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Il y a quelques années, j’ai vécu une période assez sombre dans ma vie. Après une rupture difficile, je me suis retrouvé isolé dans un coin de la France où je ne connaissais personne. Ma famille était loin, mes amis aussi. Je restais seul, enfermé chez moi la plupart du temps. On m’a beaucoup conseillé de trouver quelque chose pour m’occuper, un but, de faire du sport, d’être productif. Un soir, j’ai parlé avec un ami qui m’a dit qu’il ne fallait pas que je reste là, qu’il fallait que je bouge. C’est ce que j’ai fait.
Un matin, j’ai fait mes bagages pour une semaine et j’ai pris la voiture. Je n’avais pas de plan de route, je me disais que j’allais rouler jusqu’à ce que je sois trop fatigué pour conduire et qu’alors, je m’arrêterais là où je me trouverais. À la fin de la journée, j’avais traversé je ne sais combien de petits villages perdus, qui n’ont d’ailleurs de village que le nom, s’agissant pour la plupart de quelques maisons éparses. J’avais soudainement été fasciné par ces petits coins reculés de nos campagnes. Et je m’étais surpris à me demander quelles histoires, quelles légendes on pouvait s’y raconter le soir venu, dans ces petits hameaux oubliés de tous. C’est alors que j’ai eu une nouvelle idée.
J’allais continuer à rouler, parce que j’en avais besoin, mais j’allais à présent m’arrêter dans ces villages et petits bourgs pour en découvrir les secrets. J’ai même pensé écrire un livre une fois que j’aurais recueilli assez de légendes locales. Les premiers temps, les habitants me regardaient d’un œil méfiant et ne parlaient pas facilement. Avec le recul, je les comprends parfaitement. J’étais pour eux, avec mon appareil photo pendu autour du cou, un citadin en balade à la campagne, voire un touriste en quête d’exotisme. Peu à peu, j’ai travaillé ma technique d’approche. J’ai troqué mon appareil photo pour un dictaphone. Les gens que je rencontrais étaient plus disposés à m’offrir leur voix que leur image.
Cette première semaine de « voyage » sur les routes françaises n’aura pas été très fructueuse. Je tâtonnais et je subissais parfois des baisses de motivation certaines en repensant, même sans le vouloir, à ma rupture passée. Entretemps, j’avais également été rappelé par une entreprise dans laquelle j’avais postulé un peu plus tôt. Je devais commencer chez eux le 3 avril, il me restait donc trois semaines de temps libre, que je comptais bien mettre à profit pour retenter une nouvelle tournée des villages.
Et ces trois semaines, les amis, ont été les plus passionnantes de ma vie. En réussissant à gagner la confiance des habitants, j’ai découvert tout un nouveau monde. Dont des histoires parfois dérangeantes. Comme celle d’une famille qui, le soir de Noël, avait été soudainement prise de folie meurtrière, chacun s’entretuant sans aucune raison apparente. Ou celle de ce garde forestier qui s’était pendu, convaincu que les chats de sa voisine venaient la nuit griffer sa fenêtre en lui intimant l’ordre de mettre fin à ses jours. Et il y avait encore une autre, les écuries du Grand Homme.
À ma dernière semaine de prospection, j’avais noté assez de contenus dans mes carnets pour en tirer un petit livre. Le cœur lourd, je devais rentrer chez moi, en abandonnant toute cette liberté que j’avais pu ressentir sur les routes. C’est ainsi que sans la chercher, cette histoire d’écuries est venue à moi. J’étais en train d’acheter un paquet de Gauloises au bureau de tabac d’un petit village, quand trois adolescents sont entrés dans la boutique. J’ai vite compris que la buraliste était leur mère, et elle n’avait pas l’air contente de les voir. Me laissant à mes cigarettes, elle s’était mise à les sermonner. C’étaient les gendarmes qui les avaient ramenés au bureau de tabac, car ils avaient traîné trop près d’un endroit appelé « les écuries du Grand Homme ». Quand tout ce petit monde s’est enfin calmé, j’ai cédé à la curiosité.
J’ai appris que ces écuries étaient un endroit implicitement interdit dans le village. Il n’y avait pas de clôtures, ce n’était pas un endroit privé, mais tous les habitants s’accordaient sur le fait qu’il ne fallait pas y aller. Bien qu’aucun interdit officiel n’empêchait personne de s’y rendre, les gendarmes avaient l’habitude de chasser tous ceux qui s’en approchaient. Je tenais la dernière histoire de mon livre.
