Note d'introduction
Ce que vous êtes sur le point de lire est réellement arrivé lors d'un stage au cours de l'automne 2014. Dans le but de protéger leur vie privée, je ne ne mentionne pas les noms de mes amis, le nom de la société qui m'employait à cette époque, ou le nom de mon université. Mais après avoir lu mon compte-rendu, si vous vous sentez sceptique ou que vous avez des questions à propos de mon expérience, n'hésitez pas à m'envoyer un mail à 2453396381@qq.com. Je sais que l'adresse ressemble à celles qui spamment de publicités, mais QQ est en fait un réseau social extrêmement populaire en Chine continentale, vu que Facebook, Twitter, et tout les réseaux occidentaux sont bloqués par le gouvernement chinois. La raison pour le nom d'utilisateur suspect est que votre numéro QQ est généré aléatoirement et vous est assigné lorsque vous créez un compte (ce qui est bien, c'est que votre identité est littéralement réduite à un nombre jusqu'à ce que vous fournissiez des détails personnels sur votre compte)
En automne 2014, j'ai obtenu un boulot en tant que superviseur de 13 professeurs d'anglais bénévoles. J'allais travailler dans une ville chinoise appelée Weihai [prononcé "Way High"] située dans la province du Shandong [shawn doe-ng]. La société qui m'a embauché envoie des professeurs d'anglais au Mexique, en Inde, en Chine, en Russie et en Ukraine chaque semestre. J'étais super excité par cette opportunité parce que non seulement j'allais avoir la chance de vivre de nouveau en Chine (j'étais initialement l'un des bénévoles pour ce même programme plusieurs années auparavant), mais en plus mon université était prête à me valider un semestre de langue chinoise en considérant cette opportunité comme un stage académique. J'allais avoir une bonne expérience du travail, vivre dans un pays que je considère comme ma seconde maison et valider un semestre universitaire, c'était l’automne rêvé !
À Weihai, les bénévoles et moi vivions et travaillions dans une prestigieuse école privée internationale. Ils nous ont vraiment bien traités. Un des plus gros avantages était que, en plus d'avoir les même congés que la faculté de l'école qui tombent pendant les vacances nationales de la Chine, nous avons aussi eu une semaine ou deux de vacances supplémentaires. C'est pendant ces vacances que j'ai vécu une des expériences les plus perturbantes de ma vie.
Deux de mes amis du groupe, je vais les appeler Sara et David, ont décidé qu'ils voulaient se rendre dans le sud de la province de Guangdong [gwahng doe-ng] pour le festival des Bateaux-Dragons. J'ai suggéré qu'on visite Yangshuo [yahng sh-whoa] , une ville peu connue et entourée de tous côtés par les magnifiques montagnes de la région. J'y étais allé une autre année et je n'allais pas laisser passer une occasion de la visiter encore. Cherchez sur google image des paysages de Yangshuo et vous comprendrez pourquoi je suis si fou de cet endroit.
Yangshuo n'est pas une grande ville, mais tout de même, si vous prévoyez de tout voir pendant que vous y êtes, vous avez besoin d'un moyen de transport, puisque la plupart des choses à faire sont dans la campagne alentour. Le problème, c'est qu'on avait choisi une période de l'année super animée pour visiter un endroit si touristique. Tout le trafic de la région pendant les 6 jours que nous avons passé sur la route était littéralement une ligne continue d'embouteillages, alors prendre un taxi ou embaucher un pousse-pousse n'était pas une option. Nous avons bien réfléchi, et nous avons loué des vélos qui nous ont donné la liberté d'aller partout où nous voulions. C'était encore mieux que de compter sur les taxis, car nous étions en mesure de nous rendre dans des lieux inaccessibles en voiture.
Je me suis souvenu de grottes de boue assez profondes que j'avais visitées la dernière fois. C'était à environ une heure de la ville en vélo, donc un gros détour par rapport au chemin prévu, mais leur nature isolée était une des raisons qui en faisait une destination si attrayante. Surtout pendant des vacances si agitées, c'était bien pour faire une pause de tous ces touristes. J'ai convaincu Sara et David de faire le voyage jusqu'aux grottes de boue, en leur expliquant qu'on avait déjà fait tout ce qu'il y avait à faire aux alentours de la ville. Ils ont accepté à contre-coeur, et le matin du 5ème jour, nous avons pris nos vélos et nous sommes partis.
Nous avons roulé pendant une heure. Une heure et demie. Deux heures. La deuxième heure passée, j'ai réalisé que j'avais dû nous perdre. Certes, il s'était écoulé un certain temps depuis que j'étais venu, donc je pense que c'était compréhensible si je ne me rappelais pas parfaitement de l'itinéraire. Mais quand même, je me sentais stupide et coupable. J'avais tant parlé de ces grottes de boue à mes amis et nous n'allions sûrement même pas les atteindre. En plus de ça, nous étions visiblement dans un coin de campagne complètement perdu. Je parlais la langue, alors retrouver notre chemin pour revenir en ville ne serait pas un problème. À condition que nous trouvions quelqu'un : il semblait que nous étions en plein milieu d'un endroit désert. Je craignais d'avoir gaspillé par inadvertance un de nos derniers jours de vacances.
J'ai expliqué la situation à mes amis qui ont poussé un gémissement. Ils m'en voulaient clairement, mais ils ne m'ont pas blâmé pour avoir ruiné leurs vacances. Ce qui m'a fait me sentir encore plus mal pour mon fiasco. C'était une expérience unique dans une vie, et je savais que perdre une journée de congé n'était pas rien pour eux.
Nous avons arrêté nos vélos et avons commencé à discuter de ce que nous devions faire. Devions-nous continuer de suivre la route qu'on suivait pour peut-être trouver quelqu'un d'autre le long du chemin, devions-nous essayer de faire marche arrière pour tomber sur quelqu'un plus près de la route principale ? Devions-nous juste abandonner notre plan de départ et essayer de trouver quelque chose d'autre à faire dans la région?
