malfaisant. Elle m’a aussi dit que je n’avais pas besoin de le faire : je crois qu’elle me prenait pour une petite chose fragile vu que j’habitais en Occident et que je n’étais pas aussi solide qu’elles, qui avaient grandi dans les rues poussiéreuses de Khulna. Dans cette situation, ça m’a vraiment arrangé, je n’avais vraiment pas envie de m’écorcher le doigt. En repensant à toutes les maladies que j’aurais pu attraper avec cette aiguille sale et pleine de sang, j’en frissonne encore. Bref, Tonny et Ria avaient exécuté le rituel avant de passer leur doigt au-dessus de la flamme et le poser sur la goutte. Je les ai rejointes et la séance a pu commencer.

Ria a commencé par poser des questions banales comme : “esprit, es-tu là ?”, “est-ce que tu hantes Mina ?” ou encore “quel est ton nom ?”. Évidemment, aucun mouvement. Tout d’un coup, Mina a déboulé dans la pièce et nous a sauté dessus en nous frappant. Tonny l’a violemment repoussée et Mina s’est écroulée en se cognant la tête. Elle a fini par repartir en criant et en courant. À ce moment-là, un courant d’air a traversé l’appartement, faisant vaciller la flamme de la bougie. Nous avions un paquet d’allumettes à proximité au cas où la bougie s’éteindrait, mais vraiment, nous n’avions pas envie de nous en servir. C’est toujours une plaie entre le grattoir abîmé et la tige humide. Nous avons repris notre séance, bien énervées par cette interruption brutale. Ria a marmonné quelque chose d’assez désobligeant, Tonny répliquait qu’elle voudrait bien en être débarrassée, et pour ma part, je dois avouer que j’étais assez d’accord, j’en avais marre d’être effrayée en permanence.

Nous avons reposé le doigt sur la goutte lorsqu’un bruitassourdissant venant des escaliers nous a fait sursauter. Tout le monde s’est précipité pour voir ce qu’il se passait : Mina était tombée dans les escaliers et avait dévalé la pente jusqu’au pas de notre porte. Elle ressemblait à une poupée désarticulée avec son genou plié dans le mauvais sens et son épaule déboitée. On nous a rapidement fait partir de la scène, pendant que ses parents l’emmenaient à l’hôpital. Mes parents ont d’ailleurs aidé sa famille à payer ses frais d’hospitalisation.

Je l’ai recroisée, de nombreuses années plus tard. J’avais presque oublié son existence. Elle était en fauteuil roulant, mutique, elle ne communiquait plus. Ses parents se démenaient pour s’occuper d’elle. J’ai également appris que son grand frère avait été emprisonné pour pédophilie, avant d’être tué. Avec le recul, je me demande encore s’il est possible que notre “exorcisme” ait été responsable de sa chute. Et si son comportement n’était pas lié à son frère.

Cette creepypasta vous est offerte grâce au travail de Litanie, qui a assuré la compilation des éléments nécessaires à sa rédaction, de Magnosa, Seven et AngeNoire qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et de Océane qui s'est chargé de la correction et la mise en forme. L'équipe de Creepypasta from the Crypt n'affirme ni ne dément la véracité du présent article et invite les lecteurs à se faire leur propre avis sur la question. L'équipe décline également toute responsabilité en cas de disparition ou de mort, douloureuse ou non, s'ensuivant des éventuelles recherches menées à cet effet.

5 commentaires:

  1. Franchement très cool

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  2. Whoa... J'ai pas tout compris mais c'était cool UwU

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  3. C'est intéressant ces découvertes culturelles. Enfin moi j'aime bien voir comment les autres cultures se font peur et quelles sont leurs légendes.

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    1. Tellement d'accord, l'occulture occidentale a ses limites !

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