Je me suis aussitôt remis dans l’ambiance. Carnet à la main, j’ai arpenté le village à la recherche d’informations sur lesdites écuries. Un agent municipal qui entretenait le parc communal m’a dit que l’endroit était dangereux, que par exemple, on avait retrouvé dans la vieille bâtisse le cadavre d’une jeune fille atrocement mutilé au début des années 2000. Une véritable chasse à l’homme avait eu lieu dans tout le village, sans jamais permettre de débusquer le coupable.
J’ai interrogé le président du club de bridge, un septuagénaire natif du village qui m’a d’abord sommé de ne pas le questionner sur les écuries. Mais après avoir quelque peu insisté et lui avoir payé une chope de bière au bar PMU du village, il m’a enfin raconté la légende qui était à la base de la réputation de l’endroit.
Les écuries avaient été bâties au Moyen-Âge. Elles dépendaient à l’époque du château qui se trouvait non loin à la sortie du village. La forteresse avait subi les affres des deux guerres mondiales, si bien qu’au tournant des années 1950, ne subsistaient plus que les écuries qui ont fini par être rachetées par un particulier. Son but était, à long terme, d’acquérir les hectares alentour pour y construire un centre équestre. Mais peu de temps après, le projet a subitement cessé et le propriétaire a remis les écuries sur le marché.
J’étais assez déçu par le dénouement de cette histoire, et je sentais au fond de moi qu’il y avait autre chose. Hélas, le vieil homme n’était pas disposé à m’en dire plus, et cela, même alors que je lui proposais une nouvelle chope. J’ai donc jeté mon dévolu sur les autres anciens du village, qui m’ont tous peu ou prou raconté la même histoire. La création des écuries au Moyen-Âge, leur acquisition par le mystérieux propriétaire dans les années 1950, et la disparition tragique de la jeune fille au début des années 2000.
Malgré tout, j’avais toujours l’impression qu’on ne me disait pas l’entière vérité. Que s’était-il passé entre les années 1950 et les années 2000 ? Lorsque j’évoquais la question, on me répondait par des haussements d’épaules ou des regards fuyants. J’étais prêt à abandonner lorsque je suis tombé, presque au hasard, sur une vieille dame qui marchait au bord de la route en cueillant des orties. J’ai tenté ma chance et je suis allé droit au but. Que s’était-il passé entre l’abandon des écuries et la disparition de la jeune fille ? Comme je le pressentais, il était bien arrivé quelque chose.
Après le départ hâtif du propriétaire, les écuries étaient restées quelque temps à l’abandon avant d’être rachetées par un habitant du village qui avait fait fortune en vendant des tracteurs. Il avait passé un temps fou à retaper la vieille bâtisse, il l’avait fait presque tout seul. Le travail fini, il était ensuite allé acheter des chevaux et envisageait même d’ouvrir un ranch où les visiteurs pourraient se payer des balades à cheval. Alors que son projet allait bon train, une nuit, l’habitant a reçu la visite d'un homme immense qui dépassait le haut de la porte d’au moins trois têtes. L’étrange visiteur lui a alors parlé d’une voix caverneuse et ancienne.
« Donnez-moi une de vos bêtes pour satisfaire ma soif. »
La vieille dame a tenté de l’imiter, et durant un instant, elle a paru presque convaincante. Si bien que des frissons ont parcouru ma peau. Dans la suite du récit, le propriétaire, effrayé, s’est empressé de refuser et a claqué la porte au nez du grand homme. La vieille dame s’est empressée de reprendre sa voix grave à ce passage.
« Alors je les prendrai toutes. »
À ces mots, le géant s’est éloigné dans les ténèbres. Le propriétaire, tremblant, s’est rué sur son téléphone pour prévenir la gendarmerie, mais alors qu’il allait taper le numéro, il a entendu des hennissements. Ses chevaux hurlaient de terreur. Leurs cris terribles parvenaient jusqu’à lui comme si on les abattait devant sa porte. Ils étaient si forts, si assourdissants qu’il est tombé au sol et s’est recroquevillé dans un coin, les mains sur les oreilles. Quand le silence est revenu, il a rampé jusqu’au téléphone et a enfin appelé les secours.
Quand ils sont arrivés, ils ont découvert un spectacle macabre. Les écuries étaient maculées de sang. Les bêtes atrocement mutilées. Des têtes coupées, des mâchoires arrachées, des pattes brisées. Les portes n’avaient pas été forcées, elles avaient été ouvertes comme par magie. Désemparés devant une telle vision, les gendarmes ont emmené avec eux le propriétaire qui n’a plus jamais été revu par la suite.