Alors que nous en décidions, j'ai remarqué quelques bâtiments, assez vieux en apparence, cachés dans une vallée, dissimulés par l'épaisse végétation accrochée aux pentes raides des montagnes. J'étais soulagé : il devait y avoir des gens à l'intérieur ou près de ces immeubles, et ça ne pouvait pas être à plus de 15 minutes en vélo ! Et blague à part, en Chine, les souvenirs les plus mémorables viennent souvent des situations imprévues. Notre malchance pourrait s'avérer être une bonne chose après tout.
Il était évident que nous étions dans une enclave abandonnée depuis un certain temps. Les bâtiments avaient manifestement fait partie d'une vieille commune de l'ère Maoïste, quand le communisme était en plein essor et que tout le monde était obligé de vivre dans des terrains communaux. Après la mort de Mao et de Deng Xiaoping [Dung Shyow Ping] a commencé une réforme économique pour chasser le communisme de la Chine. Les gens ont déserté ces communes pour faire leurs vies en ville et poursuivre l'idéal capitaliste. Ce que nous avions trouvé était en fait un témoin d'une période super intéressante de l'histoire de la Chine.
Nous avons décidé de visiter, d'en faire le tour, prendre quelques photos, etc. L'ensemble du terrain était occupé par un énorme siheyuan [sih huh yuwhen]. En gros, c'est une grande maison entourée de murs qui forment une vaste cour, et qui possède généralement de petites structures annexes (encore une fois, vous pouvez chercher sur Google pour vous faire une meilleure idée de ce à quoi ça ressemble). Dans ce cas cependant, ce n'était pas juste une seule famille, c'était toute une propriété collective fortifiée. Les murs eux-même constituaient les quartiers d'habitation et la zone centrale contenait un champ envahi par les hautes herbes où ils devaient garder le bétail. Il semblait que des animaux avaient élu domicile ici depuis que les gens étaient partis ; des chèvres et des vaches broutaient les longues herbes et des poulets gloussaient à leurs pieds. Dispersés autour du périmètre du champ, il y avait quelques bâtiments délabrés, qui je suppose avaient été la salle à manger et des unités de production textile ou alimentaire, en fonction de la spécialisation de l'endroit.
Nous avons inspecté la zone d'habitation et il est aussitôt devenu clair que cet endroit était abandonné depuis plusieurs décennies. Les pièces étaient presque complètement vides, il n'y avait que des meubles et quelques assortiments de biens dépareillés - woks, baguettes, portraits de Mao laissés là, créant une sorte d'atmosphère lugubre au milieu des murs effrités et fissurés.
Nous avons pris quelques photos, enregistré quelques vidéos, et plus généralement capturé l'instant. Nous nous apprêtions à partir, quand j'ai entendu une voix venant de l'autre bout de la propriété. Quelqu'un vivait-il encore ici ? C'était possible. Nous avions bien vu des animaux dans la zone centrale, après tout. J'avais supposé qu'ils étaient sauvages, mais il aurait été logique que quelqu'un soit encore en train de les élever. En fait, c'était même sûrement plus logique car il n'était pas très plausible que des animaux errants aient trouvé leur chemin à l'intérieur d'un endroit fermé comme celui-ci.
Nous nous sommes approchés de l'appartement d'où venait la voix. La porte d'entrée était légèrement entrouverte et une riche odeur d'encens flottait dans l'air. La voix continuait à bourdonner, presque comme un chant.
David a pris la parole. «Tu penses que ce gars-là connaît le chemin pour retourner à Yangshuo? Tu devrais lui demander.»
Je pensais que la personne à l'intérieur était peut-être en train de pratiquer une sorte de cérémonie religieuse, alors j'étais réticent à l'idée de l'interrompre, ce que je lui ai fait savoir.
"On ne sait pas combien de temps il va passer là-dedans. Tu veux sérieusement juste attendre devant la porte pendant des heures, à végéter ? Contente-toi de frapper à la porte, et si il trouvent que ce qu'il fait est tellement important, alors il nous demandera d'attendre et nous indiquera où aller quand il aura fini."
J'étais un peu agacé par David parce qu'il avait tendance à utiliser notre popularité en tant que personnes de couleur blanche pour obtenir un traitement de faveur de la part des chinois. De mon côté, je préférais essayer de me mêler à cette culture du mieux que je pouvais, et j'avais un profond respect pour les coutumes locales, spécialement les coutumes religieuses. Mais il marquait aussi un point - les chinois sont naturellement accueillants et désireux d'aider les autres. Si cette personne était un fidèle Bouddhiste ou Taoïste, alors sa volonté de nous aider serait encore plus grande, et il laisserait probablement tomber ce qu'il était en train de faire à la seconde où il nous verrait.
J'ai donc frappé doucement à la porte. Il n'y a pas eu de réponse. J'ai toqué un peu plus fort, et la personne a continué de murmurer pour elle-même. J'ai légèrement ouvert la porte, et parlé pour l'alerter de notre présence.
“Wei? (Way?) Ni hao! (Knee how!)” Le chant s'est arrêté un moment, presque imperceptiblement mais a ensuite repris comme si rien ne s'était passé. J'ai ouvert complètement la porte et j'ai vu une personne assez âgée, un homme bossu qui errait là, secouant un outil en bois tout en boitillait autour de la pièce, marmonnant son incantation.
Cet homme avait certainement connu l'époque communiste. Sa position voûtée, sa face ridée ainsi que sa peau calleuse révélaient des années de dur labeur. Il faisait pratiquement le double de ma taille et n'avait que quelques fins cheveux blancs sur le sommet de sa tête. Ses vêtements étaient typiquement ceux portés pendant le communisme ; pantalon gris foncé, avec une chemise boutonnée assortie qui montait jusqu'à sa pomme d'Adam et une casquette à la forme carrée. Il devait prendre grand soin de ses vêtements car ils étaient dans un étonnamment bon état, étant donné qu'ils dataient environ de 1950. Ce n'est pas comme si tout le monde pouvait trouver une réplique de vêtements d'une ère spécifique, surtout 60 ans après les faits.
