Je travaille dans une bibliothèque municipale dans le sud de la France depuis maintenant trois ans. On pourrait se dire que c’est un emploi tranquille, en dehors peut-être de l’aigreur de certains visiteurs. Mais si je fais ce post ici aujourd’hui, vous vous en doutez, c’est que j’ai quelques histoires à raconter qui changeront peut-être votre opinion de ce métier.
Je vais d’abord commencer car quelques anecdotes courtes, histoire de vous mettre dans le bain. Je me rappelle par exemple qu’environ trois semaines après que j’ai commencé à travailler, un vieux monsieur à l’air un peu perdu est venu me voir. Il ne semblait pas spécialement avoir l’intention de rentrer dans la bibliothèque. En fait, il tenait un vieil ouvrage poussiéreux qui était l’objet de sa visite. Il voulait savoir comment on pouvait faire pour laisser un ouvrage à la bibliothèque et le faire reproduire pour qu’il soit disponible dans toutes les bibliothèques municipales de France. J’ai dû lui expliquer que ce n’était pas comme ça que les choses fonctionnaient, mais il ne m’écoutait pas. Il a pris ça comme un refus, comme dans une maison d’édition, et a commencé à essayer de me vendre l’intérêt de son ouvrage, et c’est là que c’est devenu franchement bizarre.
Il l’a ouvert devant moi malgré mes protestations, et j’ai vu qu’il s’agissait d’une sorte d’album photo. Mais pas n’importe lequel : il ne s’agissait que de photos de personnes endormies, prises de très près. Parfois, elles avaient la coloration de l’infrarouge, parfois elles avaient été prises avec un flash très grossier, mais sans qu’aucun signe d’éveil ne soit visible sur les personnes qui subissaient ça. Elles paraissaient toutes avoir un sommeil agité, ce n’était clairement pas les visages de personnes dormant paisiblement. Mais ce qui était encore plus déroutant, c’était les notes qui accompagnaient les photos. Elles étaient toutes ajoutées à la main, au feutre rouge. À côté de la photo d’un homme qui avait l’air d’avoir la trentaine, cheveux bruns courts, un peu fort, il y avait par exemple écrit « Doux. Parfum boisé. À garder dans un endroit frais et humide. Apporte la joie de vivre. » Ou encore, à côté de celle d’une fillette d’environ dix ans aux bouclettes blondes, « Rugueux. Parfum minéral. Peut être entreposé dans un endroit sans lumière à condition d’être retourné toutes les 36 heures, sinon préférer une grille ventilée dans un contenant en bois avec quelques ouvertures d’au moins 2 centimètres par 37. Pour les soirs au coin de la cheminée. »
Il y en avait littéralement des dizaines. Pendant que les pages tournaient, le vieux bonhomme essayait de me convaincre de la grande qualité de l’ouvrage et de la nécessité d’en faire profiter le plus grand monde. Il l’appelait son encyclopédie et, derrière son air un peu hagard, il avait une lueur de fierté pour ce « travail de recherches » auquel je ne comprenais strictement rien mais qui me mettait franchement mal à l’aise. J’ai rapidement appelé quelqu’un qui travaillait là depuis plus longtemps. Quand une collègue est arrivée, elle l’a fixé quelques secondes, l’air peu surprise, puis l’a agrippé par le bras sans un mot et l’a fait sortir. Je m’attendais à ce qu’il proteste, mais il a pris un air contrit et s’est laissé faire, lui aussi sans dire un mot.
Lorsque ma collègue est revenue, elle a essayé de se montrer rassurante et m’a expliqué que cet homme passait à peu près tous les 17 mois, qu’il ne fallait pas l’écouter ni lui parler et pas lui permettre d’entrer dans la bibliothèque, et ne pas se poser davantage de questions. Personne ne savait d’où venaient les photos, mais au fil des années, on avait écarté l’idée qu’il les ait prises lui-même. Je n’ai pas eu davantage d’informations à ce sujet malgré mes questions, donc j’ai été forcé de l’oublier. D’ailleurs, 17 mois plus tard, il est effectivement revenu et a fait le même manège. Cette fois, c’est moi qui l’ai fait sortir, et comme la première fois, il s’est laissé faire sans rien dire.
