La pauvre femme
rentrait du travail. Dans sa grande maison, le silence lui rappelait
l’absence de son fils. La femme ne voulait pas y penser. Son bébé, son
petit, seul dans sa grande chambre blanche… Elle serra les dents, et
sentit sa gorge se serrer. Elle ne pouvait pas aller le voir dans cet
hôpital sordide… Il était tard. Elle était harassée.
Un bruit. Le téléphone sonna… La femme se précipita dans l’espoir de quelques bonnes nouvelles. La voix calme, presque amorphe, étreinte elle aussi de fatigue, retentit dans le combiné.
« Êtes-vous la mère de Matthieu **** ? »
Alertée, elle déglutit.
« Oui. ».
« Nous sommes désolés. Votre fils est mort ce soir. Son décès a été constaté il y a un quart d’heure environ. »
Sans un mot, elle raccrocha. Les larmes coulaient sans pouvoir s’arrêter. Son fils, son unique fils…
La femme, la mère qu’elle avait été se remémora ce qu’une mère ne peut oublier. Ce qu’elle ne doit oublier.
Ses yeux bleus, ses cheveux bruns, sa malice, ses accès de colère, ses peines, ses blessures, tout. Sa cicatrice au bras gauche, lorsqu'il était tombé de vélo…
Leurs derniers mots, si vulgaires, si haineux…
Tout.
07.03
Je sais vraiment pas pourquoi je fais ça. Pourquoi écrire? Aucune idée. Vraiment, aucune. Et puis au fond de moi, je me dis: «Putain, pas envie de ressembler à toutes ces pétasses dépressives qui "écrivent pour se libérer de cette douleur" ». Moi, je ne sais même pas pourquoi j’écris. Sûrement parce qu’au fond de moi, je pense que je ne peux pas réellement parler à quelqu’un autre que mon meilleur ami, Louis. Et puis bon, ça me fera un loisir supplémentaire. C’est peut-être pas une si mauvaise idée, finalement. Je m’ennuie vraiment pour en arriver à écrire un journal intime. (Bon, on va dire que c’est juste un journal. C’est un carnet.) Et m’adresser à un destinataire imaginaire.
(Tiens d’ailleurs, c’était pas une idée du psy, ça ?)
10.03
Bon bah en 3 jours, il ne s’est rien passé. Vie ennuyeuse? Pire que ça. Ce matin, horrifié, j’ai découvert que je perdais mes cheveux… Le commencement d’une petite dépression nerveuse? J’en sais rien. Du moins, j’espère pas…
14.03
J’ai raté mon bus. Je suis coincé chez moi.Ma mère, infirmière, ne rentre qu’aux alentours de minuit. Ah… Quel imbécile. Bon je vais passer ma super journée à faire mes devoirs, et un peu d’ordi. Ma mère va me haïr…Juste un peu plus encore, quoi.
Pourquoi? Disons que je ne suis pas le gamin parfait dont elle avait rêvé. De bonnes notes, charismatique et mignon, intelligent, sociable… Je suis insolent, détesté des profs et des élèves, avec une réputation de brute épaisse, de connard sans valeurs, de teigne.
Non, elle ne m’aime pas. C’est visible dans son regard. Elle est travailleuse et fidèle, appréciée et amicale. Elle a eu un enfant ingrat, asocial, glandeur et je-m’en-foutiste au possible.
Louis… J’aimerais vraiment être comme lui. Ç’aurait été le fils idéal aux yeux de ma mère. Lui, il a toutes ces qualités.
Plus ça va et plus je me dis que tout ce que j’ai, je le mérite pas. À part le psy, ce boulet-là, je le mérite...
15.03
Ma mère m’a ramené un film, hier soir. Elle m’a souri. Il y a longtemps que je ne l’avais pas vue sourire. Elle m’a dit qu’elle avait parlé avec le psy et qu’elle comprenait maintenant mon comportement de merde. Je n’ai pas protesté. J’étais content de voir qu’elle cherchait à nous réconcilier.
Le film qu’elle m’a offert était un film d’horreur.
Je préfère les livres, mais j’étais content quand même. Je ne l’ai pas regardé avec ma mère, elle n’aime pas ce genre là. En revanche j’ai demandé à Louis de venir. On était jeudi. Il a accepté, laissant ses devoirs de coté.
Moi et Louis, nous étions tous deux fans d’horreur en tout genre. Moi plus les livres de la série Chair de Poule, puis ceux de Stephen King en grandissant. Louis, sa passion, c’était la même chose, version cinéma. C’est comme cela que nous étions devenus amis. Cela me semblait utile de préciser, car normalement, je n’aurais rien eu à faire avec un type comme ça.
Le film n'était pas excellent, mais j’ai quand même passé une bonne soirée.