Ce qui était encore plus surprenant que son apparence physique cependant, c'était l'état de son appartement. Vu à quel point les autres pièces de la propriété étaient vides, j'étais choqué de voir comment celle-ci était décorée. C'était comme si il avait récupéré tout ce que ses voisins n’avaient pas emporté avec eux quand ils étaient partis. Pas un mur n'était accessible car les tables avaient été poussées contre eux, occupant tout le périmètre de la pièce. Le dessus des tables était entièrement couvert par des bougies, de petites statues de Bouddha dans diverses poses, des fleurs fanées, des bracelets et des colliers de perles, des chaussures d'enfants, des calligraphies faites avec soin sur du papier de riz, et ce qui ressemblait à des effets personnels de proches qui étaient soit morts, soit l'avaient abandonné. Il y avait tout un tas d'autres objets que je ne pouvais même pas identifier.
Je me suis approché de lui et lui ai parlé, lui demandant s'il connaissait la région et était en mesure de nous aider à retrouver le chemin vers la ville. En réponse, il a seulement murmuré une phrase courte.
“Wo shao si ge ren [whoa sh-ow sih guh run].”
Wo Shao si ge ren? "Il me manque 4 personnes ?" Cet homme attendait-il de la visite?
"Excusez-moi?" ai-je demandé en mandarin.
"Wo Shao si ge ren !" a-t-il répété, immédiatement. Il m'a lancé un regard, puis ses yeux se sont dirigés précipitamment vers Sara et David. Il nous fixait tous les trois, répétant cette phrase encore et encore.
Je me suis senti mal pour lui. Ce pauvre homme devait être sénile. Peut-être que ses amis ou sa famille étaient partis de la commune en lui promettant de revenir et qu'il attendait toujours leur retour. Ou peut-être qu'il était juste vraiment malade et qu'il croyait sincèrement qu'il se préparait à recevoir 4 invités qui n'étaient pas encore arrivés. J'ai réessayé de communiquer avec lui à quelques reprises, mais il continuait juste de murmurer cette phrase énigmatique, en secouant l'objet en bois dans sa main.
J'ai regardé d'un peu plus près et j'ai réalisé que j'avais déjà vu l'objet qu'il tenait. C'était un instrument religieux utilisé pour vénérer les statues de Bouddha. De la même façon que les chrétiens croient que ceux qui participent à l'Eucharistie sont purifiés de leurs péchés, les Bouddhistes utilisent des outils comme celui de cet homme pour asperger les statues de Bouddha avec de l'eau, symbolisant qu'ils se purifient. Ils ont la forme de maracas espagnols et sont parsemés de petits trous qui permettent à une certaine quantité d'eau de s'échapper à chaque secousse. Parfois, les gens font infuser l'eau avec de la lavande ou d'autres herbes pour répandre une odeur agréable. Je ne sais pas ce que cet homme avait mélangé avec l'eau, mais ça dégageait une odeur vraiment immonde.
J'ai ignoré la scène et me suis tourné vers Sara et David.
"Qu'est-ce qu'il dit ?" a demandé Sara.
"Il répète en boucle 'il me manque 4 personnes' ", ai-je répondu.
"Qu'est-ce que ça veut dire?"
"Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Mais j'ai l'impression qu'il ne va pas pouvoir nous aider. On devrait peut-être juste essayer de retourner par nous-mêmes vers la route principale, en espérant qu'on croisera quelqu'un qui sera plus apte à nous indiquer le chemin ?"
"Qu'est-ce qu'il fout !?" a hurlé David. Sara et moi nous sommes tournés pour lui faire face.
"Ce vieux vient juste de m'éclabousser !" a-t-il dit d'un ton plaintif, en montrant une tache humide sur sa chemise. J'ai levé les yeux au ciel.
« Laisse-le tranquille" ai-je dit, "Tu vois bien qu'il ne sait pas ce qu'il fait. "Comme pour confirmer mes propos, le vieil homme continuait de marcher dans la pièce en traînant des pieds, aspergeant d'eau les statues de Bouddha et les autres objets posés sur les tables, tout en murmurant "wo shao si ge ren, wo shao si ge ren".
"Je suis d'accord pour qu'on s'en aille, mais tu devrais au moins lui demander si il a de l'eau. Ma bouteille est complètement vide", a dit Sara. C'était une bonne idée de refaire le plein avant de partir. Il fait affreusement chaud et humide toute l'année à Yangshuo, de sorte que même si nous étions déjà à la fin du mois d'Octobre, j'avais l'impression d'être en plein mois de juillet en Floride. Nous étions tellement en sueur que nous pouvions nous déshydrater rien qu'en nous tenant debout, même sans pédaler sur nos vélos.
"Ouais, c'est une bonne idée" ai-je répondu. J'étais sur le point de me tourner vers l'homme pour une dernière tentative, avec l'espoir de trouver quelque part où nous pourrions nous procurer de l'eau.
Il a secoué violemment l'objet en forme de maracas, répandant de l'eau sur mes chaussures et le sol autour de mes pieds. Il y a même eu quelques gouttes sur mon short.
“Wo shao si ge ren…” a-t-il murmuré encore, mais cette fois, j'ai senti un frisson me traverser le corps. Quelque chose ne tournait pas rond. Je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus, mais quelque chose clochait.
“Wo shao si ge ren…”
J'ai fait un pas vers l'homme et j'ai senti mon pied glisser légèrement en touchant le sol. J'ai regardé par terre et j'ai vu la couche anormale de poussière qui s'était accumulée sur le sol. Comment pouvait-il y avoir autant de poussière sur le plancher si quelqu'un vivait ici ?