L’anecdote suivante est plus courte, mais je pense qu’elle va coller des frissons à certains. Il faut savoir que dans la bibliothèque municipale, il y a régulièrement des sorties organisées par les écoles environnantes, avec des histoires qui sont lues aux enfants. On essaye de leur donner le goût de la lecture. Et donc, l’un de ces après-midi où une telle sortie était organisée, on avait une douzaine d’enfants qui étaient venus écouter, on leur lisait Alice au pays des merveilles. Ce n’était pas à moi de m’occuper de ça, j’étais en train de ranger des livres qui avaient été rapportés dans les rayonnages. À un moment, j’ai eu l’impression d’être observé, alors je me suis retourné et j’ai vu qu’un gamin s’était éloigné du groupe et me regardait. Je lui ai demandé s’il s’était perdu, et il m’a dit qu’il cherchait quelqu’un pour dire que le monsieur au chapeau lui faisait peur. Comme je savais quel était le programme, je me suis dit que l’histoire en était arrivée au moment où Alice rencontre le Chapelier fou, et je lui ai demandé si c’était lui qui lui faisait peur. Il a eu l’air d’hésiter un peu, et il a fait oui de la tête en baissant les yeux.
Je ne suis pas le meilleur pour m’occuper des enfants, donc j’ai fait comme je pouvais pour essayer de le rassurer et de lui dire que le Chapelier fou n’existait en fait pas, et qu’on pouvait aller demander à la personne qui s’occupait des enfants s’il était possible de changer d’histoire si ça ne lui allait vraiment pas. Il a de nouveau hoché la tête et je l’ai emmené par la main pour le ramener au groupe, en me disant que c’est ce qu’on ferait. Sauf qu’arrivé proche de la zone de lecture, je suis tombé nez-à-nez avec un homme d’une cinquantaine d’années au visage franchement inquiétant, le genre qui aurait pu servir de caricature de méchant Disney, avec un vieux chapeau verdâtre sur la tête. Il observait les enfants, caché derrière l’étagère des livres sur les animaux. Lorsqu’il l’a vu, le petit l’a pointé du doigt et dit « C’est le Chapelier fou, il existe ! » Entendant ça, le type s’est retourné et a filé au pas de course vers la sortie de la bibliothèque, presque comme s’il était prêt à ce que ça arrive. J’ai dit à l’enfant de retourner avec les autres et de ne pas s’inquiéter car je m’en occupais, puis j’ai essayé de rattraper l’homme, mais lorsque je suis arrivé à l’entrée de la bibliothèque, il s’était volatilisé. J’en ai parlé à ma direction, et on a redoublé de vigilance sur les gens qui entrent et sortent de la bibliothèque, en particulier quand on accueille des enfants, mais il n’est jamais réapparu.
Maintenant que je vous ai raconté de petites anecdotes, j’aimerais vous raconter l’histoire qui m’a vraiment motivé à écrire ici. Ça m’est arrivé il n’y a pas longtemps, et je suis encore retourné par ce qui s’est passé. C’était pendant l’été, alors il y a habituellement moins de personnel à cette période. Cela dit, on continue l’accueil des enfants, car certains parents comptent beaucoup sur ces heures pour pouvoir s’échapper un petit peu. Il était donc autour de 17 heures, la chaleur avait été particulièrement étouffante ce jour-là. Je n’étais accompagné que d’une seule collègue ce jour-là, les autres étaient en vacances. On avait mis les quelques ventilateurs dont on dispose à plusieurs endroits pour essayer de rendre l’atmosphère un peu plus supportable, même si on savait qu’on allait surtout brasser de l’air chaud.
On n’avait eu que peu de visiteurs dans la journée, mais il y en avait quand même un ou deux qui arrivaient toutes les heures ou deux et repartaient. Le nombre avait un peu augmenté aux alentours de 14h, probablement car les gens s’étaient dit qu’une bibliothèque serait sans doute plus fraîche que d’autres endroits. Ils ont vite été déçus, mais tout le monde n’est pas reparti pour autant, et c’est comme ça qu’on s’est retrouvé, je crois, avec un peu moins d’une dizaine de personnes dans les locaux au moment où tout s’est produit.
Aux alentours de 17h, donc, j’étais en train d’agoniser près d’un ventilateur à l’accueil quand j’ai vu un gamin qui allait vers la sortie d’un air apeuré. Pensant au type de l’anecdote d’avant, je l’ai appelé pour lui demander si tout allait bien. Il s’est figé et m’a regardé comme si j’allais le tuer sur place. J’ai essayé de montrer un visage plus avenant pour qu’il se calme, ne comprenant pas trop ce qui pouvait bien le faire réagir de la sorte, mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, il s’est enfui de la bibliothèque en courant. Je n’avais pas l’énergie pour lui courir après en pleine canicule, alors j’ai laissé faire, mais je me suis quand même dit qu’il faudrait aller vérifier que tout allait bien. J’ai mis un petit panneau « De retour dans 5 minutes » à l’accueil à côté de la sonnette qui permet aux gens de nous appeler quand nous sommes absents (mais que personne n’utilise à cause de la représentation que les gens se font des bibliothèques et de l’interdiction absolue d’y faire le moindre bruit), et j’ai commencé à faire une ronde parmi les rayonnages.