16.03
Journée de merde. J’ai été collé. 1 heure perdue… Bon, je sais que je suis considéré comme gamin à problèmes, mais bon sang, là j’ai rien fait!
« Insultes envers ses camarades, + insolence ». Toujours le même discours, quoiqu’il arrive.
Ma réputation me précède. Ma mère dit qu’il faut que j’arrête d’être cynique et agressif… Si je faisais exprès, encore…
Je crois que je vais aller dormir un peu. J’ai vraiment passé une journée pourrie. Il est 6.57, je suis crevé. Les jeux en ligne, c’était pas une bonne idée. Mais bon, demain on est samedi, je vais voir Louis, alors ça va. Bon par contre, demain j’ai juste rendez-vous chez cet abruti de psy.
«Va falloir que tu te retiennes de le taper!» a dit Louis…
Il va vraiment falloir, oui.
17.03/13h45
J’ai pété les plombs. Je sais pas ce qui m’arrive… Pourquoi?
Qu’est-ce que j’ai fait?
Je l’ai tapé.
«…Dépressif.»
Ce mot a mal sonné à mes oreilles. Je me suis levé du fauteuil dégueulasse, et je l’ai tapé, aussi fort que je pouvais. Je crois que je pleurais. Ma mère a poussé un cri lorsqu’elle est rentrée dans la pièce. Il était déjà mal en point. Le sang giclait, et je ne pouvais pas m’arrêter. Il avait tout gâché. Il allait pourrir les chances que j’avais de me réconcilier avec ma mère. Il allait pourrir le fait qu’elle cesse de me prendre pour un malade. Tout était de sa faute. Depuis le début. Tout est de sa faute. L’école, ma mère… Tout. J’ai paniqué.
Je voulais juste la récupérer. J’ai tout foiré.
Non. IL a tout fait foirer.
Je suis enfermé dans ma chambre, ma sortie annulée, ma mère en larmes. Et ça y est, pour elle, je suis officiellement dépressif. Et complètement taré en plus de ça. Bon, foutu pour foutu, la fenêtre est ouverte… Et j’ai besoin de sortir.
17.03/19h22
Je sais pas comment ça se fait, mais toujours est-il que je ne suis pas grillé pour ma «fugue». Ma mère a dû s’absenter. Mais ce qui vient de m’arriver est bien pire que le fait que ma mère me prenne pour un fou furieux. J’explique.
Il devait être 14h30 quand j’arrivais à l’orée du bois dont Louis m’avait parlé.
Louis avait appris qu’à l’écart de notre quartier, il y avait une bâtisse abandonnée, en plein milieu d’un bois. C’était l’objectif de notre sortie; visiter la baraque.
Le bois était assez grand, presque une forêt. J’ai rejoint Louis, très fier de son information, qu’il avait eue je ne sais comment. Sûrement en profitant de sa popularité locale.
L’air était lourd, humide. Il n’y avait pas de soleil. Un orage semblait sur le point d’éclater. Arrivés sur les lieux, on a découvert que la maison n’avait pas grand intérêt. On a tout de même décidé d’explorer, histoire de dire.
Une odeur étrange régnait dans l’air, un peu écœurante. Nous étions séparés. Je commençais à m’ennuyer, quand j’ai entendu Louis pousser un cri d’effroi. Je me suis précipitai, et découvris à mon tour la réalité. Oui, là ce n’était plus de la fiction. Je n’étais pas un acteur. Je n’étais pas dans un film d’horreur. Non, j’étais bien dans la réalité, et ce que j’ai vu l’était aussi.
L’endroit, par-dessus l’odeur douceâtre, puait la mort et le sang. Avec le recul, je ne sais pas pourquoi je ne m’en suis pas rendu compte plus tôt. L’odeur du sang, de la chair pourrie, elle était tellement forte. J’aurais dû la sentir bien avant de visiter la baraque… Ma vue est d’abord restée sur des corps. Beaucoup de corps. Des animaux. Des oiseaux, éventrés, ainsi que des rongeurs. Des animaux sauvages, pour la plupart. Les mouches voletaient, les insectes et autres charognards avaient envahi les lieux. La chaleur accentuait les odeurs, accélérait la décomposition. À mesure que j’avançais dans les décombres de la maison, je voyais des cadavres de chiens, de chats, tous tués de la même façon, les tripes à l’air, affichant une expression de terreur et de douleur.
Puis quelqu’un. Une personne.
Un homme que j’aurais jugé comme mendiant vu ses habits, se tordait de douleur au sol en gémissant. Il n’a pas remarqué notre présence immédiatement. Il crachait du sang. Puis il nous a vus. Il a ensuite commencé à hurler comme un fou :
« Loin! Loin… L’air!»
Ses yeux se sont révulsés. Il a convulsé un instant, répétant ces mots, puis s'est tu.
