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En tant que chrétien, je n'ai jamais vraiment fêté Halloween. Peu le savent, mais c'est une tradition obscure pour nous autres, et les croyants les plus fervents se refusent catégoriquement d'y faire participer leurs enfants. J'ai été de ceux-là, de ces mômes privés de la tournée des bonbons, alors que leurs camarades en parlaient à chaque début d'année scolaire avec des étoiles dans les yeux.
Tous les ans, le soir du 31 Octobre, je m'accoudais à la fenêtre du salon et je regardais les autres enfants déambuler dehors en riant, déguisés jusqu'au bout du nez. À vrai dire, ça ne me rendait pas vraiment triste. Ma mère m'avait appris que prendre part à une tradition d'origine païenne comme celle-ci reviendrait à renier notre serment d'allégeance envers Dieu. Cette explication m'avait suffi, et je m'étais contenté d'observer avec intérêt, chaque année jusqu'à mes douze ans, cette coutume étrangère.
La première fois que je me suis surpris à observer ce défilé de costumes passant dans le quartier en réclamant des friandises, j'avais cinq ans. En jouant dans le salon, j'ai brusquement tourné la tête après avoir entendu un cri de joie à l'extérieur et me suis précipité à la fenêtre. Dans la rue, il y avait trois enfants plus âgés que moi, déguisés en sorcier, momie et citrouille, jubilant devant le contenu des sacs qu'ils tenaient en main. En regardant avec plus d'attention, j'ai réalisé que le contenu en question était un ensemble coloré d'emballages attrayants. De fait, j’ai tout de suite compris de quoi il retournait. Fasciné par ces trois mômes costumés et par leur butin, j'ai aussitôt appelé ma mère pour lui montrer, et c'est là qu'elle m'a expliqué qu'il s'agissait d'une tradition païenne. Un peu déçu, j'ai acquiescé et me suis retourné vers la fenêtre pour continuer à y scruter sorcières et démons, fées et magiciens, jusqu'à ce que l'on m'arrache à ma contemplation pour me mettre au lit.
Depuis ce jour, année après année, j'ai répété la manœuvre, en pleine fascination devant le défilé horrifique et sucré qui passait sous ma fenêtre. Certaines fois, les enfants faisaient peur au voisinage en poussant des cris effrayants avant de s'enfuir en courant ; d'autres, ils étaient accompagnés d'adultes grimés comme eux et s'amusaient à répéter la fameuse formule « un bonbon ou un sort ».
L'année de mes huit ans a été celle où tout le monde a commencé à en parler à l'école, à l'approche du 31 Octobre. J'ai dû refuser plusieurs invitations de mes amis qui voulaient que j’y participe avec eux cette année-là. Évidemment, ils se sont moqués de mes raisons, mais je m'en fichais. Je continuerais de les observer depuis la fenêtre, avec un mélange d'émerveillement et de curiosité.
Je pense que ce qui me fascinait le plus, c'étaient les costumes. Chaque année, si la plupart de ceux qui participaient semblaient s'habiller de la même façon que leurs prédécesseurs, certains faisaient un effort pour redoubler d'inventivité. J'ai ainsi vu passer un clown tueur plus vrai que nature, tronçonneuse bruyante incluse, un monstre de Frankenstein terrifiant à en faire pâlir le Diable, un médecin fou avec des airs d'évadé d'asile psychiatrique…
Néanmoins, comparées aux autres, il y a deux années qui m'ont particulièrement marqué. La première a été celle de mes neuf ans. Comme à mon habitude, à la nuit tombante, je m'étais installé à la fenêtre du salon, les yeux rivés sur la rue. Ma mère avait pris l'habitude de me donner quelques bonbons le soir d'Halloween, pour compenser le fait que je ne pouvais y participer. J'étais donc là, suçant un caramel et scrutant les ténèbres naissantes qui voyaient évoluer une foule de petits monstres rieurs, amassant friandise sur friandise.