“Wo shao si ge ren…”
J'étais de plus en plus mal à l'aise et je ressentais le besoin urgent de partir, mais je ne parvenais pas à comprendre pourquoi. J'ai lancé un regard à Sara, voulant parler, quand je me suis aperçu de quelque chose que je n'avais pas remarqué auparavant. Peut-être que ça m'avait échappé à cause du désordre, mais cette pièce était dans un état nettement bien pire que les autres. Les murs avaient des taches noires, le bois du cadre de la fenêtre était noirci et cassé, clairement plus fragile que ceux des autres appartements. On aurait presque dit que cet appartement-là spécifiquement avait survécu à toutes une série d'accidents mais tenait encore miraculeusement debout. Alors pourquoi était-ce la seule pièce encore occupée ?
“Wo shao si ge ren…”
Le vieux fou a secoué à nouveau l'objet, et cette fois j'ai reçu un léger filet d'eau sur le visage. La forte odeur a agressé mes narines. Ce n'était pas une odeur d'eau parfumée. C'était trop fort, trop abrasif. C'était presque comme si c'était... une odeur toxique. Ça m'a donné envie de tousser, de faire partir cette odeur de mon nez et de ma gorge.
“Wo shao si ge ren…”
Un frisson glacé m'a parcouru quand j'ai soudainement eu une prise de conscience.
"Les gars, on doit se tirer, tout de suite." ai-je dit. Je n'ai pas attendu que Sara ou David répondent, je me suis dirigé vers la porte et j'ai couru sans m'arrêter jusqu'à ce que j'atteigne mon vélo.
"Hé! Qu'est-ce qui se passe?" m'a crié David depuis le milieu de la cour.
"Pourquoi tu nous as abandonnés ?" a demandé Sara. Ils m'ont tous les deux rejoint et sont montés sur leurs vélos, un peu à bout de souffle. Je ne leur ai pas répondu. Nous avons roulé en silence sur le sentier qui s'est présenté à nous.
Après seulement une demi-heure à pédaler, nous sommes tombés sur des randonneurs, deux suédois. Ils parlaient l'anglais impeccablement, ce qui était une bonne chose car je n'étais pas d'humeur à faire la conversation, et Sara était contente de s'occuper de nous trouver le chemin pour rentrer à l'hôtel. Ce n'est que plus tard le soir quand nous y étions enfin que Sara a insisté pour que je leur dise ce qui m'avait fait paniquer à ce point.
"Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est depuis que nous sommes allés dans la maison de ce vieux gars flippant que tu as commencé à agir vraiment bizarrement."
Je ne voulais pas leur dire car j’espérais que si je gardais ça pour moi, alors peut-être que ce que ce qui s'était passé serait en quelque sorte moins réel. Peut-être que si je ne le disais pas à voix haute, alors je pourrais croire que ce n'était pas vraiment arrivé. Mais je l'ai dit. Garder le silence sur cette histoire ne changerait rien.
J'ai soupiré.
"Vous savez ce que le gars n'arrêtait pas de répéter?"
"Oui, tu nous as dit que ça signifiait. 'Il me manque 4 personnes'. Ça ne peut pas être ce qui t’embête, quand même..."
"Ce n'est pas ça qu'il disait. J'ai mal entendu."
Vous voyez, le truc avec la langue chinoise c'est que l'intonation fait toute la différence. Par exemple, si vous entendez ge ge (guh guh) ça peut vouloir dire "frère aîné" ou "chacun" en fonction du ton utilisé. Ce que je pensais être " Il me manque 4 personnes" n'était en fait pas ça du tout. C'est quand j'ai réalisé avec quoi il m'avait aspergé que j'ai compris que javais mal entendu l'intonation.
Ce n'était pas de l'eau qu'il aspergeait dans son appartement. C'était de l'essence. Et il ne disait pas "Il me manque 4 personnes".
Ce qu'il disait vraiment, c'était : "J'ai brûlé tout le monde".
Note
La romanisation des phrases et leurs traductions chinoises sont listées ci-dessous.
Il me manque 4 personnes :
wǒ shǎo sì ge rén
我少四个人
J'ai brûlé (littéralement dans le sens de tuer) tout le monde :
wǒ shāo sǐ gè rén
我烧死各人
Creepypasta originale ici
Ce que vous êtes sur le point de lire est réellement arrivé lors d'un stage au cours de l'automne 2014. Dans le but de protéger leur vie privée, je ne ne mentionne pas les noms de mes amis, le nom de la société qui m'employait à cette époque, ou le nom de mon université. Mais après avoir lu mon compte-rendu, si vous vous sentez sceptique ou que vous avez des questions à propos de mon expérience, n'hésitez pas à m'envoyer un mail à 2453396381@qq.com. Je sais que l'adresse ressemble à celles qui spamment de publicités, mais QQ est en fait un réseau social extrêmement populaire en Chine continentale, vu que Facebook, Twitter, et tout les réseaux occidentaux sont bloqués par le gouvernement chinois. La raison pour le nom d'utilisateur suspect est que votre numéro QQ est généré aléatoirement et vous est assigné lorsque vous créez un compte (ce qui est bien, c'est que votre identité est littéralement réduite à un nombre jusqu'à ce que vous fournissiez des détails personnels sur votre compte)
En automne 2014, j'ai obtenu un boulot en tant que superviseur de 13 professeurs d'anglais bénévoles. J'allais travailler dans une ville chinoise appelée Weihai [prononcé "Way High"] située dans la province du Shandong [shawn doe-ng]. La société qui m'a embauché envoie des professeurs d'anglais au Mexique, en Inde, en Chine, en Russie et en Ukraine chaque semestre. J'étais super excité par cette opportunité parce que non seulement j'allais avoir la chance de vivre de nouveau en Chine (j'étais initialement l'un des bénévoles pour ce même programme plusieurs années auparavant), mais en plus mon université était prête à me valider un semestre de langue chinoise en considérant cette opportunité comme un stage académique. J'allais avoir une bonne expérience du travail, vivre dans un pays que je considère comme ma seconde maison et valider un semestre universitaire, c'était l’automne rêvé !
À Weihai, les bénévoles et moi vivions et travaillions dans une prestigieuse école privée internationale. Ils nous ont vraiment bien traités. Un des plus gros avantages était que, en plus d'avoir les même congés que la faculté de l'école qui tombent pendant les vacances nationales de la Chine, nous avons aussi eu une semaine ou deux de vacances supplémentaires. C'est pendant ces vacances que j'ai vécu une des expériences les plus perturbantes de ma vie.