J'ai remarqué alors ses mains couvertes de sang, de plumes, de poils, de tout.
Je ne voulais pas voulu comprendre.
Pendant ce temps, l’air s’était épaissi. Encore, et encore, il devenait plus lourd. Une brume voguait entre les arbres. L’odeur était plus que présente. On aurait dit un produit chimique ou un truc dans le genre. Mélangé à l’omniprésence des relents de décomposition. A vomir.
Les arbres devenaient des créatures de cauchemar, à demi dissimulés dans l’air humide. Louis était en pleurs. Moi je paniquais. Je tremblais, les yeux écarquillés. Je ne savais plus quoi faire. J’avais du mal à respirer. On s’est enfuit, la peur nous arrachant les tripes.
Plus j’y repense, maintenant, dans le calme oppressant de ma chambre, que ce type devait être un jeune squatteur, et qu’il avait mangé un truc pas sain, ou pris des produits. Cela existe, je crois. Il a dû faire une sorte de crise. Mon subconscient me hurle que j’ai complètement faux. Que ce n’était ni la drogue, ni quoi que ce soit. La folie ?
J’en sais que dalle, j’hésite à appeler les flics… Peut-être qu’eux ils sauront quoi faire ? Je n’en ai même pas parlé à ma mère. Cela ne ferait qu’aggraver mon cas. Non c’est décidé, je me tais. C’est pas possible, j’ai rêvé, j’ai déliré, la fatigue… Un truc comme ça est impossible, ce genre de choses arrivent aux autres…
18.03
Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai eu tellement mal à l’estomac. J’ai du aller vomir trois, voire quatre fois. Je ne sens plus mon bras gauche, comme si il était engourdi…Mais c’est le cadet de mes soucis.
J’ai coupé mon portable et mon ordi. J’en peux plus. Je n’arrive pas à dormir. Je deviens parano, chaque bruit m’effraie. J’ai du mal à respirer. Mes poumons émettent un sifflement à chaque inspiration. Ce son me rend fou. C’est lui qui m’empêche de dormir. Oui c’est lui. Chaque sifflement, je crois que mon cerveau va imploser. Chaque sifflement, je pousse un gémissement étouffé.
Ma mère m’a apporté à manger. Poussé par la faim, j’ai tout avalé. Moins de deux minutes plus tard, je vomissais déjà le contenu de l’assiette. Je vis un calvaire.
J’ai un autre problème, bien pire que la faim.
J’ai des trous de mémoire, des absences… Cette nuit. Je ne me rappelle plus… Ni ou j’étais ni ce que j’ai fais. Comme je l’ai dis, j’ai été malade. Je n’ai pas dormi. Je me rappelle plus de rien. Je sais que j’ai vomi, que ça a été atroce. C’est comme si j’avais dormi, aucuns souvenirs, j’ai pas dormi. Je le sais, c’est sûr.
Je ne suis pas sorti de ma chambre, mais… Mais de la terre était sur mes chaussures, impeccablement propres, hier… Je serais peut être sorti ? J’en sais rien, j’en sais vraiment rien… Je m’en souviens plus… Non, c’est impossible. Je suis pas sorti. Pourtant toute cette terre est là.
Je sais plus, je sais plus.
Il n’y a pas de terre, c’est un cartier, juste des jardins impeccables. Alors où étaient mes pompes ?
Il y a un autre truc. Ce truc qui m’empêche de réfléchir. Cette odeur…Présente dans l’air lourd, celle du bois d’hier, elle est là, comme un démon, qui me harcèle. Le sifflement me rend fou. Cette odeur du bois, les absences, le sifflement, c’est la même chose. Y’a quelque chose qui a déclenché ça.
21.03
Absences… Qu’ai-je fait ? J’ai la réponse. La dure vérité est là, bien que je refuse de l’admettre.
« Admire ton œuvre, admire la ! » me dit-il, d’une voix non humaine.
Je me vois, je me revois, animé d’une force quelconque, sortir de chez moi, hier, tel un zombi. Je me revois encore, un sourire fier accroché aux lèvres. Mes yeux fous, non, ces yeux fous se posent sur un reste de chair. Sur ce qui semble un cadavre, je, ou il, pose son regard bleu acier.
Il a tué le psy. Il est fou. Il a commis un massacre. Il avait le visage barbouillé de sang. Il souriait lorsque les tripes eurent jailli. Il riait lorsque que le pauvre homme eut les yeux crevés. Il a traversé le bois, la terre s’est collée à ses chaussures…
Ma mère a appelé l’hosto. J’ai réussi à prendre mon carnet. J’ai des tubes dans le nez, dans la bouche, partout. Ils m’aident à respirer. Plus de sifflement. Ce problème là est réglé. Cependant, depuis trois jours, mes jambes refusent de m’obéir. Je suis paralysé. Les médecins ne peuvent me dire si c’est définitif. Je prie pour que ce ne soit pas définitif.
