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mercredi 19 décembre 2018

Spotlight de noël : Le père Noël est gris et maigre

Asile, jour x

Je ne sais plus depuis combien de temps je suis enfermé ; un an, dix ans, peut-être plus, peut-être moins.
Mon traitement a été diminué, je peux enfin écrire ce que j’ai sur le cœur depuis trop de temps...
J’ai été accusé à tort, je suis sain de corps et d’esprit, contrairement aux dires de ces psychologues de merde et de leurs tests truqués.
Je suis innocent et par ces notes, je compte le prouver à tous ceux qui me liront.
Si j’ai perdu la notion du temps, je n’ai pas oublié la chronologie exacte des évènements, je me souviens même de la date où tout a commencé : 17 décembre 1966, 7 jours avant un réveillon de Noël qui s’annonçait encore magique, 7 jours avant l’horreur… j’ai des frissons, je tremble, je reprendrai mes notes demain.



Asile, jour x+1

Je m’appelle Edward Cunningham. J’ai bien vieilli depuis mon internement, je suis incapable de préciser mon âge exact. Ma mère, mon frère et ma sœur ne m’ont jamais rendu visite.


J’habitais un petit village isolé du nom de San José dans l’Arkansas. Une centaine d’âmes y vivait et presque tout le monde se connaissait, se disait bonjour. Mes parents y sont nés, y ont grandi, s’y sont mariés et ont donné naissance à leurs trois enfants. Moi, j’étais le plus vieux des trois. Je devais avoir 13/14 ans quand c’est arrivé. Si je ne me souviens pas de ma date d’anniversaire, je me souviens de tout, oui, de tout…mais c’est toujours aussi pénible, je suis déjà fatigué…



Asile, jour x+2


Début décembre 1966

Ça correspond à l’emménagement du voisin. Un vieillard barbu, ventru. Tout le monde disait qu’il ressemblait au père Noël. Moi je le trouvais étrange, bizarre, surtout son regard exorbité derrière ses petites lunettes aux verres ronds. J’ai observé son emménagement et un vieillard normal ne fait pas de déménagement seul, surtout quand il a un grand canapé, une armoire et des centaines de cartons repliés à plat. Lui si, avec une force et une rapidité anormale que j’ai été le seul à constater. 

De la fenêtre de ma chambre située au premier étage, je pouvais voir sa petite maison en contrebas. Cette maison n’avait pas été habitée pendant une paire d’années à cause de sa sinistre réputation ; à l'approche de Noël un homme y était devenu fou et avait égorgé ses trois enfants, puis sa femme, puis les avait démembrés avant de mettre leurs morceaux dans des paquets cadeaux. Heureusement, la police l’avait arrêté avant qu’il ne les distribue aux enfants du village. J’ai des frissons, je reprendrai demain…



Asile, jour x+3


17 décembre 1966


Premier jour des vacances scolaires, mais c’est aussi le jour de la disparition d’un petit garçon. Bien sûr, ça ameuta tout le village et toutes les maisons furent fouillées de fond en comble sans trouver quoi que ce soit.
Le vieillard fut autant interrogé que les autres habitants. Aucune arrestation ce jour-là.

18 décembre 1966

Au tour d’une petite fille qui jouait juste devant chez elle de disparaître. Le village était sens dessus dessous, plus personne ne se disait bonjour, tout le monde soupçonnait l’autre, même le chien de l’autre comme si des chiens pouvaient bouffer des enfants sans laisser de traces. Il y eut des insultes, des bagarres, des gens furent mis en prison et il y avait autant de flics
que d’habitants dans le village.

Moi, ce que je trouvais étrange, c’était le comportement de mon voisin le vieillard. Il déambulait dans la rue, faisait ses courses, s’asseyait calmement sur un banc et tout le monde faisait comme s’il était la seule personne normale du village. Les enfants venaient toucher son ventre ou sa barbe. Le vieux leur donnait alors des bonbons. Les parents le remerciaient et lui disaient qu’il était le seul rayon de soleil dans cette ville. Certains ont commencé à lui demander si pour Noël il pouvait porter le bel habit rouge afin de redonner du moral à tout le monde. Il a accepté.

Moi aussi j’ai été le voir, mais il m'a fait signe de ne pas l'approcher et il est rentré chez lui en claquant la porte.