Deux de mes amis du groupe, je vais les appeler Sara et David, ont décidé qu'ils voulaient se rendre dans le sud de la province de Guangdong [gwahng doe-ng] pour le festival des Bateaux-Dragons. J'ai suggéré qu'on visite Yangshuo [yahng sh-whoa] , une ville peu connue et entourée de tous côtés par les magnifiques montagnes de la région. J'y étais allé une autre année et je n'allais pas laisser passer une occasion de la visiter encore. Cherchez sur google image des paysages de Yangshuo et vous comprendrez pourquoi je suis si fou de cet endroit.
Yangshuo n'est pas une grande ville, mais tout de même, si vous prévoyez de tout voir pendant que vous y êtes, vous avez besoin d'un moyen de transport, puisque la plupart des choses à faire sont dans la campagne alentour. Le problème, c'est qu'on avait choisi une période de l'année super animée pour visiter un endroit si touristique. Tout le trafic de la région pendant les 6 jours que nous avons passé sur la route était littéralement une ligne continue d'embouteillages, alors prendre un taxi ou embaucher un pousse-pousse n'était pas une option. Nous avons bien réfléchi, et nous avons loué des vélos qui nous ont donné la liberté d'aller partout où nous voulions. C'était encore mieux que de compter sur les taxis, car nous étions en mesure de nous rendre dans des lieux inaccessibles en voiture.
Je me suis souvenu de grottes de boue assez profondes que j'avais visitées la dernière fois. C'était à environ une heure de la ville en vélo, donc un gros détour par rapport au chemin prévu, mais leur nature isolée était une des raisons qui en faisait une destination si attrayante. Surtout pendant des vacances si agitées, c'était bien pour faire une pause de tous ces touristes. J'ai convaincu Sara et David de faire le voyage jusqu'aux grottes de boue, en leur expliquant qu'on avait déjà fait tout ce qu'il y avait à faire aux alentours de la ville. Ils ont accepté à contre-coeur, et le matin du 5ème jour, nous avons pris nos vélos et nous sommes partis.
Nous avons roulé pendant une heure. Une heure et demie. Deux heures. La deuxième heure passée, j'ai réalisé que j'avais dû nous perdre. Certes, il s'était écoulé un certain temps depuis que j'étais venu, donc je pense que c'était compréhensible si je ne me rappelais pas parfaitement de l'itinéraire. Mais quand même, je me sentais stupide et coupable. J'avais tant parlé de ces grottes de boue à mes amis et nous n'allions sûrement même pas les atteindre. En plus de ça, nous étions visiblement dans un coin de campagne complètement perdu. Je parlais la langue, alors retrouver notre chemin pour revenir en ville ne serait pas un problème. À condition que nous trouvions quelqu'un : il semblait que nous étions en plein milieu d'un endroit désert. Je craignais d'avoir gaspillé par inadvertance un de nos derniers jours de vacances.
J'ai expliqué la situation à mes amis qui ont poussé un gémissement. Ils m'en voulaient clairement, mais ils ne m'ont pas blâmé pour avoir ruiné leurs vacances. Ce qui m'a fait me sentir encore plus mal pour mon fiasco. C'était une expérience unique dans une vie, et je savais que perdre une journée de congé n'était pas rien pour eux.
Nous avons arrêté nos vélos et avons commencé à discuter de ce que nous devions faire. Devions-nous continuer de suivre la route qu'on suivait pour peut-être trouver quelqu'un d'autre le long du chemin, devions-nous essayer de faire marche arrière pour tomber sur quelqu'un plus près de la route principale ? Devions-nous juste abandonner notre plan de départ et essayer de trouver quelque chose d'autre à faire dans la région?
Alors que nous en décidions, j'ai remarqué quelques bâtiments, assez vieux en apparence, cachés dans une vallée, dissimulés par l'épaisse végétation accrochée aux pentes raides des montagnes. J'étais soulagé : il devait y avoir des gens à l'intérieur ou près de ces immeubles, et ça ne pouvait pas être à plus de 15 minutes en vélo ! Et blague à part, en Chine, les souvenirs les plus mémorables viennent souvent des situations imprévues. Notre malchance pourrait s'avérer être une bonne chose après tout.
Il était évident que nous étions dans une enclave abandonnée depuis un certain temps. Les bâtiments avaient manifestement fait partie d'une vieille commune de l'ère Maoïste, quand le communisme était en plein essor et que tout le monde était obligé de vivre dans des terrains communaux. Après la mort de Mao et de Deng Xiaoping [Dung Shyow Ping] a commencé une réforme économique pour chasser le communisme de la Chine. Les gens ont déserté ces communes pour faire leurs vies en ville et poursuivre l'idéal capitaliste. Ce que nous avions trouvé était en fait un témoin d'une période super intéressante de l'histoire de la Chine.
Nous avons décidé de visiter, d'en faire le tour, prendre quelques photos, etc. L'ensemble du terrain était occupé par un énorme siheyuan [sih huh yuwhen]. En gros, c'est une grande maison entourée de murs qui forment une vaste cour, et qui possède généralement de petites structures annexes (encore une fois, vous pouvez chercher sur Google pour vous faire une meilleure idée de ce à quoi ça ressemble). Dans ce cas cependant, ce n'était pas juste une seule famille, c'était toute une propriété collective fortifiée. Les murs eux-même constituaient les quartiers d'habitation et la zone centrale contenait un champ envahi par les hautes herbes où ils devaient garder le bétail. Il semblait que des animaux avaient élu domicile ici depuis que les gens étaient partis ; des chèvres et des vaches broutaient les longues herbes et des poulets gloussaient à leurs pieds. Dispersés autour du périmètre du champ, il y avait quelques bâtiments délabrés, qui je suppose avaient été la salle à manger et des unités de production textile ou alimentaire, en fonction de la spécialisation de l'endroit.