Il est toujours là, me guettant. Guettant chaque absence, chaque faiblesse. Il est en moi.
23.03
Louis est passé me voir. Il a eu l’air horrifié par mon état. Il ne m’a presque pas parlé. Juste un vague salut. J’ai des crampes. D’horribles crampes. Je ne vois presque rien. Le sifflement a recommencé. Je suis toujours paralysé, et je ne sens plus mon bras gauche. J’ai demandé à Louis d’aller me chercher un miroir. Je n’aurais pas dû. Mon visage. Les muscles de mon visage. Ils se contractent. Ces contractions forment une immonde grimace, suivie d’une douleur atroce. Les yeux exorbités, un grand sourire crispé, les muscles tendus décorent à présent mon visage. Je suis laid. Je suis tellement laid. Même mon meilleur ami a eu peur de moi.
L’odeur, l’odeur est toujours là. Une puanteur immonde empoisonne l’air. Elle en fait partie.
Il est là. Toujours.
« Il, c’est toi. Que toi. »
Cette phrase, suivie du sifflement, se répète à chaque instant.
24.03
Je ne sais heure il est. Je suis dans le noir complet. Je ne distingue plus que des ombres. Peux écrire toujours. Pleure du sang. Mal, partout, tout le temps. Plus de jambes, plus de bras. Je sombre.
«Loin ! Loin ! Air !» Je comprends, maintenant. Grimaces, elles représentent le Matthieu d’avant. Maintenant [illisible] beau. Je [illisible] plus Matthieu.
25.03
Il était Matthieu. Je n’ai jamais été Matthieu. Le sang. Besoin de ce précieux liquide. Matthieu ne voulait tuer. Imbécile.
29.03
Bras gauche : paralysé. Jambes gauche et droite : paralysées. Sourd. Presque aveugle. Lumière. Mal. Trop Mal. Sifflement de retour. Pouvoir écrire peu. [illisible] Respirer. Sommeil sans [illisible] viens à moi. Viens !
Je ne suis pas fou !
Air.
Maman, Louis, désolé de [illisible], je vous aime.
Matthieu doit [illisible].
Matthieu ce n’est pas moi. [ ?]
Un [illisible] est calme.
Le mendiant [illisible].
Trop Air.
Sifflement.
Sifflement !
Loin, Loin !
Air mauvais !
Loin.
Loin de l’air, [illisible]
Je ne peux plus respirer, enfin.
Louis lâcha la fiche, retranscription du carnet de Matthieu, son ami. La plupart des pages étaient illisibles, si bien que Louis avait proposé à la mère de son ami de les mettre sous traitement de texte. Mais il n’avait pu comprendre certains passages. Matthieu avait une écriture particulière, qui s’était détériorée à cause des souffrances infernales qu’il avait eu à subir. Au fil de son travail, Louis avait découvert ce calvaire qu’avait vécu son ami durant les derniers jours de sa vie. À présent, il était mort. Dans la nuit du 29 au 30 mars. Louis lui avait rendu une fois visite. Il en était sorti tellement bouleversé… Son visage… Les yeux rougis, la bouche contractée en un rictus malfaisant…
Avant de mourir, il avait clairement sombré dans la folie.
Louis s’effondra en pleurant, tant les souvenirs affluaient. Il avait mal à la tête. Il y avait une odeur bizarre dans sa chambre, une odeur de produit chimique.
La même que dans la chambre d’hôpital de Matthieu.
La même que dans le bois.
Louis ne sentit plus sa jambe. Dans sa chute, il remarqua le carnet. Malgré la douleur qui lui traversait le corps, il remarqua une feuille qu’il n’avait pas retranscrite. La vue brouillée, gémissant, la dernière chose qu’il vit fut les lettres tracée d’une écriture pataude :
«Matthieu est mort. Mais je suis là, moi. Ton meilleur ami.»
Louis ferma les yeux. Il ne se souviendra pas de ce qu’il fera. Absence.
Un bruit. Le téléphone sonna… La femme se précipita dans l’espoir de quelques bonnes nouvelles. La voix calme, presque amorphe, étreinte elle aussi de fatigue, retentit dans le combiné.
« Êtes-vous la mère de Matthieu **** ? »
Alertée, elle déglutit.
« Oui. ».
« Nous sommes désolés. Votre fils est mort ce soir. Son décès a été constaté il y a un quart d’heure environ. »
Sans un mot, elle raccrocha. Les larmes coulaient sans pouvoir s’arrêter. Son fils, son unique fils…
La femme, la mère qu’elle avait été se remémora ce qu’une mère ne peut oublier. Ce qu’elle ne doit oublier.
