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Quand j'étais plus jeune et que je rentrais chez moi, je jouais toujours au même jeu en arrivant dans mon immeuble. Si j'entendais un voisin arriver, je traçais jusqu'à l'ascenseur pour ne pas avoir à le saluer et à monter avec. Je m'imaginais que j'étais poursuivie par un monstre et je me prenais tellement au jeu que mon cœur battait la chamade. Peut-être qu'on me trouvait impolie, mais moi ça me faisait rire, et au fond ce n'était pas bien méchant.
Je suis maintenant adulte, et j'ai déménagé il y a peu dans un immeuble plus ancien, sans ascenseur. Habitant au septième étage, et trouvant la montée un peu longue, j'ai remis mon jeu au goût du jour. Dès que j'entends d'autres pas dans l'escalier, je cours pour ne pas me faire attraper par « le monstre ».
Outre ce petit côté enfantin qui subsiste, je vous rassure, j'ai un comportement tout à fait normal avec les autres humains, et je ne m'imagine pas qu'ils sont des loups-garous ou des vampires quand je leur adresse la parole. Enfin, seulement lorsqu'ils m'ennuient.
L'autre jour, alors que j'attendais quelqu'un en bas, dans la cour de l'immeuble, je l'ai vue passer pour la première fois. Grande, plutôt jolie et habillée de façon simple mais raffinée, elle est passée devant moi sans m'adresser un mot, laissant dans l'air un parfum... absolument nauséabond, comme si par-dessus une odeur fleurie s'était rajoutée une autre odeur, celle des égouts qu'on peut parfois sentir en ville après la pluie, mais en bien plus fort. Le mélange était vraiment écœurant.
Je l'ai recroisée plusieurs fois, chaque fois dans la cour – souvent elle ressortait de la cave de l'immeuble - et toujours aussi malodorante. Je ne savais même pas à quel étage elle habitait. Une fois, me fiant à mon odorat, j'ai su que c'était elle qui s'apprêtait à s'engager à son tour dans les escaliers, mais qu'elle me pardonne, j'avais à fuir le monstre avant qu'il ne me rattrape.
De toute façon, je ne sais pas ce que je lui aurais bien dit le temps qu'aurait duré cette ascension à ses côtés, c'est à peine si la Puante répondait à mes « Bonjour ! » enjoués quand je la croisais. Un peu commère, j'ai fini par en parler avec une voisine de palier et amie, lui demandant où vivait exactement cette femme et ce qu'elle faisait dans la vie. Je n'ai d'ailleurs pas hésité à la désigner par le petit surnom que je lui avais donné. Mon amie, Viviane, m'a répondu qu'elle ne voyait pas qui pouvait être la Puante, mais qu'après tout elle ne vivait pas ici depuis très longtemps.
Affaire close, donc.
Jusqu'à ce qu'un soir où j'étais au bar avec Viviane, elle me demande de lui décrire à nouveau la Puante, physiquement et olfactivement. Elle y avait repensé, et elle ne savait plus trop par quel cheminement de pensée, mais ça lui avait rappelé une histoire étrange. Son frère qui, il y a quelques années, vivait dans une autre ville, lui avait parlé d'une femme similaire. Il avait dit à Viviane qu'il croisait parfois une femme très jolie mais qui ne sentait vraiment pas bon, et que c'était dommage, parce que sans ça, il l'aurait volontiers invitée à sortir.
Le frère de Vivianne avait un coloc, Simon, qui se foutait de sa gueule parce qu'il pensait que cette femme n'existait pas, qu'il ne l'avait jamais croisée. Simon trouvait ça particulièrement étrange, parce qu'il guettait la moindre représentante de sexe féminin qui franchissait le pas de la porte de leur immeuble, donc il ne voyait pas comment il aurait pu ne pas la voir depuis le temps que le frère de Viviane en parlait.
Finalement, un jour, il l'a lui aussi croisée dans la cour de son immeuble. Puis, il l'a recroisée une deuxième et dernière fois. Simon rentrait d'une soirée bien arrosée, il titubait et peinait à garder les idées claires.