19 décembre 1966

Comme je n'ai pas compris son attitude, j’ai commencé à l’observer de la fenêtre de ma chambre. Derrière la grande vitre de son salon, je voyais un canapé, et à gauche le foyer d’une cheminée. J’apercevais aussi au pied de ce canapé le bord d’un tapis rouge avec des motifs comme des sapins décorés de guirlandes et de boules…

J’angoisse, je continuerai demain, car c’est le lendemain que l'horreur a commencé…



Asile, jour x+4


20 décembre 1966

En fin d’après-midi j’ai jeté un coup d’œil à la fenêtre : j’ai vu un garçon et une petite fille sauter sur le canapé avant de me faire de grands signes de la main. J’ai aussitôt été le dire à ma mère qui m’a regardé de travers et qui m’a demandé si tout allait bien dans ma tête. J’ai tellement insisté que je me souviens encore du bruit de sa claque. Je n’ai plus osé la déranger depuis, mais au fond de moi je lui en voulais de ne pas me croire.

La nuit de ce 20 décembre, on a frappé aux carreaux de ma fenêtre. Je me suis réveillé en sursaut, j’ai regardé partout autour de moi, j’ai vu deux silhouettes d'enfant glisser sur le mur blanc qui faisait face à la fenêtre où la pleine lune brillait. J’ai poussé un cri avant d’aussitôt me plaquer la main sur la bouche pour ne pas réveiller ma mère. Les ombres ont disparu hors de la pâleur lunaire du mur avant que mon placard ne grince sinistrement. J’étais pétrifié, mort de trouille, je voulais appeler ma mère, mais je n’osais pas.

La porte de mon placard à jouets s’est refermée en claquant. À l’intérieur, des petits rires d’enfants, des chuchotements m’ont glacé le sang. Ils parlaient entre eux en jouant, car j’entendais ma balle de base-ball frapper le sol avant que ma boîte de petits soldats en plomb ne s’y fracasse dans un bruit assourdissant.

J’ai entendu une porte s’ouvrir, des pas rapides dans le couloir menant à ma chambre, ma porte s’est ouverte, la lumière a jailli, ma mère m'a demandé ce qu'il me prenait de jouer en pleine nuit. Elle m'a refoutu une claque ! Je passai le reste de la nuit à pleurer, à chouiner silencieusement. Heureusement les bruits, les rires, les ombres avaient disparu.



Asile, jour x+5


21 décembre 1966

Ce n’est qu’à la lumière du jour que j’ai ouvert mon placard. C’était toujours autant le bordel, mais ma boîte de soldats en plomb était toujours sur l’étagère. Peut-être que ma mère l’avait rangée ? Je n’ai pas osé lui en parler.


J’étais si fatigué de la nuit précédente que je me suis couché juste après le repas de 19 heures. Entre-temps j’avais réussi à subtiliser un couteau de cuisine, au cas où. Ma mère ne pouvait pas m'aider, mais je me suis senti en sécurité avec lui.


Dans la nuit, j’ai été réveillé par un hurlement d’enfant. Ça venait de mon côté droit, de derrière ma fenêtre, en contrebas. En claquant des dents, j’ai attendu, j’ai espéré que ma mère se lève, mais elle avait dû mettre des boules de cire dans les oreilles, comme elle le faisait parfois.


Un second hurlement, plus aigu celui-là, m’a tellement terrorisé que j’en ai pissé dans mon lit. Ça m’a aidé à me lever et, malgré mon bas de pyjama trempé, je me suis approché de la fenêtre, j’ai regardé...


Deux petits visages spectraux, lacérés de coups de couteau, la bouche grande ouverte, se tenaient derrière la fenêtre du salon. Ils me faisaient signe de venir les aider, ils me suppliaient avec leurs petites mains qui tapaient contre les carreaux. Derrière eux, j’ai vu une silhouette gris-clair, si grande que je ne voyais qu’une partie de ses jambes, qui s’approchait. Puis deux énormes mains les ont empoignés par le dessus de la tête et les ont violemment tirés en arrière. Leurs hurlements ont fini par peu à peu s’éteindre puis j’ai senti le sol s’ouvrir sous mes pieds et je suis tombé sur la moquette.