Nous avons inspecté la zone d'habitation et il est aussitôt devenu clair que cet endroit était abandonné depuis plusieurs décennies. Les pièces étaient presque complètement vides, il n'y avait que des meubles et quelques assortiments de biens dépareillés - woks, baguettes, portraits de Mao laissés là, créant une sorte d'atmosphère lugubre au milieu des murs effrités et fissurés.
Nous avons pris quelques photos, enregistré quelques vidéos, et plus généralement capturé l'instant. Nous nous apprêtions à partir, quand j'ai entendu une voix venant de l'autre bout de la propriété. Quelqu'un vivait-il encore ici ? C'était possible. Nous avions bien vu des animaux dans la zone centrale, après tout. J'avais supposé qu'ils étaient sauvages, mais il aurait été logique que quelqu'un soit encore en train de les élever. En fait, c'était même sûrement plus logique car il n'était pas très plausible que des animaux errants aient trouvé leur chemin à l'intérieur d'un endroit fermé comme celui-ci.
Nous nous sommes approchés de l'appartement d'où venait la voix. La porte d'entrée était légèrement entrouverte et une riche odeur d'encens flottait dans l'air. La voix continuait à bourdonner, presque comme un chant.
David a pris la parole. «Tu penses que ce gars-là connaît le chemin pour retourner à Yangshuo? Tu devrais lui demander.»
Je pensais que la personne à l'intérieur était peut-être en train de pratiquer une sorte de cérémonie religieuse, alors j'étais réticent à l'idée de l'interrompre, ce que je lui ai fait savoir.
"On ne sait pas combien de temps il va passer là-dedans. Tu veux sérieusement juste attendre devant la porte pendant des heures, à végéter ? Contente-toi de frapper à la porte, et si il trouvent que ce qu'il fait est tellement important, alors il nous demandera d'attendre et nous indiquera où aller quand il aura fini."
J'étais un peu agacé par David parce qu'il avait tendance à utiliser notre popularité en tant que personnes de couleur blanche pour obtenir un traitement de faveur de la part des chinois. De mon côté, je préférais essayer de me mêler à cette culture du mieux que je pouvais, et j'avais un profond respect pour les coutumes locales, spécialement les coutumes religieuses. Mais il marquait aussi un point - les chinois sont naturellement accueillants et désireux d'aider les autres. Si cette personne était un fidèle Bouddhiste ou Taoïste, alors sa volonté de nous aider serait encore plus grande, et il laisserait probablement tomber ce qu'il était en train de faire à la seconde où il nous verrait.
J'ai donc frappé doucement à la porte. Il n'y a pas eu de réponse. J'ai toqué un peu plus fort, et la personne a continué de murmurer pour elle-même. J'ai légèrement ouvert la porte, et parlé pour l'alerter de notre présence.
“Wei? (Way?) Ni hao! (Knee how!)” Le chant s'est arrêté un moment, presque imperceptiblement mais a ensuite repris comme si rien ne s'était passé. J'ai ouvert complètement la porte et j'ai vu une personne assez âgée, un homme bossu qui errait là, secouant un outil en bois tout en boitillait autour de la pièce, marmonnant son incantation.
Cet homme avait certainement connu l'époque communiste. Sa position voûtée, sa face ridée ainsi que sa peau calleuse révélaient des années de dur labeur. Il faisait pratiquement le double de ma taille et n'avait que quelques fins cheveux blancs sur le sommet de sa tête. Ses vêtements étaient typiquement ceux portés pendant le communisme ; pantalon gris foncé, avec une chemise boutonnée assortie qui montait jusqu'à sa pomme d'Adam et une casquette à la forme carrée. Il devait prendre grand soin de ses vêtements car ils étaient dans un étonnamment bon état, étant donné qu'ils dataient environ de 1950. Ce n'est pas comme si tout le monde pouvait trouver une réplique de vêtements d'une ère spécifique, surtout 60 ans après les faits.
Ce qui était encore plus surprenant que son apparence physique cependant, c'était l'état de son appartement. Vu à quel point les autres pièces de la propriété étaient vides, j'étais choqué de voir comment celle-ci était décorée. C'était comme si il avait récupéré tout ce que ses voisins n’avaient pas emporté avec eux quand ils étaient partis. Pas un mur n'était accessible car les tables avaient été poussées contre eux, occupant tout le périmètre de la pièce. Le dessus des tables était entièrement couvert par des bougies, de petites statues de Bouddha dans diverses poses, des fleurs fanées, des bracelets et des colliers de perles, des chaussures d'enfants, des calligraphies faites avec soin sur du papier de riz, et ce qui ressemblait à des effets personnels de proches qui étaient soit morts, soit l'avaient abandonné. Il y avait tout un tas d'autres objets que je ne pouvais même pas identifier.
Je me suis approché de lui et lui ai parlé, lui demandant s'il connaissait la région et était en mesure de nous aider à retrouver le chemin vers la ville. En réponse, il a seulement murmuré une phrase courte.
“Wo shao si ge ren [whoa sh-ow sih guh run].”
Wo Shao si ge ren? "Il me manque 4 personnes ?" Cet homme attendait-il de la visite?
"Excusez-moi?" ai-je demandé en mandarin.
"Wo Shao si ge ren !" a-t-il répété, immédiatement. Il m'a lancé un regard, puis ses yeux se sont dirigés précipitamment vers Sara et David. Il nous fixait tous les trois, répétant cette phrase encore et encore.
Je me suis senti mal pour lui. Ce pauvre homme devait être sénile. Peut-être que ses amis ou sa famille étaient partis de la commune en lui promettant de revenir et qu'il attendait toujours leur retour. Ou peut-être qu'il était juste vraiment malade et qu'il croyait sincèrement qu'il se préparait à recevoir 4 invités qui n'étaient pas encore arrivés. J'ai réessayé de communiquer avec lui à quelques reprises, mais il continuait juste de murmurer cette phrase énigmatique, en secouant l'objet en bois dans sa main.