Je ne savais pas quoi dire. J’étais à la fois effrayé et sceptique. J’ai aussitôt demandé comment elle pouvait assurer que c’était bien ce qui s’était passé alors qu’elle-même n’était pas présente cette nuit-là. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas en être sûre, mais que c’était en tout cas ce que le propriétaire lui avait raconté au poste de gendarmerie où elle travaillait à l’époque. De plus en plus intrigué par cette affaire, j’ai demandé à cette dame si la maison qu’il avait habitée existait toujours. Et à ma grande surprise, elle était toujours debout, non loin des écuries.
J’ai laissé cette vieille femme à ses orties et je suis monté dans ma voiture. Le soleil était bas dans le ciel. Si je partais maintenant, je pouvais encore être chez moi avant la tombée de la nuit. Mais l’idée du retour me paraissait insupportable. Rentrer chez moi, c’était revenir dans cette vie morne et sans goût que je m’étais bâtie avec les années. C’était me rendre compte que j’étais désormais seul. Sans vraiment penser, j’ai agi. J’ai mis le contact, mais au lieu de tourner vers l’autoroute, je suis parti vers la forêt à la sortie du village. Vers les écuries du Grand Homme.
Je suis arrivé devant la maison alors que le soleil se couchait. Sa lumière dorée donnait à la forêt un air enchanteur. Les insectes bourdonnaient encore, faisant vaciller les fleurs dans leur passage. Une petite brise chaude soufflait sur mon visage, emmenant jusque dans mes narines l’odeur des pins. Et la maison, bien qu’abandonnée, n’était pas délabrée. Au contraire, elle était même presque en bon état. Quelques carreaux avaient été brisés, mais je ne constatais aucune autre dégradation. Tout lieu abandonné de la sorte aurait normalement été tagué de partout. Mais pas celui-là. En fait la bâtisse était en si bon état que j’ai presque failli frapper à la porte avant d’entrer.
L’intérieur n’était pas aussi bien conservé que la façade, mais ce n’était pas non plus trop vétuste. Il restait çà et là des restes de meubles, de vieilles photos de famille et même des emballages de nourriture. Je me suis assis sur un tabouret dans la cuisine et je me suis surpris à trouver cet endroit étonnamment reposant. Il y régnait un silence relaxant, uniquement brisé par la brise légère qui soufflait au-dehors. Je me suis penché sur la table à manger et j’ai posé ma tête au creux de mes bras. Bêtement, je me suis endormi. Ces trois semaines sur les routes, aussi agréables qu’elles avaient pu être, avaient été épuisantes.
Lorsque je me suis réveillé, j’étais congelé. Nous étions en mars, et même si les journées étaient douces, les nuits gardaient leur fraîcheur de l’hiver passé. J’ai immédiatement regardé ma montre qui affichait vingt-trois heures. J’avais dormi trois heures durant dans une position assez inconfortable et mon dos ne manquait pas de me le rappeler. Je me suis levé et j’ai regardé autour de moi. L’ambiance avait changé du tout au tout. Le silence que j’avais trouvé apaisant plus tôt dans la soirée était devenu oppressant. L’air avait lui aussi quelque chose d’étrange. Je ne saurais pas comment le décrire proprement avec des mots, mais je dirais qu’il semblait… épais. Chaque inspiration était laborieuse, comme si l’oxygène peinait à se frayer une voie jusque dans mes poumons. Les murs étaient éclairés par la lueur pâle de la lune qui faisait ressortir toutes leurs imperfections, ils semblaient couverts de pustules et de creux. Dehors, le silence était total. Le vent ne se donnait même plus la peine de mouvoir la cime des pins qui restaient immobiles, plantés là, m’observant de toute leur hauteur.
Je n’avais clairement pas prévu de passer la nuit ici, et ce n’était toujours pas au programme. Sans savoir pourquoi, je me suis précipité vers la porte d’entrée. Dans ma hâte, je n’ai pas prêté attention à l’ombre gigantesque qui remontait lentement l’allée en direction de la maison. À vrai dire, je ne l’ai remarquée que lorsqu’elle a commencé à gravir les escaliers qui menaient à la porte d’entrée.