Ses yeux bleus, ses cheveux bruns, sa malice, ses accès de colère, ses peines, ses blessures, tout. Sa cicatrice au bras gauche, lorsqu'il était tombé de vélo…
Leurs derniers mots, si vulgaires, si haineux…
Tout.
07.03
Je sais vraiment pas pourquoi je fais ça. Pourquoi écrire? Aucune idée. Vraiment, aucune. Et puis au fond de moi, je me dis: «Putain, pas envie de ressembler à toutes ces pétasses dépressives qui "écrivent pour se libérer de cette douleur" ». Moi, je ne sais même pas pourquoi j’écris. Sûrement parce qu’au fond de moi, je pense que je ne peux pas réellement parler à quelqu’un autre que mon meilleur ami, Louis. Et puis bon, ça me fera un loisir supplémentaire. C’est peut-être pas une si mauvaise idée, finalement. Je m’ennuie vraiment pour en arriver à écrire un journal intime. (Bon, on va dire que c’est juste un journal. C’est un carnet.) Et m’adresser à un destinataire imaginaire.
(Tiens d’ailleurs, c’était pas une idée du psy, ça ?)
10.03
Bon bah en 3 jours, il ne s’est rien passé. Vie ennuyeuse? Pire que ça. Ce matin, horrifié, j’ai découvert que je perdais mes cheveux… Le commencement d’une petite dépression nerveuse? J’en sais rien. Du moins, j’espère pas…
14.03
J’ai raté mon bus. Je suis coincé chez moi.Ma mère, infirmière, ne rentre qu’aux alentours de minuit. Ah… Quel imbécile. Bon je vais passer ma super journée à faire mes devoirs, et un peu d’ordi. Ma mère va me haïr…Juste un peu plus encore, quoi.
Pourquoi? Disons que je ne suis pas le gamin parfait dont elle avait rêvé. De bonnes notes, charismatique et mignon, intelligent, sociable… Je suis insolent, détesté des profs et des élèves, avec une réputation de brute épaisse, de connard sans valeurs, de teigne.
Non, elle ne m’aime pas. C’est visible dans son regard. Elle est travailleuse et fidèle, appréciée et amicale. Elle a eu un enfant ingrat, asocial, glandeur et je-m’en-foutiste au possible.
Louis… J’aimerais vraiment être comme lui. Ç’aurait été le fils idéal aux yeux de ma mère. Lui, il a toutes ces qualités.
Plus ça va et plus je me dis que tout ce que j’ai, je le mérite pas. À part le psy, ce boulet-là, je le mérite...
15.03
Ma mère m’a ramené un film, hier soir. Elle m’a souri. Il y a longtemps que je ne l’avais pas vue sourire. Elle m’a dit qu’elle avait parlé avec le psy et qu’elle comprenait maintenant mon comportement de merde. Je n’ai pas protesté. J’étais content de voir qu’elle cherchait à nous réconcilier.
Le film qu’elle m’a offert était un film d’horreur.
Je préfère les livres, mais j’étais content quand même. Je ne l’ai pas regardé avec ma mère, elle n’aime pas ce genre là. En revanche j’ai demandé à Louis de venir. On était jeudi. Il a accepté, laissant ses devoirs de coté.
Moi et Louis, nous étions tous deux fans d’horreur en tout genre. Moi plus les livres de la série Chair de Poule, puis ceux de Stephen King en grandissant. Louis, sa passion, c’était la même chose, version cinéma. C’est comme cela que nous étions devenus amis. Cela me semblait utile de préciser, car normalement, je n’aurais rien eu à faire avec un type comme ça.
Le film n'était pas excellent, mais j’ai quand même passé une bonne soirée.
16.03
Journée de merde. J’ai été collé. 1 heure perdue… Bon, je sais que je suis considéré comme gamin à problèmes, mais bon sang, là j’ai rien fait!
« Insultes envers ses camarades, + insolence ». Toujours le même discours, quoiqu’il arrive.
Ma réputation me précède. Ma mère dit qu’il faut que j’arrête d’être cynique et agressif… Si je faisais exprès, encore…
Je crois que je vais aller dormir un peu. J’ai vraiment passé une journée pourrie. Il est 6.57, je suis crevé. Les jeux en ligne, c’était pas une bonne idée. Mais bon, demain on est samedi, je vais voir Louis, alors ça va. Bon par contre, demain j’ai juste rendez-vous chez cet abruti de psy.
«Va falloir que tu te retiennes de le taper!» a dit Louis…
Il va vraiment falloir, oui.
17.03/13h45
J’ai pété les plombs. Je sais pas ce qui m’arrive… Pourquoi?
Qu’est-ce que j’ai fait?
Je l’ai tapé.
«…Dépressif.»