Les choses sont devenues encore plus étranges à partir de ce point. Je ne suis pas tombé sur le type, mais j’ai vite senti que quelque chose clochait. On aurait dit que les autres visiteurs essayaient de se faire tout petit lorsqu’ils me voyaient arriver et se dirigeaient tous vers la sortie. J’ai croisé le regard d’une mère de famille habituée de la bibliothèque à un moment, et celle-ci a immédiatement détourné les yeux et quitté le rayon où elle se trouvait. Au bout d’un moment, j’ai commencé à me dire qu’il y avait quelque chose sur moi qui causait ces réactions étranges, alors je suis rapidement passé aux toilettes pour vérifier mon apparence dans le miroir, mais rien. J’ai haussé les épaules et suis retourné faire ma ronde, me disant que la prochaine fois que je tomberais sur quelqu’un qui avait ce genre de comportement, je lui demanderais simplement ce que tout le monde avait.
Lorsque je suis retourné entre les étagères de livre, le nombre de personnes présentes dans la bibliothèque avait clairement diminué. Un silence de plomb s’était abattu dans les lieux, qui renforçait l’atmosphère de malaise qui régnait. Je suis encore tombé sur un homme qui se dirigeait vers la sortie, et j’ai essayé de l’arrêter pour lui poser la question que j’avais en tête, mais il ne s’est pas arrêté et a dit rapidement sans me regarder qu’il devait y aller, qu’il ne savait rien, qu’il était désolé et d’autres choses que je n’ai pas entendues car il articulait de moins en moins. J’étais désormais vraiment perplexe sur cet effroi qui semblait s’emparer de tous les visiteurs.
Et puis je l’ai sentie. L’odeur. Quelque chose qui n’avait clairement rien à faire là. On aurait dit qu’un cadavre en décomposition était caché quelque part dans la bibliothèque, et que la chaleur accentuait ses effluves nauséabonds. Étant cette fois réellement inquiet, et bien plus que pour l’anecdote du « Chapelier fou », j’ai commencé à essayer de trouver l’origine de l’odeur, en essayant de me dire qu’au pire des cas, c’était peut-être un chat qui était venu mourir derrière une étagère. Je ne voulais pas penser directement à un drame, mais le manège des visiteurs m’avait vraiment rendu nerveux.
J’ai continué à m’enfoncer vers les coins les plus reculés de la bibliothèque. Le fait que j’éliminais de plus en plus d’endroits sur la carte mentale que je m’étais dressé de la bibliothèque et qu’il ne restait quasiment plus que les rayonnages destinés aux enfants ajoutait à mon malaise grandissant. Je commençais à pouvoir de moins en moins écarter l’idée que quelque chose était arrivé à un gamin qui aurait dû être sous notre surveillance, et je commençais à me faire des films sur une découverte effroyable dont je ne serais certainement pas prêt à assumer les conséquences, ni d’un point de vue professionnel, car j’avais aussi la crainte d’être viré pour avoir laissé quelque chose d’atroce se produire entre nos murs, ni sur le moment où je finirais par découvrir ce qui n’allait pas, car je ne savais pas non plus comment je pourrais réagir face à quoi que fût l’origine de l’odeur qui avait désormais envahi chaque recoin de la bibliothèque.
J’étais presque arrivé au bout des endroits que je pouvais fouiller, et l’odeur était désormais très forte, me confortant dans l’idée que je m’avançais vers la découverte macabre qui me terrorisait tant, quand un cri strident a retenti tout près et m’a fait sursauter d’une telle force que j’ai manqué de m’étaler entre les romans Chair de poule. Un cri venu du plus profond de l’âme de la personne qui l’avait poussé, dans lequel l’effroi s’exprimait sous sa forme la plus pure. C’était ma collègue, que j’avais oubliée à cause de la tension qui régnai et avait certainement elle aussi commencé à investiguer de son côté. Intérieurement, j’étais honteusement soulagé de ne pas avoir été la personne qui avait dû découvrir l’origine de l’odeur, et ce sentiment s’est encore amplifié quand elle a crié de nouveau, me faisant comprendre la réalité à laquelle nous allions devoir faire face dans les prochaines heures :
« UN GOSSE A CHIÉ DERRIÈRE LE PRÉSENTOIR PEPPA PIG ! »
Cette creepypasta vous est offerte grâce au travail de Magnosa, qui a assuré la compilation des éléments nécessaires à sa rédaction, de Écho, Seven et Aévor qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et de Vibeka qui s'est chargé de la correction et la mise en forme. L'équipe de Creepypasta from the Crypt n'affirme ni ne dément la véracité du présent article et invite les lecteurs à se faire leur propre avis sur la question. L'équipe décline également toute responsabilité en cas de disparition ou de mort, douloureuse ou non, s'ensuivant des éventuelles recherches menées à cet effet.
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