Je ne m'en suis rappelé que bien plus tard, mais tout a commencé par un bruit sourd dans le lointain, qui a résonné dans la rue. Puis, environ cinq minutes plus tard, les plaintes sont venues. Des plaintes horribles, gutturales, des gémissements de douleur à peine articulés qui se rapprochaient lentement. Quand je l'ai vu apparaître à environ vingt mètres de la maison, sur la gauche, à la lumière d'un lampadaire sous lequel il venait de s'arrêter, mon premier réflexe a été d'écarquiller les yeux d'admiration pour l'inventivité de l'homme qui se tenait là. Son costume consistait en un jean gris et un pull beige tachés d'une hémoglobine qui brillait sous le luminaire. Et son masque... la partie supérieure consistait en des yeux et un nez normaux, quoique recouverts de sang. Quant à la partie inférieure, il s'agissait d'une mâchoire explosée présentant des dents partiellement manquantes, en-dessous desquelles pendaient des lambeaux de chair mollement suspendus à un menton inexistant. J'avais vu défiler bien des costumes, et jamais je n'avais vu pareil souci du détail. C'est alors que j'ai remarqué que les enfants détalaient en courant et en hurlant devant le nouveau venu, qui s'était remis à avancer en gémissant, vers la porte de l'un de nos voisins. Quelques secondes plus tard, ma mère a fait irruption dans la pièce et m'a ordonné de filer dans ma chambre.
Vous vous en doutez, il ne s'agissait pas d'un masque, contrairement à ce que m'avaient fait voir mes yeux d'enfants et la lumière éthérée du lampadaire de notre rue. Ce n'est que bien plus tard que ma mère m'a raconté ce qu'il s'était réellement passé ce soir-là. À une rue de chez nous, un homme avait tenté de mettre fin à ses jours d'une balle sous le menton, mais avait raté son coup et s'était explosé la mâchoire. En état de choc et incapable de parler, d'appeler qui que ce soit, il était sorti de chez lui dans l'espoir de trouver de l'aide, mais personne ne lui avait ouvert, les gens étant terrifiés par son apparence et ses borborygmes suppliants, qui sonnaient comme des plaintes agressives à leurs oreilles. Un voisin a néanmoins appelé la police au moment où l'homme arrivait dans notre rue en continuant d'appeler à l'aide avec ce qu'il lui restait de voix, et il a été appréhendé peu après que ma mère m'a arraché à la fenêtre, inquiétée par les voitures de police qui arrivaient en quatrième vitesse depuis l'autre côté de la rue. Les brigadiers ont ensuite emmené le pauvre hère à l'hôpital, lequel est décédé de son hémorragie sur le chemin.
Aujourd'hui, je me dis que si quelqu'un lui avait ouvert la porte et avait compris sa situation, il aurait peut-être pu survivre. Ma mère, elle, maintient que ceux qui tentent de mettre fin à leurs jours le font en toute conscience, et qu'il s'agit d'un affront envers notre Seigneur. Elle pense que sa mort était inévitable dès le moment où il avait appuyé sur la détente.
Je la trouve dure, même après tant d'années. Elle refuse peut-être d'admettre que c'est aussi un peu de notre faute, dans le fond.
Le deuxième événement, lui, est survenu lorsque j'avais douze ans. À vrai dire, le précédent ne m'avait pas secoué plus que ça. À cet âge, j'étais encore trop jeune pour comprendre ce qu'il s'était réellement passé, et ma mère ne m'en a avisé que quelques années plus tard.
Bref, peu avant Halloween, cette année-là, un nouveau voisin, que nous appellerons M. Dupont, a emménagé dans la maison en face de la nôtre, de l'autre côté de la rue. Ma mère l'a aussitôt invité à dîner, désireuse de se montrer hospitalière. M. Dupont était un homme d'une quarantaine d'années, dont nous avons appris ce soir-là qu'il avait décidé de déménager après un divorce difficile. Malgré tout, il était drôle, et sa moustache grisonnante lui donnait des airs de papa gâteau. Ma mère et moi l'avions apprécié, pour être honnête.
Voici ce qui nous ramène à ce fameux soir du 31 Octobre de mes douze ans. La nuit commençait à tomber et les enfants à sortir de chez eux en riant et criant de joie. Depuis ma fenêtre, j'avais une vue directe sur la maison de M. Dupont. Il l’avait allègrement décorée pour l'occasion : guirlandes, citrouilles sculptées, même un automate de la faucheuse, tout y était. Il avait vraiment fait les choses en grand. Dans tous les cas, comme à chaque Halloween, j'étais satisfait. Les enfants allaient et venaient dans leurs costumes redoublant d'inventivité ou de sobriété ; et à l'instar des autres voisins, M. Dupont, élégamment déguisé en Comte Dracula, affichait un grand sourire à chaque fois qu'il leur ouvrait la porte, remplissant leurs sacs de petits emballages colorés. De là où je me trouvais, si je n'avais su à qui appartenait cette maison, je n'aurais pas reconnu le voisin tant son déguisement était élaboré. J'ai sifflé d'admiration, et me suis réintéressé au flot d'enfants qui brassait la rue.