Ce mot a mal sonné à mes oreilles. Je me suis levé du fauteuil dégueulasse, et je l’ai tapé, aussi fort que je pouvais. Je crois que je pleurais. Ma mère a poussé un cri lorsqu’elle est rentrée dans la pièce. Il était déjà mal en point. Le sang giclait, et je ne pouvais pas m’arrêter. Il avait tout gâché. Il allait pourrir les chances que j’avais de me réconcilier avec ma mère. Il allait pourrir le fait qu’elle cesse de me prendre pour un malade. Tout était de sa faute. Depuis le début. Tout est de sa faute. L’école, ma mère… Tout. J’ai paniqué.
Je voulais juste la récupérer. J’ai tout foiré.
Non. IL a tout fait foirer.
Je suis enfermé dans ma chambre, ma sortie annulée, ma mère en larmes. Et ça y est, pour elle, je suis officiellement dépressif. Et complètement taré en plus de ça. Bon, foutu pour foutu, la fenêtre est ouverte… Et j’ai besoin de sortir.
17.03/19h22
Je sais pas comment ça se fait, mais toujours est-il que je ne suis pas grillé pour ma «fugue». Ma mère a dû s’absenter. Mais ce qui vient de m’arriver est bien pire que le fait que ma mère me prenne pour un fou furieux. J’explique.
Il devait être 14h30 quand j’arrivais à l’orée du bois dont Louis m’avait parlé.
Louis avait appris qu’à l’écart de notre quartier, il y avait une bâtisse abandonnée, en plein milieu d’un bois. C’était l’objectif de notre sortie; visiter la baraque.
Le bois était assez grand, presque une forêt. J’ai rejoint Louis, très fier de son information, qu’il avait eue je ne sais comment. Sûrement en profitant de sa popularité locale.
L’air était lourd, humide. Il n’y avait pas de soleil. Un orage semblait sur le point d’éclater. Arrivés sur les lieux, on a découvert que la maison n’avait pas grand intérêt. On a tout de même décidé d’explorer, histoire de dire.
Une odeur étrange régnait dans l’air, un peu écœurante. Nous étions séparés. Je commençais à m’ennuyer, quand j’ai entendu Louis pousser un cri d’effroi. Je me suis précipitai, et découvris à mon tour la réalité. Oui, là ce n’était plus de la fiction. Je n’étais pas un acteur. Je n’étais pas dans un film d’horreur. Non, j’étais bien dans la réalité, et ce que j’ai vu l’était aussi.
L’endroit, par-dessus l’odeur douceâtre, puait la mort et le sang. Avec le recul, je ne sais pas pourquoi je ne m’en suis pas rendu compte plus tôt. L’odeur du sang, de la chair pourrie, elle était tellement forte. J’aurais dû la sentir bien avant de visiter la baraque… Ma vue est d’abord restée sur des corps. Beaucoup de corps. Des animaux. Des oiseaux, éventrés, ainsi que des rongeurs. Des animaux sauvages, pour la plupart. Les mouches voletaient, les insectes et autres charognards avaient envahi les lieux. La chaleur accentuait les odeurs, accélérait la décomposition. À mesure que j’avançais dans les décombres de la maison, je voyais des cadavres de chiens, de chats, tous tués de la même façon, les tripes à l’air, affichant une expression de terreur et de douleur.
Puis quelqu’un. Une personne.
Un homme que j’aurais jugé comme mendiant vu ses habits, se tordait de douleur au sol en gémissant. Il n’a pas remarqué notre présence immédiatement. Il crachait du sang. Puis il nous a vus. Il a ensuite commencé à hurler comme un fou :
« Loin! Loin… L’air!»
Ses yeux se sont révulsés. Il a convulsé un instant, répétant ces mots, puis s'est tu.
J'ai remarqué alors ses mains couvertes de sang, de plumes, de poils, de tout.
Je ne voulais pas voulu comprendre.
Pendant ce temps, l’air s’était épaissi. Encore, et encore, il devenait plus lourd. Une brume voguait entre les arbres. L’odeur était plus que présente. On aurait dit un produit chimique ou un truc dans le genre. Mélangé à l’omniprésence des relents de décomposition. A vomir.
Les arbres devenaient des créatures de cauchemar, à demi dissimulés dans l’air humide. Louis était en pleurs. Moi je paniquais. Je tremblais, les yeux écarquillés. Je ne savais plus quoi faire. J’avais du mal à respirer. On s’est enfuit, la peur nous arrachant les tripes.
Plus j’y repense, maintenant, dans le calme oppressant de ma chambre, que ce type devait être un jeune squatteur, et qu’il avait mangé un truc pas sain, ou pris des produits. Cela existe, je crois. Il a dû faire une sorte de crise. Mon subconscient me hurle que j’ai complètement faux. Que ce n’était ni la drogue, ni quoi que ce soit. La folie ?