J'ai regardé d'un peu plus près et j'ai réalisé que j'avais déjà vu l'objet qu'il tenait. C'était un instrument religieux utilisé pour vénérer les statues de Bouddha. De la même façon que les chrétiens croient que ceux qui participent à l'Eucharistie sont purifiés de leurs péchés, les Bouddhistes utilisent des outils comme celui de cet homme pour asperger les statues de Bouddha avec de l'eau, symbolisant qu'ils se purifient. Ils ont la forme de maracas espagnols et sont parsemés de petits trous qui permettent à une certaine quantité d'eau de s'échapper à chaque secousse. Parfois, les gens font infuser l'eau avec de la lavande ou d'autres herbes pour répandre une odeur agréable. Je ne sais pas ce que cet homme avait mélangé avec l'eau, mais ça dégageait une odeur vraiment immonde.
J'ai ignoré la scène et me suis tourné vers Sara et David.
"Qu'est-ce qu'il dit ?" a demandé Sara.
"Il répète en boucle 'il me manque 4 personnes' ", ai-je répondu.
"Qu'est-ce que ça veut dire?"
"Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Mais j'ai l'impression qu'il ne va pas pouvoir nous aider. On devrait peut-être juste essayer de retourner par nous-mêmes vers la route principale, en espérant qu'on croisera quelqu'un qui sera plus apte à nous indiquer le chemin ?"
"Qu'est-ce qu'il fout !?" a hurlé David. Sara et moi nous sommes tournés pour lui faire face.
"Ce vieux vient juste de m'éclabousser !" a-t-il dit d'un ton plaintif, en montrant une tache humide sur sa chemise. J'ai levé les yeux au ciel.
« Laisse-le tranquille" ai-je dit, "Tu vois bien qu'il ne sait pas ce qu'il fait. "Comme pour confirmer mes propos, le vieil homme continuait de marcher dans la pièce en traînant des pieds, aspergeant d'eau les statues de Bouddha et les autres objets posés sur les tables, tout en murmurant "wo shao si ge ren, wo shao si ge ren".
"Je suis d'accord pour qu'on s'en aille, mais tu devrais au moins lui demander si il a de l'eau. Ma bouteille est complètement vide", a dit Sara. C'était une bonne idée de refaire le plein avant de partir. Il fait affreusement chaud et humide toute l'année à Yangshuo, de sorte que même si nous étions déjà à la fin du mois d'Octobre, j'avais l'impression d'être en plein mois de juillet en Floride. Nous étions tellement en sueur que nous pouvions nous déshydrater rien qu'en nous tenant debout, même sans pédaler sur nos vélos.
"Ouais, c'est une bonne idée" ai-je répondu. J'étais sur le point de me tourner vers l'homme pour une dernière tentative, avec l'espoir de trouver quelque part où nous pourrions nous procurer de l'eau.
Il a secoué violemment l'objet en forme de maracas, répandant de l'eau sur mes chaussures et le sol autour de mes pieds. Il y a même eu quelques gouttes sur mon short.
“Wo shao si ge ren…” a-t-il murmuré encore, mais cette fois, j'ai senti un frisson me traverser le corps. Quelque chose ne tournait pas rond. Je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus, mais quelque chose clochait.
“Wo shao si ge ren…”
J'ai fait un pas vers l'homme et j'ai senti mon pied glisser légèrement en touchant le sol. J'ai regardé par terre et j'ai vu la couche anormale de poussière qui s'était accumulée sur le sol. Comment pouvait-il y avoir autant de poussière sur le plancher si quelqu'un vivait ici ?
“Wo shao si ge ren…”
J'étais de plus en plus mal à l'aise et je ressentais le besoin urgent de partir, mais je ne parvenais pas à comprendre pourquoi. J'ai lancé un regard à Sara, voulant parler, quand je me suis aperçu de quelque chose que je n'avais pas remarqué auparavant. Peut-être que ça m'avait échappé à cause du désordre, mais cette pièce était dans un état nettement bien pire que les autres. Les murs avaient des taches noires, le bois du cadre de la fenêtre était noirci et cassé, clairement plus fragile que ceux des autres appartements. On aurait presque dit que cet appartement-là spécifiquement avait survécu à toutes une série d'accidents mais tenait encore miraculeusement debout. Alors pourquoi était-ce la seule pièce encore occupée ?
“Wo shao si ge ren…”
Le vieux fou a secoué à nouveau l'objet, et cette fois j'ai reçu un léger filet d'eau sur le visage. La forte odeur a agressé mes narines. Ce n'était pas une odeur d'eau parfumée. C'était trop fort, trop abrasif. C'était presque comme si c'était... une odeur toxique. Ça m'a donné envie de tousser, de faire partir cette odeur de mon nez et de ma gorge.
“Wo shao si ge ren…”
Un frisson glacé m'a parcouru quand j'ai soudainement eu une prise de conscience.
"Les gars, on doit se tirer, tout de suite." ai-je dit. Je n'ai pas attendu que Sara ou David répondent, je me suis dirigé vers la porte et j'ai couru sans m'arrêter jusqu'à ce que j'atteigne mon vélo.
"Hé! Qu'est-ce qui se passe?" m'a crié David depuis le milieu de la cour.
"Pourquoi tu nous as abandonnés ?" a demandé Sara. Ils m'ont tous les deux rejoint et sont montés sur leurs vélos, un peu à bout de souffle. Je ne leur ai pas répondu. Nous avons roulé en silence sur le sentier qui s'est présenté à nous.
Après seulement une demi-heure à pédaler, nous sommes tombés sur des randonneurs, deux suédois. Ils parlaient l'anglais impeccablement, ce qui était une bonne chose car je n'étais pas d'humeur à faire la conversation, et Sara était contente de s'occuper de nous trouver le chemin pour rentrer à l'hôtel. Ce n'est que plus tard le soir quand nous y étions enfin que Sara a insisté pour que je leur dise ce qui m'avait fait paniquer à ce point.
"Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est depuis que nous sommes allés dans la maison de ce vieux gars flippant que tu as commencé à agir vraiment bizarrement."
Je ne voulais pas leur dire car j’espérais que si je gardais ça pour moi, alors peut-être que ce que ce qui s'était passé serait en quelque sorte moins réel. Peut-être que si je ne le disais pas à voix haute, alors je pourrais croire que ce n'était pas vraiment arrivé. Mais je l'ai dit. Garder le silence sur cette histoire ne changerait rien.
J'ai soupiré.
"Vous savez ce que le gars n'arrêtait pas de répéter?"
"Oui, tu nous as dit que ça signifiait. 'Il me manque 4 personnes'. Ça ne peut pas être ce qui t’embête, quand même..."
"Ce n'est pas ça qu'il disait. J'ai mal entendu."
Vous voyez, le truc avec la langue chinoise c'est que l'intonation fait toute la différence. Par exemple, si vous entendez ge ge (guh guh) ça peut vouloir dire "frère aîné" ou "chacun" en fonction du ton utilisé. Ce que je pensais être " Il me manque 4 personnes" n'était en fait pas ça du tout. C'est quand j'ai réalisé avec quoi il m'avait aspergé que j'ai compris que javais mal entendu l'intonation.
Ce n'était pas de l'eau qu'il aspergeait dans son appartement. C'était de l'essence. Et il ne disait pas "Il me manque 4 personnes".
Ce qu'il disait vraiment, c'était : "J'ai brûlé tout le monde".
Note
La romanisation des phrases et leurs traductions chinoises sont listées ci-dessous.
Il me manque 4 personnes :
wǒ shǎo sì ge rén
我少四个人
J'ai brûlé (littéralement dans le sens de tuer) tout le monde :
wǒ shāo sǐ gè rén
我烧死各人
Traduction : Antinotice
Creepypasta originale ici
Bon boulot !Pour la traduction tout comme l'écriture et la documentation sur la Chine. J'ai adoré.
RépondreSupprimerExcellente cette creepypasta !
RépondreSupprimerPas trop aimé mais elle est bien écrite
RépondreSupprimerAbsolument géniale! J'ai adoré, l'ambiance était vraiment inquiétante.
RépondreSupprimerEtant étudiante en chinois je comprend tout à fait se problème là, c'est vraiment terrible, les intonations sont tellement précises et nous n'avons pas l'oreille pour distinguer des détails pareils mais on finit par s'habituer, mais ça arrive de se faire piéger, comme dans cette pasta!
Moi aussi j'étudie le chinois et c'est vraiment dur les tons haha
SupprimerJ'ai cru que le vieux sénile allait taper celui qui voulait lui parler.
RépondreSupprimerElle est vraiment super celle-là
RépondreSupprimerHop, dans mes favorites ♡
(p'tit faible pour les p'tits vieux séniles)
La traduction est géniale.
Très bonne pasta mis à part les prononciations mises entre parenthèses (comme Knee How pour "Nĭ hăo") qui ne se prononce pas comme ça en chinois !
RépondreSupprimerKnee How = Nii ahow si tu préfères
SupprimerQuelqu'un à testé l'email ?
RépondreSupprimerJ'ai envoyé un mail (en anglais) vendredi mais toujours aucune réponse. Je doute qu'il soit actif.
SupprimerWOW au début je pensais que le vieux voulais sacrifier des gens.
RépondreSupprimerWow j'espère qu'ils on appeler la police après sa :x
RépondreSupprimermouais je m'attendais à pire on va dire que ça passe
RépondreSupprimerSPOIL :
RépondreSupprimeren gros il comptait les bruler ?
Oui je pense
SupprimerPas mal inquiétante surtout la fin.
RépondreSupprimerBravo, cette creepy est vraiment pas mal, il m'en faut un peu plus pour avoir peur mais ça change des histoires de chair humaine :) Pour reprendre des choses déjà dites je tiens à féliciter l'auteur pour la documentation, j'ai vraiment appris des choses. Après d'un autre côté c'est peut-être un peu trop, personnelement à quelques reprises je suis sortie de l'histoire pour plonger dans celle de la Chine ^-^ Mais dans tous les cas c'est du bon travail !
RépondreSupprimerPour ceux qui ne comprendraient pas, le liquide des "maracas" est sûrement de l'huile ou de l'essence, fortement inflammable et à l'odeur forte, ce qui explique l'odeur et le "j'ai brûlé tout le monde"
RépondreSupprimerOn avait compris.
SupprimerUne des pasta les plus documentées qu'il m'ait été donné de lire. Le côté réaliste en est accentué. Bravo
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup.
RépondreSupprimerLe décor y est bien planté et tout est assez réaliste.
On comprend dès que les personnages arrivent chez le vieil homme que quelque chose ne va pas sans savoir quoi exactement, et c'est ça qui est inquiétant.
Au début, je pensais qu'il voulait faire des sacrifices humain, mais finalement la chute est parfaite ^^
J'ai vraiment bien imaginé toute la scène et chercher des images sur Google a vraiment bien aidé à se faire une idée du lieu, mais la seule chose étrange étant que, si c'est de l'essence qu'il jetait alors pourquoi tout n'a pas flambé lorsque les gouttes auraient touché les flammes des bougies à côté des statuettes....?
RépondreSupprimerHa la la...La chance qu'ils ont eu qu'elle ait de bonnes notions de Mandarin...Sinon, à l'heure qu'il est, on pourrait les faire tenir dans un cendrier......
RépondreSupprimerPas des plus effrayantes mais la mieux écrite et documentée de ce que j'ai pu lire, elle aurait même sa place dans un recueil de nouvelles. J'ai adoré !
RépondreSupprimerTrès sympa !
RépondreSupprimerIls l'ont échappé belle ^^
RépondreSupprimerWoW ! Tout simplement incroyable ! La documentation, la traduction, tout est impec ! J’ai surkiffé !
RépondreSupprimerY'a toujours un truc en plus (positif) quand je lis une pasta qui se passe en Asie.
RépondreSupprimer