Je ne sais pas combien de temps je suis resté prostré sous la fenêtre. C'est ma jeune soeur qui m'a découvert gisant au sol. Elle a alerté ma mère qui a prévenu le médecin. J'ai préféré garder le silence sur ce qui s'était passé. Le médecin m'a ordonné de rester au lit toute la journée. Entre deux sommes, je me souviens avoir lu des contes pour enfant pour me rassurer. Heureusement, le couteau était toujours caché sous mon matelas.


Je fatigue, j’écrirai la suite demain, oui demain.  



Asile, jour x+6


22 décembre 1966

Avant que le soleil se couche, j’ai eu le courage d’aller voir à la fenêtre : des tas d’autocollants avaient été collés sur la vitre du voisin, des sapins, des flocons de neige, des pères Noël et d’autres motifs encore. Ils avaient été collés n’importe comment, sur le côté, de travers, à l’envers. Et il y en avait tellement que ça faisait des paquets, comme si le vieillard avait passé sa journée à les coller en ne faisant attention qu’à une seule chose : regarder la fenêtre de ma chambre pour m’y voir, pour me faire un signe ou je ne sais quoi d’autre de débile.

Après avoir dormi une bonne partie de la journée, forcément, je n’avais plus sommeil. J’ai eu l’autorisation de laisser la lumière allumée toute la nuit. L’angoisse est montée de plusieurs crans après que ma mère m’ait souhaité de faire de beaux rêves.


Cette nuit-là, je continuais à lire des contes en épiant les bruits et les murs de ma chambre. Mon front était trempé d’une sueur froide que j’essuyais avec le drap. J’avais posé le couteau sur mes cuisses. Je n’entendais rien, c’était le silence total, hormis ce léger ronflement qui provenait de la chambre d’à côté, là où dormaient mon frère et ma soeur.

C’était calme, tellement calme que c’en était devenu insupportable. Mes yeux ne quittaient plus ma fenêtre. J’ai fini par me lever, par aller voir, serrant bien fort mon couteau dans une main. J’ai penché la tête, j’ai glissé juste un œil à travers la vitre du carreau, j’ai regardé, j’ai recommencé à trembler…

Les autocollants avaient tous été retirés ! Le canapé avait disparu et à gauche je voyais distinctement les braises du foyer de la cheminée former un halo orange pâle sur le sol. Dessus, il y avait des cartons montés et démontés, des rouleaux de papier cadeau, des rubans scintillants, des ciseaux. Il y avait aussi deux longs bras gris aux doigts très maigres qui montaient les cartons. Je ne voyais que ces bras, le reste du corps étant hors du halo orangé. Soudain, après avoir monté un dernier carton, les bras ont quitté mon champ de vison. C’est à ce moment que j’aurais dû dire stop, c’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à dérailler…

Les longs bras sont revenus un peu plus tard, je ne saurais dire quand. L’un deux a pris un carton, a bien repoussé les quatre pans vers l’extérieur avant d’y plonger un truc horrible, une petite main d’enfant ! Je l’ai vue dans le halo, j’ai vu l’os du poignet sectionné, la chair rouge autour, le sang qui gouttait encore, chacun de ses cinq petits doigts. Et j’ai hurlé, hurlé, hurlé…  



Asile, jour x+7


23 décembre 1966

Je voyais le visage de ma mère, de mon frère et de ma sœur, mais je ne les entendais pas.

Je suis resté une journée en observation à la clinique située à une vingtaine de miles de mon village. Les médecins conclurent à des cauchemars consécutifs à un surmenage (sic) et me filèrent des médicaments pour dormir. Je suis rentré chez moi en fin d’après-midi. Entre deux réveils, j’ai décidé de dire à ma mère ce que j'avais vu et que je savais où étaient les enfants :  dans son regard, j'ai lu de l'incompréhension et du mépris. Mon frère et ma sœur étaient trop jeunes pour que je leur confie quoi que ce soit, alors je n'ai rien dit. En plus, le réveillon était pour le lendemain soir, je ne voulais pas leur faire peur.

Cette nuit-là j’ai pris assez de somnifères pour ne pas me réveiller, mais je suis persuadé que dans mon sommeil j’ai entendu des raclements, des coups, soit sur ma vitre, soit en contrebas, derrière la fenêtre du voisin.

