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Comme énormément de monde, j'aime les parcs d'attractions. Les sensations fortes, l'effervescence, les cris, les rires, parfois même les pleurs à la sortie du train fantôme. Mais j'imagine que personne ici ne connaît le Parc aux Lumières. En fait, si vous êtes en capacité de lire ce texte, il est très probable que vous n'en ayez jamais entendu parler. Ce récit vous paraîtra sans doute saugrenu, mais nul doute que vous bénirez le jour où vous l'aurez lu si vous tombez par hasard sur ce lieu.
Et c'est bien la seule façon de le trouver : par hasard. Enfin, pas totalement. D'après mes recherches, on tombe sur le parc lorsque l'on traverse des périodes difficiles. Décès d'un proche, rupture douloureuse, état dépressif plus ou moins avancé. C'est comme si une force inconnue, le destin diront certains, plaçait le Parc aux Lumières sur notre chemin en ces temps amers, comme pour nous réconforter. D'une drôle de manière, vous en conviendrez au fil du récit. Je ne parlerai pas ici d'un cas en particulier, mais de généralités concernant l’endroit que j'ai pu constater et regrouper selon les différents témoignages.
Comme je l'ai dit, on tombe toujours sur le Parc aux Lumières par hasard : à la sortie d'un virage en rase campagne, sur un chemin de terre au beau milieu de la forêt. Jamais près d'une grande ville, jamais près d'habitations. Toujours la nuit. Un Américain a trouvé le parc alors qu'il faisait du stop en plein milieu du désert. Un Allemand a croisé sa route lors d'une randonnée nocturne en montagne. Et un Français est tombé dessus après avoir conduit sa voiture dans le fossé sur une route de campagne.
Au premier abord, le parc paraît immense. Mais plus notre regard s'attarde dessus, plus il semble rétrécir. Comme si sa volonté première était d'impressionner, d'écraser par sa grandeur. Puis, comme mu par une envie d'attirer les visiteurs, il regagne une taille humaine, plus intime. Ceux qui en ont fait la rencontre l'ont décrit comme un spectacle lumineux incroyable. D’autant plus qu'il a lieu dans des endroits complètement incongrus et déserts. Des lampions rouges, jaunes et blancs sont suspendus absolument partout, donnant l'impression qu'une ville s'est réveillée et est sortie du sol au milieu de nulle part. De l'extérieur, on peut voir les montagnes russes, les chapiteaux, les ballons multicolores. Mais tous les témoins ont été frappés par l'absence de bruit. Aucune musique, aucun son ne provient des chariots vides dévalant les pentes des montagnes russes.
Bien que les témoins aient démontré une certaine curiosité, ils ne se sentaient pas irrémédiablement attirés par les lieux. Il n'y a aucun sortilège qui les auraient poussés à s’enfoncer dans le Parc aux Lumières. Tous y sont entrés de leur plein gré et quelques-uns ne sont même pas allés jusque-là. Un Japonais par exemple, qui avait croisé la route du parc une nuit entre Tokyo et Osaka, a déclaré s'être arrêté au seuil de l'entrée puis avoir fait demi-tour, car il avait cru que l'endroit était fermé. Nulle obligation de pénétrer dans le parc donc.
Concentrons-nous donc sur ceux qui sont allés à l’intérieur. C'est quand on pénètre dans le parc qu'on commence finalement à entendre quelque chose. Une musique lointaine, un écho presque. Comme si le son provenait d'un haut-parleur dont on aurait réduit le volume au minimum. Ce qui frappe le plus dans cet endroit, c'est l'absence de monde. Il n'y a absolument personne. Pas de queue devant le stand de pop-corn ou devant le train fantôme. Pourtant, toutes les attractions sont ouvertes. Le tir au pigeon attend que quelqu'un vienne tenter sa chance. Les boîtes de conserve empilées du jeu de massacre patientent dans l’attente d’être chahutées par une balle. Là aussi, il n'y a aucun personnel. Le parc fonctionne seul.
