Supposons que vous obteniez un
vieux poste radio des années 90. Supposons qu'il soit allumé et réglé
sur « ondes courtes ». Supposons que vous ayez décidé de vous amuser à
écouter tout ce qui peut passer sur les ondes. Vous passez de canal
en canal, le casque sur les oreilles. Vous recevez des voix du monde
entier, Corée du Nord, Chili, Chine, États-Unis, que ce soient des
rapports de météo marine, une émission sur la soupe de riz, ou une autre
création tout aussi poétique. Un soir, depuis votre train radio, vous
apercevez une gare non répertoriée, une fréquence d'émission inédite, ou
non référencée, incertaine en tout cas. Vous entendez alors une petite
musique, un air espagnol, ou russe, vous n'êtes pas sûr. Après ce qui
vous semble être une introduction, une voix d'enfant synthétique et
désincarnée commence à égrener des chiffres par groupes de 5, en
espagnol : 5 1 2 9 7, etc. Vous ne le savez peut-être pas, mais vous
venez d'entendre ce qu'on appelle une station de nombres.
Une station de nombres est une station radio d'origine incertaine émettant à haute fréquence des messages. Ceux-ci sont le plus souvent des suites de nombres ou de lettres, énoncées généralement par des voix artificielles, et ce, dans des langues très diverses. Parfois, les messages sont précédés d'un signal annonçant le début, par exemple « ¡Atención! », ou des paroles de chanson, etc. Après le message vient une annonce de fin de transmission, par exemple, le mot « fin », ou une variation quelconque selon la langue utilisée ou les lubies de l'émetteur. Bien entendu, l'origine de ces émissions est incertaine, voire inconnue.
Mais qui les envoie ? À qui cela est-il destiné ? Et surtout, la question la plus humaine du monde : Pourquoi ?
Les stations de nombres apparaissent comme aussi anciennes que la radio elle-même. Dès la Première Guerre Mondiale, des opérateurs ont capté de telles séries de nombre, sur des fréquences inusitées. Mais le nombre de témoignages a explosé durant la Guerre Froide. Rien d'étonnant me direz-vous, avec tous ces espions rouges. En 1971, Simon Mason, 14 ans, reçoit pour Noël un récepteur ondes courtes, et capte sa première station peu après. En 1978, Chris Smolinski en fait lui aussi la découverte. Parallèlement à l'augmentation de la fréquence de captation des stations, le nombre d'articles à ce sujet stagne à zéro, bien qu'une communauté dédiée se forme. Le "dirigeant" de celle-ci est un individu au pseudonyme étrange : Havana Moon, se révélant plus tard être William Thomas Godbey, un ancien agent de renseignement américain.
L'une première hypothèse sur l'origine de ces signaux veut qu'il s'agisse de résultats de loterie ou de bulletins météos quelconques. Mais cela ne tient pas debout : pourquoi ces émissions ne sont-elles pas répertoriées ? Pourquoi les instances de régulation ne les indiquent-elles pas ? Havana Moon commence alors à affirmer que certaines de ces émissions sont liées à la Colonie Dignidad, au Chili, ce qui a été confirmé par la suite. Cette Colonie Dignidad est une organisation caritative néo-nazie basée au Chili possédant un domaine d'activité de 3000 hectares. Le gouvernement chilien de l'époque fermait les yeux sur leurs activités, qui allaient de soins effectifs prodigués aux natifs du lieu à l'obligation pour les membres de la colonie de se reproduire pour former une race pure, etc. Bref, vous avez compris l'idée.
D'autres mystères suivent. Simon Mason fait état de faits extrêmement curieux liés à l'écoute des stations de nombres, comme cette émission en date du 3 septembre 1989 qui ne sera plus jamais entendue par la suite. Il en va de même pour la station de nombre baptisée « Jazz Player » introduite par un air de saxophone précédent une voix de femme égrenant les groupes de cinq chiffres et qui ne sera capté qu'une seule et unique fois malgré des années d'écoute dans le monde entier.
Le 20 septembre 1988, une voix synthétique féminine délivre son message chiffré. Pendant deux ans, personne n'entendra plus l'introduction musicale composée de trois notes dont les tonalités montent, et la radio « Three Note Oddity » cessera d'émettre. Simon Mason reviendra régulièrement sur la fréquence qui a délivré les groupes de cinq chiffres de la « Three Note Oddity ». Il est confronté au vide de la bande jusqu'au 30 septembre 1990, car ce dimanche voit la résurgence des trois notes sur la bande des ondes courtes, suivies du message chiffré identique point par point à celui entendu deux ans plus tôt. Vous pouvez l'écouter ici : https://www.numbers-stations.com/ns/german/g04/.
