Bien
souvent, au sein de leur famille, les fratries se mettent en
constante compétition avec des activités malsaines. Alors que les
choses pourraient être simples.
Si
simples ...
Mon
frère Rémi n'était pas de ce genre-là. Nous avions toujours eu un
rapport complice, il me montrait sans cesse des jeux à faire dans la
maison. Ma mère ne comprenait jamais, et s’énervait beaucoup en
qualifiant mes loisirs de bêtises dangereuses. Mais mon frère était
toujours présent pour arrondir les angles en prenant ma défense.
Réellement, je vous le dis : on devrait tous avoir un grand
frère comme modèle. Lorsque j'ai grandi, les choses ont quelque peu
commencé à changer. Il ne me poussait plus vers ces sources
d'amusements en solo, il voulait à présent jouer avec moi, être à
mes côtés pour mieux me guider. Inutile de dire que j'étais aux
anges.
Un
jour, alors que j'avais six ans, Rémi s'est approché de moi en
catimini, et a chuchoté à mon oreille : " Hé frérot, tu
voudrais t'amuser et devenir un grand ? Un vrai de vrai ? "
Il souriait gentiment, une main derrière le dos, comme s'il cachait
quelque chose. De l'autre, il m'a fait signe de venir avec lui.
Flatté et amusé, je l'ai suivi.
Arrivé
dans sa chambre, on s'est assis l'un en face de l'autre sur le
parquet. Il a alors posé de petites sphères rouges sur le sol. "
Indiana Jones en personne croque dans ces bonbons avant de partir à
l'aventure. Il est tellement costaud qu'il les mange par cinq. Toi
aussi t'es un guerrier, frérot ! "
D'un
geste, il a poussé les friandises vers moi. Peu rassuré, j'ai
secoué la tête. " J'ai jamais vu qu'il se nourrissait avec ces
machins dans ses films." " C'est parce qu'il le cache,
pardi! Il va quand même pas montrer toutes ces astuces à tout le
monde. Mais Indiana Jones le sait, moi je le sais, et toi aussi
maintenant ! "
Comme
mon idole, je voulais être un guerrier. Alors, j'ai enfourné les
cinq bonbons en même temps, et ai croqué. Un feu a envahi ma
bouche, brûlant ma langue et mes gencives alors que mes lèvres se
mettaient à enfler. La brûlure s'est étendue jusqu'à ma gorge,
tandis que je me mettais à tousser et à suffoquer. Ma mère, qui
était en bas, a entendu mon corps tomber lourdement au sol. Elle a
grimpé l'escalier, couru dans le couloir, et pénétré dans la
chambre. Elle a aussitôt été renseignée par mon frère : "
Il... Il a avalé de travers. Je ne sais pas ce que je dois faire."
J'ai
passé quelques heures à l'hôpital. Cependant, les médecins ont dû
assurer à ma mère que ce n'était rien, car dans la journée,
j'étais de retour chez moi.
Les
jours suivants, c'était comme si mon sens du goût avait été
altéré. De toute façon, la brûlure qui persistait dans ma bouche
m'a dégoûté pendant un moment de l'acte de manger.
Quant
à mon frère, il se répandait toute la journée en excuses. Il
s'était trompé dans le choix des bonbons, et avait pris des
friandises totalement différentes de celles du film. Je m'en voulais
de l'amener involontairement à se justifier. Après tout, on devrait
tous avoir ce genre de grand frère exemplaire.
De
tous les endroits de la maison, le grand escalier en bois, dont ma
mère nous avait formellement interdit l'accès, avait fini par
devenir le lieu préféré de mon frère. Un soir, il s'est approché
de la première marche, des craies et un chiffon à la main. Il s'est
ensuite tourné vers moi : " Tu voudrais retomber ?
Retomber en enfance ?" Il avait cet air énigmatique sur le
visage, admirant le vieil escalier.
"
Maman nous a interdit d'y aller. Elle dit que c'est dangereux."
"
Maman dit ci, maman dit ça ! Espèce de poule mouillée ! Elle est
pas ici au cas où tu l'as pas vu, donc on a le champ libre. "
J'étais
déjà prêt à éclater en sanglots, et je regardais mon frère avec
de plus en plus de réticence. Rémi avait rarement été dans cet
état d'agacement et de rébellion. Il a ignoré mon regard, et a
tracé à la craie des chiffres, des traits et des spirales sur les
premières marches. " Et le jeu du jour est... ( Il a mimé un
mouvement de frappe violent sur un tambour imaginaire)... La marelle
!" Paniqué, j'ai jeté un œil vers l'escalier, et ce jeu
insensé.
"
Je ne veux pas jouer."
"
Oh que si, tu vas le faire. Moi, je vais m' amuser ! Ton rôle
en tant que frangin, c'est de venir jouer avec moi. Allez c'est
facile ! Je commence pour te montrer l'exemple."
Il
est venu se placer sur la toute première marche, puis s'est
cramponné à la rampe de l'escalier, et a sauté sur la deuxième en
équilibre sur son pied droit. Il a ri, et est revenu vers moi."