24 décembre 1966

Des cris, des rires d’enfants m’ont réveillé. J’avais un peu mal à la tête, mais je me sentais mieux, les hallucinations (comme les médecins l'ont dit à ma mère) semblaient s’être cachées au fond de mon crâne. Je me suis habillé et j’ai été voir ce qui se passait dehors.


Je me suis mis à trembler quand j’ai vu l’horrible scène : le vieillard ventru avait enfilé un costume rouge de père Noël et distribuait au pied de son pick-up des cadeaux aux enfants. Je savais ce qu’il y avait à l’intérieur, je savais que des mains ou des pieds des gosses enlevés s'y trouvaient et je leur ai hurlé de ne pas les ouvrir.

Les gosses se sont mis à pleurer quand je leur arrachais les cadeaux des mains, d’autres s’enfuyaient à toutes jambes. Des parents m’ont saisi les bras, la taille, au lieu d’empêcher une petite fille d’ouvrir ce maudit cadeau !

Ma mère est arrivée en pleurant, en me suppliant d’arrêter cette folie. J’ai fini par me calmer, le regard rivé sur la petite fille qui déballait son cadeau. Une girafe en plastique en est sortie. La petite fille est repartie toute contente. Ça m’a tellement calmé que je me suis assis sur les marches du porche de ma maison et j’ai regardé la joie, le rire, le bonheur se réinstaller autour du faux père Noël, car je savais qu’il n’était qu’une apparence trompeuse. Pourtant, sur le coup, j’ai douté, peut-être que mon imagination me jouait des tours à cause de cette histoire horrible sur les anciens locataires ?

Quand le pick-up est parti avec son faux père Noël, j’étais seul sous le porche. J’avais retrouvé un certain calme, une certaine sérénité, j’étais presque persuadé que tout était de la faute de cette histoire que mes copains m’ont trop souvent racontée à l’école, cette histoire qui m’avait profondément choqué quand j’avais 7 ou 8 ans. Je me suis alors souvenu de ce cauchemar récurrent. Je voyais un père Noël gris découper des enfants avant de les mettre dans des boîtes qu'il recouvrait d'un papier cadeau scintillant. Puis, avec un grand sourire carnassier, il les distribuait sur la place du village. Oui, je me souvenais de cet horrible cauchemar, j’étais persuadé qu’il en était la cause avant que j’entende grincer la porte d’entrée du voisin…

Ce grincement m’a fait comme un électrochoc, je me suis levé d’un bond. Tout en moi me hurlait de fuir, de remonter dans ma chambre, de m’y enfermer. Mais il y avait ma fenêtre, cette fenêtre qui donnait sur la maison voisine, celle où la longue et maigre silhouette grise découpait les enfants. Je ne pouvais pas continuer à me cacher, à avoir des visions, je ne pouvais plus le supporter, je devais savoir, j’y suis allé.



Asile, jour x+7+1

La porte a grincé quand je suis entré dans le salon. Vide, le salon était vide, le vieillard avait tout repris. Quand ? Sûrement quand je dormais, assommé par les somnifères. Une épaisse couche de poussière recouvrait le sol. Je fus étonné de l’absence de traces de pas. Mais une chose m’a confirmé que je ne n'avais pas rêvé : les autocollants de noël gisaient par terre sous la fenêtre. Certains formaient des paquets, d’autres étaient dispersés un peu partout.


Je me suis approché, j’ai voulu en ramasser un, mais je n’ai pas pu le séparer des autres : du sang séché les collait entre eux. Sur certains, des touffes de cheveux étaient collées à l’adhésif, sur d’autres c’était de la peau et des ongles. Les auto-collants étaient jaunâtres, comme s’ils étaient anciens. Dans le foyer de la cheminée s'amoncelaient des os cassés. J’ai eu des nausées, j’ai vomi une bile jaunâtre, on a rigolé quelque part dans la maison, des rires d’enfants suivis de tapotements de pieds sur le plancher. Ça venait du couloir qui s’enfonçait vers le fond de la maison.