À cette suite d'énigmes, succèdent d'autres transmissions incompréhensibles, illogiques, incohérentes. Par exemple, les écouteurs nord-américains captent en 1990 une station de nombres affublée par cette même communauté du doux nom de « Bulgarian Betty ». Les séries de chiffres sont entendues sur 4030 & 4882.5 khz en russe, polonais, bulgare, serbo-croate et même en macédonien ! Vous pouvez l'écouter ici : https://www.numbers-stations.com/ns/slavic/s10/.
Les fréquences de la BBC sur les ondes courtes sont également « polluées » pendant la première guerre du Golfe. Une auditrice andorrane de la radio d'état britannique se plaint en effet de l'interférence causée par une voix de femme égrenant des séries de chiffre en lieu et place du bulletin d'information journalier. Cette dame demande ensuite à la BBC s'il aurait pu s'agir d'espionnage. La réponse avancée une tout autre explication : « Chère Madame, il s'agit de bulletins d'enneigement destinés à la maintenance des remontées mécaniques ».
Le Coup d'État avorté dans l'Union Soviétique d'août 1991 donne, lui, lieu à d'étranges diffusions d'une station de nombre qui a passé le même message durant 24h. Vous pouvez l'écouter ici : https://soundcloud.com/walter-kurtz-2/moscow-coup-attempt-irdial.
D'ailleurs, si vous voulez des enregistrements de telles émissions, vous en trouverez beaucoup ici : http://archive.org/details/ird059/. La piste 24 ainsi que la piste 131 sont en français.
Mais une hypothèse beaucoup plus « sérieuse », unifiant un peu toutes les théories précédentes, est apparue par la suite. Ces émissions seraient en fait des messages codés par des autorités ou des organisations quelconques, utilisant le principe de masque jetable pour rendre ces communications indécryptables. Pour faire court, quand vous chiffrez un message, vous pouvez remplacer des lettres par des nombres, suivant un certain code (le codage le plus simple est de remplacer A par 1, B par 2, etc). Un masque jetable est un code aléatoire : on associe à la première lettre du message un nombre, à la deuxième lettre du message un autre, etc, puis on donne en main propre le code au récepteur, code valable pour un unique message. Cela garantit que le code, s'il n'est pas volé au récepteur, est incassable.
Cependant, une donnée handicape cette théorie : pourquoi les nombres sont-ils souvent envoyés par paquets de 5 si les émetteurs sont réellement aussi divers que ce qu'on veut bien croire ? Et pourquoi transmettre tous les jours, tous les mois, toutes les semaines des messages semblables ? Dans tous les cas, on peut toujours sauver cette explication en se disant que la masse de ces messages est juste une transmission vide de sens, visant seulement à garder un contact quelconque, avec parfois une information importante pouvant passer, codée comme nous l'avons expliqué.
Ce qui est très amusant est la réaction des autorités lorsqu'on leur en parle. Voici un exemple. Andy Tower, porte-parole de la Chambre de Commerce et d'Industrie, qui régule les télécommunications en Angleterre, déclare en 1998 au Daily Telegraph : « Ces stations de nombres sont ce que vous supposez qu'elles sont. Les auditeurs ne devraient pas avoir de fantasmes sur elles. Elles ne sont pas faites pour une écoute publique. » En 2000, John Winston, assistant chef de la Commission Fédérale des Communications aux États-Unis, résume en ces termes sa position au sujet des stations de nombres dans l'émission radio All thing Considered : « Nous n'avons pas l'intention de discuter de ces stations, si seulement elles existent... Cela ne veut pas dire que j'admets le fait que des stations de nombres émettent depuis ce pays, même si vous affirmez le contraire. Nous en connaissons un grand nombre, mais à l'extérieur du pays. » Pour résumer, circulez, y'a rien à voir. Pourtant, cela peut concerner les simples citoyens, a priori. Ces émissions ne sont pas toujours inoffensives. Une station a par exemple interféré avec le trafic aérien à 6577 kHz, une fréquence réservée aux communications aéronautiques internationales dans le secteur des Caraïbes. Cela s'est répété plusieurs fois. À un moment, le contrôleur aérien de l'ARINC a même été contraint d'utiliser une autre fréquence car les transmissions de nombres bloquaient totalement les autres messages. Le site émetteur a été identifié comme étant Guineo, à Cuba, lié au Renseignement Cubain.
On pense que la dernière hypothèse serait la plus plausible. En effet, certains enregistrements de stations de nombres ont été utilisées comme pièces à conviction dans des procès.
1957 - Rudolf Abel aka William Fischer
L'histoire de William Fischer est un roman. Agent du KGB, il a opéré sur le sol des USA de 1948 jusqu'à son arrestation en 1957 sous une identité usurpée à un autre agent du KGB décédé : Rudolf Abel. C'est une pièce de monnaie creusée qui a été à l'origine de la chute de ce chef de réseau. À l'intérieur de celle-ci ont été introduits des masques jetables microfilmés qui ont permis au FBI de remonter jusqu'à William Fischer. Grâce à cette découverte, le contre-espionnage US a pu repérer et écouter les stations de nombres destinées au réseau dont le Colonel Rudolf Abel / William Fischer avait la charge. Ces pièces à conviction ont contribué à sa peine de trente ans de prison.