Les témoins décrivent alors, tous sans exception, une sensation étrange qui s'empare d'eux. Ils ont soudainement l'impression que ce parc n'est pas là par hasard. Plus précisément et sans pouvoir l'expliquer, que le Parc aux Lumières est ici pour eux. Ils ressentent aussi que, pour une raison inconnue, ils ont quelque chose de bénéfique à retirer de cette "aventure"… Alors naturellement, on s'avance plus loin dans le parc. On déambule sans vraiment avoir de but dans les allées vides, toujours bercé par cette musique lointaine. Et on entre dans une attraction. C'est à partir de ce moment-là que les choses prennent une autre tournure.
Une seconde émotion s'immisce alors en nous, d’après les témoins. Une sorte d'obligation implicite : on ne doit pas sortir avant d'avoir fait toutes les attractions. Quelque chose nous fait ressentir que partir à ce stade-là pourrait s'avérer dangereux. La nature de la menace demeure inconnue, mais bien présente en nous. Alors on enchaîne les attractions, qui sont étonnement peu nombreuses. Le Parc aux Lumières est beaucoup plus petit une fois que l'on pénètre à l'intérieur. Et plus on enchaîne les manèges, plus l'ambiance des lieux change.
Une fois le grand huit effectué, certains stands se retrouvent fermés. Et après être allé au train fantôme, les lumières de l'entrée s’éteignent. C'est généralement après la seconde attraction qu'apparaissent d’ailleurs les panneaux "RESPECTEZ LA RÈGLE". Disséminés un peu partout, ils semblent rappeler à l'ordre les visiteurs, leur rappelant une injonction dont ils ignorent tout. À la fin de la balade des amoureux, en descendant des bateaux en forme de cygnes, il n'y a plus de musique. En fin de compte, au fur et à mesure que l’on enchaîne les attractions, le parc devient austère. On a de plus en plus l'impression d'être un intrus, plus exactement, on a l’impression de se trouver quelque part où on ne devrait pas être. Une fois passée la dernière attraction, les choses varient selon les témoignages.
Ainsi, deux Américains ont déclaré être ressortis du parc par l'entrée, comme on le ferait normalement. Un Suisse s'est endormi sur un banc, et s'est réveillé allongé sous un abribus. Un Mexicain a dit avoir vu une immense lumière puis avoir repris connaissance sur le quai d'une gare. Mais ils avaient tous l'impression que quelque chose en eux avait changé. En bien ou en mal.
Sur soixante témoins, trente-huit ont déclaré que leur vie était restée la même après les faits. Douze ont vu leur situation s'améliorer ; chance en amour, richesse, promotion professionnelle… la vie a pris un tournant heureux pour ceux-ci. Et dix autres sont tombés dans la dépression, la maladie, voire la démence. Selon leur déclaration et celles de leurs proches, les lumières vives leur faisaient mal aux yeux, le moindre bruit les faisait sursauter et l'odeur de la barbe-à-papa les plongeait dans le mutisme. Sur ces dix personnes, cinq se sont suicidées. Bien sûr, on ne peut relier formellement ces changements de situation à la rencontre avec le Parc aux Lumières, ce ne sont que de simples constatations.
Néanmoins, avec toutes les infos que j'ai compilées, j'ai compris que tout le monde, à une période de sa vie où ses défenses sont au plus bas, peut tomber sur le Parc aux Lumières. Si vous pensez pouvoir en retirer quelque chose de bénéfique, libre à vous d'y entrer. Toutefois, lisez bien le passage qui suit. Avec tous ces confessions, j'ai pu établir une sorte de "notice" pour que les choses se passent bien. J'ai mis en commun les témoignages les plus "heureux", comme ils possédaient plus de similarités que ceux plus sombres. J'en ai déduit les choses à faire, et celles à ne pas faire.