J’en sais que dalle, j’hésite à appeler les flics… Peut-être qu’eux ils sauront quoi faire ? Je n’en ai même pas parlé à ma mère. Cela ne ferait qu’aggraver mon cas. Non c’est décidé, je me tais. C’est pas possible, j’ai rêvé, j’ai déliré, la fatigue… Un truc comme ça est impossible, ce genre de choses arrivent aux autres…
18.03
Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai eu tellement mal à l’estomac. J’ai du aller vomir trois, voire quatre fois. Je ne sens plus mon bras gauche, comme si il était engourdi…Mais c’est le cadet de mes soucis.
J’ai coupé mon portable et mon ordi. J’en peux plus. Je n’arrive pas à dormir. Je deviens parano, chaque bruit m’effraie. J’ai du mal à respirer. Mes poumons émettent un sifflement à chaque inspiration. Ce son me rend fou. C’est lui qui m’empêche de dormir. Oui c’est lui. Chaque sifflement, je crois que mon cerveau va imploser. Chaque sifflement, je pousse un gémissement étouffé.
Ma mère m’a apporté à manger. Poussé par la faim, j’ai tout avalé. Moins de deux minutes plus tard, je vomissais déjà le contenu de l’assiette. Je vis un calvaire.
J’ai un autre problème, bien pire que la faim.
J’ai des trous de mémoire, des absences… Cette nuit. Je ne me rappelle plus… Ni ou j’étais ni ce que j’ai fais. Comme je l’ai dis, j’ai été malade. Je n’ai pas dormi. Je me rappelle plus de rien. Je sais que j’ai vomi, que ça a été atroce. C’est comme si j’avais dormi, aucuns souvenirs, j’ai pas dormi. Je le sais, c’est sûr.
Je ne suis pas sorti de ma chambre, mais… Mais de la terre était sur mes chaussures, impeccablement propres, hier… Je serais peut être sorti ? J’en sais rien, j’en sais vraiment rien… Je m’en souviens plus… Non, c’est impossible. Je suis pas sorti. Pourtant toute cette terre est là.
Je sais plus, je sais plus.
Il n’y a pas de terre, c’est un cartier, juste des jardins impeccables. Alors où étaient mes pompes ?
Il y a un autre truc. Ce truc qui m’empêche de réfléchir. Cette odeur…Présente dans l’air lourd, celle du bois d’hier, elle est là, comme un démon, qui me harcèle. Le sifflement me rend fou. Cette odeur du bois, les absences, le sifflement, c’est la même chose. Y’a quelque chose qui a déclenché ça.
21.03
Absences… Qu’ai-je fait ? J’ai la réponse. La dure vérité est là, bien que je refuse de l’admettre.
« Admire ton œuvre, admire la ! » me dit-il, d’une voix non humaine.
Je me vois, je me revois, animé d’une force quelconque, sortir de chez moi, hier, tel un zombi. Je me revois encore, un sourire fier accroché aux lèvres. Mes yeux fous, non, ces yeux fous se posent sur un reste de chair. Sur ce qui semble un cadavre, je, ou il, pose son regard bleu acier.
Il a tué le psy. Il est fou. Il a commis un massacre. Il avait le visage barbouillé de sang. Il souriait lorsque les tripes eurent jailli. Il riait lorsque que le pauvre homme eut les yeux crevés. Il a traversé le bois, la terre s’est collée à ses chaussures…
Ma mère a appelé l’hosto. J’ai réussi à prendre mon carnet. J’ai des tubes dans le nez, dans la bouche, partout. Ils m’aident à respirer. Plus de sifflement. Ce problème là est réglé. Cependant, depuis trois jours, mes jambes refusent de m’obéir. Je suis paralysé. Les médecins ne peuvent me dire si c’est définitif. Je prie pour que ce ne soit pas définitif.
Il est toujours là, me guettant. Guettant chaque absence, chaque faiblesse. Il est en moi.
23.03
Louis est passé me voir. Il a eu l’air horrifié par mon état. Il ne m’a presque pas parlé. Juste un vague salut. J’ai des crampes. D’horribles crampes. Je ne vois presque rien. Le sifflement a recommencé. Je suis toujours paralysé, et je ne sens plus mon bras gauche. J’ai demandé à Louis d’aller me chercher un miroir. Je n’aurais pas dû. Mon visage. Les muscles de mon visage. Ils se contractent. Ces contractions forment une immonde grimace, suivie d’une douleur atroce. Les yeux exorbités, un grand sourire crispé, les muscles tendus décorent à présent mon visage. Je suis laid. Je suis tellement laid. Même mon meilleur ami a eu peur de moi.
L’odeur, l’odeur est toujours là. Une puanteur immonde empoisonne l’air. Elle en fait partie.
Il est là. Toujours.
« Il, c’est toi. Que toi. »
Cette phrase, suivie du sifflement, se répète à chaque instant.