Galvanisé par ce spectacle, comparant intérieurement les plus beaux costumes que j'avais vus jusqu'à maintenant pour déterminer lequel était le meilleur, je mangeais distraitement les bonbons offerts par ma mère jusqu'à ce qu'un événement que j'ai sur le coup qualifié d'anodin ne survienne. Ouvrant une énième fois sa porte à un charmant couple de trolls, notre nouveau voisin, souriant, a mis une main dans le paquet qu'il tenait mais l'a ressortie presque aussitôt, constatant visiblement qu'il était vide. Il a alors semblé hésiter un moment, puis a invité le binôme à entrer d'un signe de la main. Sans doute allait-il chercher de quoi recharger ses réserves de bonbons. Il devait penser que les choses iraient plus vite si les enfants venaient avec lui. Mis en confiance par le bonhomme, ceux-ci, un garçon et une fille, sont entrés et ont disparu à l'intérieur. L'homme a refermé la porte derrière eux.
Très vite, j'ai oublié cet événement et me suis remis à scruter la rue à la recherche du plus beau costume, regardant avec fascination les groupes d'enfants qui allaient de porte en porte en réclamant des friandises. De temps en temps, certains sonnaient chez le nouveau voisin, mais étrangement, le battant demeurait chaque fois hermétiquement clos. Peu à peu, le mouvement dans la rue a ralenti, jusqu'à ce que plus personne ne s'y trouve, lui rendant son calme habituel. J'ai alors repensé au duo entré dans la maison de M. Dupont il y avait une heure déjà, mais au moment où je commençais à me dire que je ne devais simplement pas les avoir vus sortir et allais me résoudre à partir me coucher, j'ai vu la porte de son garage s'ouvrir et sa voiture en sortir en trombe. À l'intérieur, deux petites silhouettes se trouvaient sur la banquette arrière.
Ce n'est que le lendemain que j'ai su ce qu'il était arrivé ce soir-là, aux informations. Un véhicule en fuite, poursuivi par la police, avait violemment percuté un arbre et aucun passager n'avait survécu. Deux enfants et leur père, que la justice avait temporairement séparés. L'homme avait en effet été éloigné du frère et de la sœur à la suite d’une mise en examen, sa femme et plusieurs autres témoins ayant porté plainte après avoir découvert qu'il abusait régulièrement de ses deux jeunes enfants. En attendant le procès, il avait été placé sous contrôle judiciaire, et avait été contraint de déménager à l'autre bout de la ville. Qui, je vous le donne en mille, s'avérait aussi être celle où nous nous trouvions. Selon toute vraisemblance, il n'avait pas choisi cette rue au hasard et avait misé sur le fait que c'était un point de passage quasi-obligé le soir d'Halloween pour espérer y retrouver ses enfants. Déguisé de la tête aux pieds, il ne s'était pas fait reconnaître d'eux, et avait profité de leur naïveté pour les kidnapper et tenter de partir à l'étranger avec eux avant que la police ne se rende compte de leur disparition. Malheureusement pour lui, celle-ci avait été immédiatement signalée à la brigade qui avait eu tôt fait de rattraper l'homme. Conscient de ce qu'il risquait, il avait paniqué et perdu le contrôle de son véhicule, trouvant la mort et emmenant ses enfants avec lui.
Là encore, vous avez dû le voir venir. Cet homme, dont la photo apparaissait en gros plan sur l'écran, c'était M. Dupont. Un père alcoolique délesté de ses droits familiaux pour présomption de pédophilie, qui n'était venu dans le quartier que pour une chose : kidnapper ses propres enfants et quitter le pays avec eux avant que la justice ne les lui prenne définitivement.
Je n'ai jamais rien dit sur ce que j'avais vu ce soir-là, et personne ne m'a jamais posé aucune question sur le sujet. Les autres voisins, quant à eux, ont bien entendu été horrifiés, car personne n'aurait pu se douter que le gentil bonhomme à la moustache grisonnante qui avait récemment emménagé ici était un criminel en attente de jugement prêt à tout risquer pour récidiver. Concernant cet événement, ma mère n'a rien dit. Elle m'a laissé regarder le journal régional du début à la fin, sans piper mot, et nous n'avons jamais parlé de cette affaire par la suite. Je pense, honnêtement, que c'est pour le mieux.