- Ceux qui s'en sont le mieux sortis ont commencé par le tunnel des amoureux. On peut y voir trois spectacles de poupées : la première scène montre l'amour naissant entre un homme et une femme ; la seconde voit le couple se séparer ; mais lorsque le bateau sur lequel vous vous trouvez passera la troisième porte, fermez les yeux. Vous entendrez des bruits très forts, certains si près de vous que vous sentirez votre corps trembler. Un mélange de musique dissonante et de hurlements disent certains. Quoi qu'il arrive, n'ouvrez pas les yeux. Des cinq personnes qui se sont suicidées, toutes avaient désobéi.
- Montez ensuite dans le grand huit. Vous le trouverez étonnamment silencieux, car le chariot ne fait aucun bruit lorsqu'il se déplace sur les rails. Vous non plus, ne faites aucun bruit. J'expliquerai ce point plus en détail un peu plus tard. Le manège n'est pas très haut, il ne sera donc pas difficile de retenir vos cris en cas de sensations fortes. Arrive ainsi un phénomène assez étrange, qui n'a pas été vécu par tous les témoins de la même façon. Pour certains, le tour de grand huit a duré des heures. D'autres ont rapporté qu'ils n'avaient même pas eu l'impression d'avoir parcouru les rails jusqu'à la fin. En fait, ils ne se souviennent même pas être descendus de l’attraction. Quoi qu'il arrive, prenez votre mal en patience. Ne criez pas. Ne sortez pas vos bras du chariot.
- Les panneaux "RESPECTEZ LA RÈGLE" vont apparaître. Ils seront plus ou moins nombreux, qu’importe ce qu’il s’est passé dans le grand huit. Au fil des témoignages, j'en ai déduit que cette règle se situe autour de l’idée qu’il ne faut pas attirer l'attention. Ne pas crier ou faire de gestes extravagants. Surtout que plus l'heure avance, moins il ne semble que votre présence soit la bienvenue. Quant à ce qui arriverait si vous ne respectiez pas cette injonction, je n'en ai aucune idée. Il n'y a qu'un seul cas dans lequel une personne a crié lors du grand huit ; un Italien qui est entré dans le parc avec son petit frère, ce qui en fait d'ailleurs le seul cas où deux personnes sont entrées en même temps. Lors du tour, le plus jeune a crié, impressionné par la descente. Ils ont ensuite enchaîné les attractions, mais les lumières se sont éteintes bien plus vite que ce qu'ont rapporté les autres témoins. Lorsqu'ils en eurent fini avec le parc, l’italien rapporta qu'un voile noir était passé devant ses yeux et qu'il s'était retrouvé à marcher au bord de la route, seul. Il n'a jamais revu son petit frère.
- Dirigez-vous vers le train fantôme et installez-vous dans un wagon. Concentrez-vous sur vous et n'ouvrez pas les yeux là non plus. De toute façon, il n'y a rien à voir, le wagon se déplace dans l'obscurité la plus totale. À l'occasion, vous sentirez quelque chose vous frôler. Ne criez pas, respectez la règle. Vous ressortirez de l'autre côté au bout de quelques minutes. Bien que ce ne soit pas le manège le plus effrayant, les témoins affirment que ces quelques minutes sont celles durant lesquelles ils se sont sentis le plus en danger, sans toutefois pouvoir l'expliquer.
- La dernière attraction, c'est le carrousel. Si vous avez respecté l'ordre établi plus haut, il devrait s'agir du dernier manège encore allumé. Tout le reste du parc sera plongé dans le noir. Je ne sais pas si ce détail a quoi que ce soit en rapport avec leur bonne fortune, mais les douze personnes qui s'en sont les mieux sorties étaient assises dans le carrosse de princesse. Ne prenez pas de risques. Et respectez toujours la règle. Vous me direz qu'il n'y a pas de quoi hurler de terreur sur un vieux carrousel, vous auriez raison. Mais du coin de l'œil, il y a de fortes chances que vous apercevrez des choses bouger dans l'obscurité autour du manège. Il est possible que vous croirez voir s'agiter les chevaux de bois derrière vous. Peut-être qu'au loin, d'un coup d'œil fugace, vous verrez l'ours en train de jongler ou le clown qui attend sagement les visiteurs, derrière le comptoir du stand du jeu de massacre. Il arrivera peut-être que l'espace de quelques secondes, vous ne soyez pas seul dans le carrosse. Mais quoi qu'il arrive, respectez la règle.