Rapide, simple et efficace. Rien qu'une marche, une seule. Mais pour
ton tour, on va juste un peu corser les choses."
Il
s'est penché,et s'est mis à défaire mes lacets. Les larmes aux
yeux, je l'ai regardé faire. Lorsqu'il s'est redressé, il m'a
regardé avec un grand sourire. Un sourire, qui, étrangement, me
dérangeait.
"
Rappelle-toi, rien qu'une marche. "
Malgré
toutes mes peurs, toutes mes réticences, la volonté tenace d'épater
mon frère l'a emporté. Je me suis positionné sur la première
marche, ai serré la rampe, et sauté sur la deuxième, m'appuyant
sur mon pied droit.
Mais
alors que je m'apprêtais à souffler, la voix autoritaire de mon
frère s'est élevée. " Encore !" J'ai baissé la tête
sur la marche suivante, qui m'apparaissait trouble. Je pleurais, et
des larmes de peur ruisselaient sur mes joues, mouillant l'escalier.
"
Allez, saute encore !"
J'ai
fait ce qu'il me disait. J'ai sauté sur la troisième marche,
prenant appui sur mon pied gauche. Lorsque ma semelle a touché le
rebord, j'ai immédiatement regretté. Mon pied, manquant d'appui, a
dérapé sur celui-ci, et tout mon corps s'est retrouvé projeté en
avant.
Dit
comme ça, trois marches, ça semble peu. Mais pour un garçon de mon
âge, ça représentait une chute terrifiante. J'ai dégringolé
douloureusement l'escalier, alors que mon corps se tordait dans un
enchevêtrement bizarre de pieds, de bras, de mains et de jambes
tordues dans des angles improbables, le tout accompagné d'un concert
de craquements que j'aurais préféré oublier.
Alors
que j'étais là, étendu au bas des marches, je pouvais entendre mon
frère rire, et crier : " Encore, encore ! "
Voilà
un an que je suis coincé dans ce fauteuil roulant, sans même savoir
pourquoi. Mon grand frère est toujours aux petits soins avec moi,
mais notre complicité a changé. Il refuse qu'on joue ensemble, ou
de me lancer des défis comme avant. Il dit qu'il est sûr qu'il
gagnerait, et qu'il n'y a donc aucun intérêt.
Oh,
et autre chose !
Un
bébé est venu agrandir les rangs des garçons de la famille. Je
regarde d'ailleurs souvent Rémi s'occuper de lui. Peut-être
enfonce-t-il le biberon trop loin dans sa bouche, et peut-être le
berce-t-il un peu trop fort, mais je sais qu'il n'en est pas moins un
frère exemplaire. Le soir, je l'entends chuchoter à l'oreille du
nouveau-né : "Je jouerai avec toi. Je jouerai avec toi tous les
jours. Et tous les jours, je te laisserai gagner..."
D'une
certaine manière, ça me fait chaud au cœur. Ce petit aura une
chance phénoménale de pouvoir jouer avec un tel frère, comme j'en
ai moi-même eue.
J'espère
que vous aussi, vous avez un Rémi, un grand frère dans votre
famille. Je le souhaite à tous, de tout cœur.
Après
tout, on devrait tous avoir un grand frère pour modèle.
Stup'Horror, notre chaîne partenaire, a réalisé une vidéo où est contée cette histoire. Vous pouvez la retrouver via ce lien !
Pas mal ^^ la pasta réussi à laisser planer le doute sur le grand frère: véritable socipathe ou petit con inconscient de la gravité de ses actes ?
RépondreSupprimerLa dernière phrase est aussi toute en subtilité, «je jouerai avec toi tous les jours et je te laisserai gagner»... Regrets sincères ou menaces à peine déguisées ?
La double interprétation laisse le choix de se demander si l'aîné est sain d'esprit mais insonscient ou totalement dérangé en effet ;)
SupprimerArf... J'ai beaucoup aimé la pasta, tout le long je me suis inquiété pour le personnage principal et méfié du frère... J'ai juste eu un sentiment de perte de réalisme à la fin, où il ne fait rien pour "protéger" son petit frère. Je comprends tout à fait qu'il soit aveuglé par sa vision du grand frère parfait, mais pour moi soit la mère aurait agi, soit il aurait compris, ou autre. En bref très bonne pasta, petit regret de la perte en réalisme de la fin (mais c'est aussi lié à ma perception des choses). Bonne continuation à l'auteur.
RépondreSupprimerC'est quoi les bonbons qu'il lui fait graille ?
RépondreSupprimerDes bonbon au piment je pence
SupprimerUn premier dialogue magnifique me ramenant en enfance mais le deuxième dialogue est très forcé et trop irrealiste. Une pasta qui aurait su tirer d'une histoire plus longue.
RépondreSupprimerTrès sympathique, mais je pense qu'il manque un petit quelque chose qui nous permettrait de comprendre pourquoi ce Rémi est considéré comme un "frère exemplaire". Parce que du coup, on a juste l'impression que le narrateur est tout simplement très bête 🤔
RépondreSupprimerc'est frustrant qu'on sache pas s'il est taré ou s'il est inconscient, mais vraiment bonne pasta
RépondreSupprimer