Quoi qu'il en fût, ça a été le dernier Halloween que j'ai observé. Je pense que si d'un côté je grandissais, au fond de moi, il y avait toujours l'image de ces enfants que j'avais vus entrer chez le voisin par la porte, pour en sortir dans une voiture qui les mènerait à la mort. J'aurais dû me poser des questions à ce moment-là. Comprendre que quelque chose n'allait pas. Mais je n'ai rien fait. J'ai préféré ignorer la chose et m'en détourner. Peut-être que je savais que cet événement n'était pas normal, mais le déni était tellement plus simple à envisager. Après tout, je ne désirais qu'une chose : profiter de la soirée et des costumes défilants qu'elle m'offrait. La seule fois où j'ai raconté ce secret à quelqu'un était au confessionnal, et même si le prêtre m'a dit ce jour-là que je n'avais rien à me reprocher et que Dieu me pardonnait, je n'arrive pas à me défaire de cette culpabilité.
Encore aujourd'hui, des années plus tard, je repense à cet homme défiguré, à ces enfants qui étaient enfin délivrés des griffes du pécheur qu'était leur géniteur, mais dont la liberté n'avait pas duré plus longtemps qu'un souffle. En un sens, ma mère a raison. Même si elle a tort sur le fait que cet homme méritait ce qui lui est arrivé, Halloween est une fête païenne où s'estompe la protection du Seigneur. Ni l'homme à la mâchoire explosée ni ces enfants n'auraient dû trouver la mort ce soir-là. Pour autant, ce sont mes yeux innocents qui ont vécu ces deux événements, et leur ombre ne me quitte pas, peu importe quelle ferveur je mets dans mes prières.
Que vous soyez croyant ou non, prenez ces anecdotes comme une mise en garde. Si vous choisissez de prendre part à la tradition profane qu'est Halloween, soyez certain d'être paré à toute éventualité. Pas parce que vous risquez de tomber sur je ne sais quel tueur déguisé en clown. Pas parce que, ce soir-là, de pseudo-fantômes s'éveilleraient. Mais parce que durant l'espace de quelques heures, la protection du Seigneur s'estompera. Vous serez livré à vous-même, à vos démons intérieurs, à ceux qui rampent au-dehors. Et aucune lumière ne viendra percer les ténèbres dans lesquelles vous vous serez enfoncé, croyez-en un enfant qui les a contemplées de près.
Cette creepypasta vous est offerte grâce au travail de Gordjack, qui a assuré la compilation des éléments nécessaires à sa rédaction, de Adiboy qui a participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et de Noname et Litanie qui se sont chargés de la correction et la mise en forme. L'équipe de Creepypasta from the Crypt n'affirme ni ne dément la véracité du présent article et invite les lecteurs à se faire leur propre avis sur la question. L'équipe décline également toute responsabilité en cas de disparition ou de mort, douloureuse ou non, s'ensuivant des éventuelles recherches menées à cet effet.
Très bonne pasta !
RépondreSupprimerl'écriture est excellente ! C'est d'un réalisme si banal qu'il fait fait frissonner... ç'est sympa d'avoir de la variété avec des creepypastas plus fantasmagoriques, j'aime beaucoup!
RépondreSupprimer"Mais parce que durant l'espace de quelques heures, la protection du Seigneur s'estompera. Vous serez livré à vous-même, à vos démons intérieurs, à ceux qui rampent au-dehors." Attends d'entendre parler du taux de suicide à noël
RépondreSupprimer-Rabadu
Apparemment c'est un mythe l'augmentation des suicides en décembre
Supprimerhttps://www.letemps.ch/societe/faire-contre-dangers-syndrome-fetes
Faux. Ce n'est qu'un mythe
SupprimerOui c'est ce qu'il a dit justement; ce n'est qu'un mythe
Supprimer🤐🤐🤐🤐👌👌👌👌👌
RépondreSupprimerEt ben tu parles d'un quartier pourri...
RépondreSupprimerTrès bonne pasta, en tout cas ! J'ai beaucoup aimé !
Effectivement, le pire quartier que j'ai vu de ma vie
SupprimerWow! Cette pasta est magnifique et triste à la fois! J'adore!!!
RépondreSupprimerPas de protection du seigneur parce que c'est Halloween? Oui fin... C'est sure qu'il n'y a qu'a Halloween qui arrive des trucs horribles, hein xD Sinon très bonne pasta, j'ai adoré la lire!!
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