J’ai voulu m’enfuir, mais je devais savoir. J’ai voulu m’enfuir, mais deux voix d’enfants aux échos métalliques m’ont appelé à l’aide, m’ont demandé de venir les sauver du père Noël gris. Ces voix, je les entends encore aujourd'hui. Je vais me reposer, elles vont cesser...




Asile, jour x+7+1+1

Je me suis avancé vers le couloir à droite de la cheminée ; on n’y voyait pas grand-chose, toute la lumière venait de la grande fenêtre du salon. Il y avait quatre pièces, deux à gauche, deux à droite. Les appels à l’aide venaient de la première pièce sur ma droite, la seule qui avait une porte fermée, les autres semblaient ouvertes. Une lumière rouge, faiblarde, passait sous cette porte.


Maîtrisant ma peur malgré tout, j’ai posé une main tremblotante sur la poignée ronde, je l’ai tournée, des cliquetis métalliques ont giclé avant de céder leur place aux grincements des gonds.


Une ampoule diffusant une lumière rouge gisait au bout du fil dénudé du plafond ;  les rires s’étaient tus. Des cartons étaient empilés contre les murs. Au milieu de la petite pièce, j’ai vu des vêtements et une petite main d’enfant, sectionnée au niveau du poignet, la même que l’autre nuit quand cette chose aux longs doigts l’avait mise dans un carton. J’ai hurlé, mais je n’ai pas bougé. Je tenais enfin une preuve que je n’étais pas victime d’hallucinations. Je n’ai pas osé toucher à la main de cet enfant, mais j’ai pris les vêtements et je me suis enfui en courant.


J’ai retrouvé ma mère dans la cuisine en train de préparer le dîner du réveillon. Son visage est devenu blême quand elle m’a vu entrer en hurlant que je savais où étaient les corps des enfants disparus. Je lui ai montré les vêtements et après les avoir examinés, elle a froncé les sourcils. Elle m’a alors demandé ce que je faisais avec les vêtements de mon frère et de ma sœur ? Je n'ai rien compris, j'ai entendu les cloches autour de moi, je me suis évanoui…


Pendant la rédaction j’ai appris que je sortais de l’asile après-demain. À 71 ans les médecins ont jugé que je n’étais plus dangereux. Mais je n’ai jamais été dangereux, je suis innocent, comme va le confirmer la fin de mon histoire.



Asile, jour x+7+1+2

Ma petite sœur est venue me réveiller un peu après minuit en disant que le père Noël était passé. Ma mère se tenait  à côté d’elle et m’a demandé si ça allait ou si je désirais continuer à me reposer. Avant de lui répondre, je me suis levé et j’ai regardé par la fenêtre : l’obscurité s’étendait derrière la grande vitre du salon. J’ai attendu un peu, rien n’est apparu. Ma petite sœur m’a pris la main et je suis descendu avec elle. Mon frère commençait à déballer son cadeau.

J’ai ressenti une terrible angoisse en le voyant faire. Je vois encore ses mains déchirer le papier cadeau, ses doigts soulever le couvercle d’une boîte, la couleur rouge sang de son camion de pompier. J"étais soulagé, j’ai poussé un long rire et ma mère m’a caressé une joue.

Pantois, je les ai regardés déballer les cadeaux. Je ne pouvais rien faire d’autre tellement j’étais heureux que tout redevienne normal. Enfin, c’était jusqu’à ce que ma sœur déballe son dernier cadeau : une poupée. Je sais qu’elle était belle cette poupée, je sais que sa robe fleurie, ses chaussures vernies, ses chaussettes blanches, ses boucles blondes étaient à ravir, mais ses yeux, oui ses yeux étaient exorbités, sa peau était grise et sa bouche grimaçante, arquée sur un sourire maléfique, était terrible.


Je l’ai arrachée de ses mains et ma sœur s’est mise à pleurer. Ma mère m’a alors crié dessus, m’a dit qu’elle en avait marre de moi, que j’étais bien comme mon père, que je finirais ma vie à l’asile. Je lui ai répondu que la poupée était maléfique, qu’elle avait le même regard exorbité que notre vieux voisin. Elle m’a alors répondu qu’il n’y avait pas de voisin, que la petite maison était abandonnée depuis 20 ans ! Je ne l’ai pas cru, j’ai hurlé contre elle, je suis remonté dans ma chambre et je me suis jeté par terre en frappant la moquette de mes poings. C’est là que j'ai vu une boîte sous mon lit.