24.03
Je ne sais heure il est. Je suis dans le noir complet. Je ne distingue plus que des ombres. Peux écrire toujours. Pleure du sang. Mal, partout, tout le temps. Plus de jambes, plus de bras. Je sombre.
«Loin ! Loin ! Air !» Je comprends, maintenant. Grimaces, elles représentent le Matthieu d’avant. Maintenant [illisible] beau. Je [illisible] plus Matthieu.
25.03
Il était Matthieu. Je n’ai jamais été Matthieu. Le sang. Besoin de ce précieux liquide. Matthieu ne voulait tuer. Imbécile.
29.03
Bras gauche : paralysé. Jambes gauche et droite : paralysées. Sourd. Presque aveugle. Lumière. Mal. Trop Mal. Sifflement de retour. Pouvoir écrire peu. [illisible] Respirer. Sommeil sans [illisible] viens à moi. Viens !
Je ne suis pas fou !
Air.
Maman, Louis, désolé de [illisible], je vous aime.
Matthieu doit [illisible].
Matthieu ce n’est pas moi. [ ?]
Un [illisible] est calme.
Le mendiant [illisible].
Trop Air.
Sifflement.
Sifflement !
Loin, Loin !
Air mauvais !
Loin.
Loin de l’air, [illisible]
Je ne peux plus respirer, enfin.
Louis lâcha la fiche, retranscription du carnet de Matthieu, son ami. La plupart des pages étaient illisibles, si bien que Louis avait proposé à la mère de son ami de les mettre sous traitement de texte. Mais il n’avait pu comprendre certains passages. Matthieu avait une écriture particulière, qui s’était détériorée à cause des souffrances infernales qu’il avait eu à subir. Au fil de son travail, Louis avait découvert ce calvaire qu’avait vécu son ami durant les derniers jours de sa vie. À présent, il était mort. Dans la nuit du 29 au 30 mars. Louis lui avait rendu une fois visite. Il en était sorti tellement bouleversé… Son visage… Les yeux rougis, la bouche contractée en un rictus malfaisant…
Avant de mourir, il avait clairement sombré dans la folie.
Louis s’effondra en pleurant, tant les souvenirs affluaient. Il avait mal à la tête. Il y avait une odeur bizarre dans sa chambre, une odeur de produit chimique.
La même que dans la chambre d’hôpital de Matthieu.
La même que dans le bois.
Louis ne sentit plus sa jambe. Dans sa chute, il remarqua le carnet. Malgré la douleur qui lui traversait le corps, il remarqua une feuille qu’il n’avait pas retranscrite. La vue brouillée, gémissant, la dernière chose qu’il vit fut les lettres tracée d’une écriture pataude :
«Matthieu est mort. Mais je suis là, moi. Ton meilleur ami.»
Louis ferma les yeux. Il ne se souviendra pas de ce qu’il fera. Absence.
Wow... Psychologique, effrayant... C'est vraiment bien écrit! Bien joué, l'auteur!
RépondreSupprimerexcellente creepypasta Tripoda comme d'habitude mais se serait possible d'en faire une sur dead hand de zelda ocarina of time (traumatisme personnel)
RépondreSupprimerT'es sûrement le mieux placé pour la faire, non?
Supprimerle problème c'est que moi je crois pas pouvoir en faire une de qualité
Supprimerchacun a ses débuts non ? ;)
SupprimerWaow... Franchement j'adore ! Ça fait un peut flippé mais j'adore.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup !
RépondreSupprimerSinon juste une faute: quartier et pas cartier ;)
"Mes yeux fous, non, ces yeux fous se posent sur un reste de chair. Sur ce qui semble un cadavre, je, ou il, pose son regard bleu acier. "
RépondreSupprimerOH LA BELLE IMAGE BICHENTAY
Ouiii ! C'était génial ! J'aimerais trop la faire en video mais je pars en vacances... Et Aaube ou Ombriste l'auront déjà faite dommage :( #LPSM
RépondreSupprimerMerci des commentaires !
RépondreSupprimerBon, ça reste malgré la publication, une première pour moi !
Ravie que ça aie plu, je m'excuse des erreurs citées.
Leaf.
Je lis beaucoup mais ne commente jamais . en revanche , la :Je ne voulais pas voulu comprendre" ... Sinon très bon ne creepy ; )
RépondreSupprimerReplace la phrase dans son contexte: le personnage est en train de mourir de l'intérieur et sa capacité à écrire s'en fait sentir.
SupprimerGenre ''JAI PETER LES PLOMBS,SANS NI BLABLABLA) sexion d'asaut x( -taylor
RépondreSupprimerSans abandonner ni baisser les bras.
Supprimerplus de nouvelles, batterie faible, malédiction.
Dorénavant, je vais de l'avant c'est ma direction.
Ma directioooon