Après ça, vous serez normalement venu à bout du Parc aux Lumières sain et sauf. Sortez comme vous le pouvez, sinon, comme pour certains, le parc s'en chargera. Voilà tout ce que j'ai pu déduire des différents témoignages. Ce qui se passe ensuite est encore moins sûr. Bonheur, malheur, richesse, maladie, rien n'est garanti.
Une chose l’est néanmoins, c'est que vous n'êtes pas obligés d'entrer dans le Parc aux Lumières. Pour ma part, je n'ai jamais croisé sa route. Mais ma vie n'est pas terminée et elle me réserve sûrement des passages compliqués. Il y aura certainement des moments où je serai au plus bas. Qui sait alors si au détour d'un chemin, je ne tomberai pas sur les magnifiques lumières de ce parc vide ?
Si vous êtes vous-même dans une période sombre, je ne saurais trop vous conseiller que de ne pas vous promener dans des coins trop isolés quand le soleil a disparu derrière l'horizon. Quelque part, le Parc aux Lumières attend patiemment de croiser nos routes. Si cela arrivait, repensez à ce que vous venez de lire. Et surtout, respectez la règle.
Cette creepypasta vous est offerte grâce au travail de Atepomaros, qui a assuré la compilation des éléments nécessaires à sa rédaction, de Criv et Orizy qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et de Antinotice et Noname qui se sont chargés de la correction et la mise en forme. L'équipe de Creepypasta from the Crypt n'affirme ni ne dément la véracité du présent article et invite les lecteurs à se faire leur propre avis sur la question. L'équipe décline également toute responsabilité en cas de disparition ou de mort, douloureuse ou non, s'ensuivant des éventuelles recherches menées à cet effet.
J'ai adoré cette pasta, très bien écrite et on est bien pris dans l'histoire !
RépondreSupprimerIl y a toujours un côté sinistre qui contraste avec le côté joyeux et festif dans les pastas sur les parcs d'attraction/cirques etc...
Je m'y attendais à d'avantage, mais néanmoins, cette pasta est très efficace et nous donne donc envie de nous y immerger .
RépondreSupprimerMême si j'ai tendance à très déçu de l'ensemble des publications de ces deux dernières années, on y retrouve tout de même des pépites, qui font que je continu à être fan de ce site . Cette pasta en est un exemple vivant .
RépondreSupprimerJe trouve au contraire que les publications de ces deux dernières années sont plus qualitative qu'avant
SupprimerManque à cette pasta, une fin plus bouleversante, un truc qui rajouterais peut être un questionnement ou un détail perturbant,...
RépondreSupprimerLe détail perturbant à mon sens, c'est qu'on peut analyser ce parc des Lumières comme une métaphore de l'introspection, d'un voyage à l'intérieur de nous-mêmes. Il y a ceux qui sont en harmonie avec eux-mêmes, qui respectent les «règles» et donc s'en sortent, et au contraire ceux qui crient, succombent à la peur et plongent finalement dans la démence ou la dépression. Bien sûr, ce n'est qu'une interprétation, très imparfaite, mais je trouve quand même le parallèle intéressant.
RépondreSupprimerC'est bien vu Sid, je rajouterais également que l'auteur aurait lui même fait un tour au parc des lumières. Même si il dit d'avoir fait des recherches et reçu le témoignage de différent témoins, certain passages sont fort détaillés et laisse perplexe. Par exemple le passage : "Alors naturellement, on s'avance plus loin dans le parc. On déambule sans vraiment avoir de but dans les allées vides, toujours bercé par cette musique lointaine. Et on entre dans une attraction..."
SupprimerTres intrigante cette pasta fr, elle est vraiment bien écrite!
RépondreSupprimerJ'adore cette pasta, l'ambiance est superbement détaillée et le coté rituel pasta est la cerise sur le gâteau
RépondreSupprimerSuis-je le seul à avoir pensé aux EMI ?
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