Il montait les escaliers jusqu'à son appartement au quatrième comme il pouvait, quand il a entendu des pas derrière lui. C'était la Puante, bien que lui ne l'appelait sans doute pas ainsi. Ignorant l'odeur, il s'est arrêté et lui a lancé un sourire charmeur.
Elle s'est alors jetée sur lui, bien trop vite pour que ses yeux ou son cerveau n'aient pu traiter l'information. Simon a ressenti, malgré l’anesthésie de l'alcool, une vive douleur à la cuisse, et quand il a posé le regard dessus, il a vu la femme en train de la lui déchiqueter, ses dents anormalement longues et aiguisées s'acharnant sur la chair, les muscles et mêmes les os. Elle ne mangeait pas sa jambe, elle en faisait juste des lambeaux qui virevoltaient et se posaient avec de petits bruits timides dans les escaliers en bois. Alors qu'elle allait maintenant s'attaquer à l'autre jambe, Simon a hurlé de toutes ses forces. Un voisin a accouru, paniqué. La scène avait duré moins d'une minute.
Quand le voisin est sorti, la Puante avait disparu. Simon a perdu connaissance, et s'est réveillé à l'hôpital. Bien sûr, comme toujours dans ce genre d'histoire, on n'a pu retrouver de trace de l'existence de la Puante. Bien qu'il était indéniable qu'une chose horrible s'était produite ce soir-là, il n'y avait aucune preuve que quelqu'un était responsable de l'état de Simon et des restes de sa jambe répandus partout dans l'escalier. Aucune trace d'ADN ni d'une quelconque autre preuve. Le frère de Viviane avait confirmé avoir vu plusieurs fois cette femme dans l'immeuble, mais il était tout de même sceptique quant au fait que ce soit elle qui ait fait ça à Simon. Il était tellement alcoolisé, comment se fier à ses dires ? De plus, le choc avait pu altérer ses souvenirs et à quelques pas de là, un réseau de combats de chien avait été découvert, avec de nombreuses pauvres bêtes enragées. Ça n'expliquait pas tout, ni l'absence de bave canine retrouvée sur les lieux du drame, mais c'était du moins une explication un peu plus crédible.
Cette énigme délirante n'avait pas aidé Simon à passer à autre chose, et il avait fini par déménager. Bien que ni l'un ni l'autre n'aient plus jamais revu la Puante, Simon était constamment angoissé de se trouver dans cet immeuble, et il en voulait au frère de Viviane de ne pas l'avoir cru.
Viviane m'a dit que ni elle ni son frère ne pouvaient se résoudre à croire les faits racontés par Simon, ils étaient partisans de l'idée qu'il avait déliré à cause de la douleur, peu importe ce qui avait pu causer l'accident. Je lui ai demandé si elle pensait que ça pouvait être la même Puante, mais elle a rigolé en me disant de ne pas avoir peur. Je lui ai dit que je n'avais pas peur, et que j'adorais les histoires d'horreur, surtout si je pouvais redouter qu'elles soient vraies. Viviane a décidé de se lancer dans une tournée des bars avec des amies à elles que je ne connaissais pas, alors j'ai préféré rentrer.
J'ai beau aimer les histoires d'horreur un peu trop vraies pour bien dormir, en courant dans les escaliers ce soir-là pour échapper au monstre qui pourrait se trouver à mes trousses, mon cœur battait encore plus vite que quand je jouais à ce jeu enfant.
Je ne croise pas souvent la Puante et peut-être n'est-ce qu'une coïncidence, mais que se passera-t-il si un jour je ne cours pas assez vite ?
super cool celle là !
RépondreSupprimerEn effet, elle est très sympa cette pasta ! Suffisamment d'éléments inquiétants pour faire songer à une psychopathe, ou une créature de l'autre monde, mais suffisamment réaliste pour qu'on puisse s'immerger dans l'histoire et y voir une explication rationnelle
RépondreSupprimerLa Puante me fait penser à une Goule
RépondreSupprimerCes créatures ressemblait à des femmes cadavériques qui puaient ou alors elles prenaient la forme d'une belle femme pour tromper les voyageurs perdus et ensuite les bouffer, même qu'elles pouvaient se transformer en hyène et manger les cadavres !
Le mieux est de déménager et dans une maison .
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