Le son lourd des pas qui faisait grincer les marches m’a ramené à la réalité. Je me suis immobilisé. Alors que j’essayais de rationaliser tout ce qui se passait, je ne pouvais m’empêcher de repenser aux histoires que m’avaient racontées les villageois. J’ai reculé jusqu’à ce que mon dos heurte le mur, puis j’ai fermé les yeux et j’ai compté jusqu’à trois. Quand je les aurais rouverts, tout aurait disparu. En fait, j’étais sans doute en train de rêver et j’étais encore assoupi sur cette table. Un... deux… trois.
Trois coups ont fait trembler la porte. Une silhouette immense s’est penchée au carreau, semblant regarder à l’intérieur. Je me suis collé au mur comme si je pouvais m’y fondre. L’ombre a contourné la porte d’entrée et a regardé de même à la fenêtre du salon. Dépourvue de carreaux, elle offrait une meilleure visibilité. Un nuage de condensation blanche a émané de l’être gigantesque. Ça respirait. Aussitôt, j’ai collé une main sur ma bouche. Moi aussi, je respirais. Et si cette chose le voyait, qui sait ce qu’elle ferait.
Je suis resté immobile pendant presque dix minutes. Je crois que la chose s’est collée à chaque fenêtre. Grande comme elle était, elle aurait tout aussi bien pu regarder par les fenêtres de l’étage. Finalement, elle est partie, du même pas lourd et lent. Elle a descendu les marches et a redescendu l’allée. J’étais pétrifié et il a fallu encore plus d’une heure pour que je me décide enfin à sortir. J’ai sprinté comme si ma vie en dépendait jusqu’à ma voiture où j’ai été braqué par des lampes torches.
J’étais attendu par deux gendarmes qui avaient vu ma voiture garée sur le bas-côté. Je ne leur ai pas raconté ce qui venait de se passer, et étrangement, ils ne m’ont posé aucune question. Ils m’ont simplement dit de circuler. Avant de rentrer dans sa voiture, un des gendarmes a braqué sa lampe sur la maison et m’a jeté un regard étrange. Aujourd’hui, je pense qu’il était effrayé.
J’ai roulé toute la nuit et lorsque je suis arrivé chez moi, je me suis effondré sur mon lit, habillé. Par la suite, je me suis juré de ne plus jamais parler de cette histoire. Je suis une personne plutôt sceptique, et il m'a fallu du temps avant d'accepter ce qui s'était passé. Je ne suis parvenu à aucune explication, j'ai pourtant retourné la situation dans tous les sens. Mais certaines questions me hantent encore. Que se serait-il passé si cette nuit-là, cette chose m'avait vu ? En fait, peut-être même qu'elle m'avait vu. Était-ce le fameux Grand Homme ?
Au final, je n’ai pas écrit mon livre. Mon nouveau travail me prend beaucoup de temps et j’ai fini par égarer puis oublier mes notes. Mais je sais une chose, c’est que nos campagnes regorgent de légendes, de secrets, d’histoires étranges. Si vous prenez la peine de parler aux gens, de passer au-delà des regards méfiants, vous pourriez découvrir des choses qui vous dépassent. En bien ou en mal.
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Pas mal ! Et venant moi-même de la cambrousse, je ne peux que confirmer le dernier paragraphe !
RépondreSupprimerle style et la narration sont incroyables! le mystère plane mais sans une sensation désagréable d'inachevé, en tout cas ça donne très envie d'avoir plus de récits d'horreur rurale...
RépondreSupprimerL'histoire pourrait être banale et similaire à d'autres mais l'écriture la rend vraiment captivante. Le récit est cohérent,sans longueurs ni précisions ou détails inutiles la rend bien plus crédible que d'autres creepypastas vu sur ce site.
RépondreSupprimerÇa donne envie d'y croire, très bon travail. J'encourage l'auteur(e?) à continuer sur cette voie.
Je suis totalement d'accord avec toi; en général je suis une assez petite lectrice en ce qui concerne les groupements de texte trop garnis de détails plutôt insignifiant; je me lasse assez facilement. Cependant; ce récit ma énormément captivé; je me suis plongé dans l'histoire; ça m'a même mis des frissons dans le dos.
SupprimerOn ne le dira jamais assez : si vous voulez du frisson, si vous voulez du mystère, regardez près de chez vous.
RépondreSupprimerParfois, t'as même pas besoin de regarder. C'est le frisson qui vient à toi...
SupprimerCreepypasta digne de ce nom, on se sent limite à la place du narrateur, on a tous cette petite curiosité en nous.. moi c’est sûr j’aurai pu me retrouver dans cette maison. Le mystère plane est tant mieux.. ça aurait été de trop une suite.
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