J’ai arrêté de hurler, je me suis approché en rampant, j’ai tendu les bras, j’ai pris la boîte, j’ai soulevé le couvercle : au fond, j'ai découvert un couteau dont la lame brillait d’un sang vermillon. À peine le temps de réaliser que j’ai entendu cogner à ma fenêtre. C’était lui ! Je revois encore son long visage gris derrière la vitre, ses yeux exorbités, sa peau ridée, sa barbe blanche, son chapeau rouge à pompon, sa bouche qui lui prenait la moitié du visage, cette bouche remplie de dents pointues et désordonnées. « Joyeux Noël », me disait-il de sa voix d’enfant,
« joyeux Noël Edward ! »  

J’ai pris le couteau et je me suis relevé. Je n’étais qu’à deux mètres de la fenêtre. Je pleurais, je voulais en finir, je n'avais plus qu'un seul désir : le massacrer. Et c’est ce que j’ai fait, je me suis approché pas à pas. Lui ne bougeait pas, le père Noël gris souriait, il souriait avec son grand sourire morbide qui déformait son visage affreux. L'espace d'un instant, j'ai cru y voir une ressemblance avec la photo de mon père posée sur ma table de nuit… je me suis approché, et il a arrêté de sourire comme s’il sentait que je pouvais le tuer. Je me suis approché encore, son visage paraissait inquiet. Je me suis approché, son visage a changé, je me suis approché, son visage était le mien dans le reflet de la vitre, il s'était changé en moi !


Derrière moi ma mère a hurlé. Je me suis vivement retourné. Elle ne me regardait pas, elle regardait mon bras, ma main tenant le couteau. Elle continuait à crier si fort que j’en avais mal aux oreilles, à l’âme, partout dans le corps. Je me suis approché, je me suis approché et l’autre en moi, le père Noël gris m’a ordonné de la faire taire, l’autre en moi m’a ordonné de la tuer. Je me suis approché, je me suis approché…


Voilà, vous constatez que je ne suis pas coupable, que tout est de la faute du père Noël gris.



Asile, jour J

Je sors dans quelques heures, je suis très content, tout ça m'est enfin sorti de la tête à présent. J’ai eu la joie d’apprendre qu’avant de mourir ma mère m’avait laissé de l’argent qui a fait beaucoup de petits sur un compte épargne. Je vais pouvoir m’acheter une maison. Je ressens le besoin de retourner aux sources, de reprendre le cours normal de ma vie, là où elle s’était arrêtée des dizaines d'années plus tôt. J’espère que la maison que je voyais à travers la vitre de ma chambre est à vendre, j’ai envie d’y finir mes jours.


Les médecins m’ont laissé me regarder dans un miroir. Comme j’ai changé depuis l’adolescence. J’ai une grande barbe blanche, j’ai un gros ventre, je suis joufflu. Avec un bel habit rouge et un bonnet de la même couleur, je crois que je ferai un formidable père Noël. Je trouve que mes yeux dépassent un peu trop de leur orbite, mais ce n’est pas grave, je les cacherai derrière des lunettes aux verres ronds.


J’ai hâte d’être à Noël, j’ai hâte de me déguiser, j’ai hâte que des petits garçons et des petites filles viennent s'asseoir sur mes genoux. J'espère juste qu'ils ne crieront pas trop, sinon le père Noël gris pourrait revenir...

7 commentaires:

  1. Elle est sympa celle là !!
    Et en plus, même si on comprend que c'est sûrement une histoire de dédoublement de personnalité, mais je m'attache au perso, surtout à la fin, c'est une belle fin!

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  2. Tres plaisante à lire .
    je n'ai pas vu venir le denouement .
    Elle aurait été parfaite en episode des Contes de la Crypte !

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  3. Réponses
    1. Ce commentaire ne m’étonne guère de toi mon enfant.

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    2. Rabadu, mon cher rabat-joie... ( sans mauvais jeux de mots... )

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  4. Je me souviens quand j'ai lu cette histoire il y a quelques années. C'est tout simplement ma préférée sur le thème de Noël. Félicitations à l'auteur pour ce récit si bien écrit ^^

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  5. Toujours ma préférée et de très loin.

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