1997 - The Cuban 5
Ces cinq agents cubains, intégrés au vaste réseau d'espionnage « WASP », ont été jugés et condamnés en 1997. Le procès des « Cuban 5 » est à ce jour le cas le plus emblématique de l'utilisation des stations de nombres comme média de transmission entre une base et ses agents en opération clandestine. Le FBI traquait depuis longtemps les « Spanish Ladies », ces stations de nombres émettant en langue espagnole que l'on entendait depuis plusieurs années sur la côte Est des USA et surtout en Floride. Vraisemblablement peu convaincus par l'utilité de leurs fonctions, les cinq agents cubains ont commis l'erreur d'utiliser un même masque jetable pour plusieurs messages. Lors de leur arrestation, un poste ondes courtes et des carnets de masques jetables sont trouvés dans leur habitation. Ces éléments ainsi que la surveillance constante du FBI ont conduit à l'arrestation et la condamnation des « Cuban 5 ».
2010 - The Russian 10
Ce réseau russe, baptisé « Illegals » et arrêté en 2010, comportait une dizaine d'agents reconnus coupables d'espionnage pour le compte du service de renseignement extérieur russe (FSB). L'acte d'accusation fait état de l'entraînement et la formation des agents à la cryptographie sur base des masques jetables et l'utilisation des ondes courtes. Plusieurs carnets de masques jetables ont été retrouvés dans les effets personnels de « Cynthia, élégante trentenaire avec un léger accent scandinave qui travaillait pour une banque à New York City ». Un parfum de guerre froide plane sur cette affaire, qui est pourtant révélatrice de l'utilisation actuelle des radios-espions.
Mais il y a pire. Certaines de ces émissions seraient liées au gouvernement. Oui, le même gouvernement qui engage des Hommes en Noir pour vous effacer la mémoire, qui emploie une subtile propagande, qui est infiltré de partout par des ennemis extérieurs. Le gouvernement, l'État y est impliqué. Havana Moon, désireux de prouver que bon nombre des Spanish Ladies, nom donné aux stations de nombres de langue espagnole captées aux USA, ne proviennent pas toutes de Cuba mais trouvent également leurs origines sur le territoire national, décide de parcourir Route 1 avec sa Chevrolet en suivant un signal radio qui le conduira à l'Air Force Station de Tequesta en Floride.
Je tiens enfin à signaler un dernier mystère lié à ces stations : le Buzzer, ou « Mais qui nourrit le chien ? ».
Localisée au nord-ouest de Moscou, dans une zone militaire classifiée pendant la guerre froide, cette station émet un bourdonnement similaire à une sirène ou une corne de brume 24h/24, 25 fois par minute sur 4625 MHZ depuis 1982. Vous pouvez l'écouter ici : https://soundcloud.com/walter-kurtz-2/the-buzzer-irdial .Malgré les demandes répétées d'informations, personne ne sait à ce jour à quelle fonction est destiné le « Buzzer ». Bien qu'il ne s'agisse pas d'une station de nombres classique, mais plutôt d'une « Noise Station », l'UVB-76 excite la curiosité de la communauté depuis plus de trente ans. En trente ans d'existence, l'émission continue du bourdonnement a été interrompue trois fois. Au cours de ces interruptions, dont la dernière date de juin 2010, des voix russes et des séries de chiffres ont été entendues. En 2011, une équipe de reporters russes s'introduit dans le bâtiment qui héberge l'émetteur du « Buzzer » et, constatant que celui-ci est désaffecté depuis deux ans, se pose les questions suivantes : pourquoi entend-on encore le « Buzzer » ? Quelle est sa localisation actuelle ? L'un de ces journalistes a même posé une interrogation tout à fait pragmatique, saisissant bien l'intensité dramatique du moment : « Mais qui nourrit encore le chien resté sur le site ? ».
- Sources :
Une station de nombres est une station radio d'origine incertaine émettant à haute fréquence des messages. Ceux-ci sont le plus souvent des suites de nombres ou de lettres, énoncées généralement par des voix artificielles, et ce, dans des langues très diverses. Parfois, les messages sont précédés d'un signal annonçant le début, par exemple « ¡Atención! », ou des paroles de chanson, etc. Après le message vient une annonce de fin de transmission, par exemple, le mot « fin », ou une variation quelconque selon la langue utilisée ou les lubies de l'émetteur. Bien entendu, l'origine de ces émissions est incertaine, voire inconnue.
Mais qui les envoie ? À qui cela est-il destiné ? Et surtout, la question la plus humaine du monde : Pourquoi ?
Les stations de nombres apparaissent comme aussi anciennes que la radio elle-même. Dès la Première Guerre Mondiale, des opérateurs ont capté de telles séries de nombre, sur des fréquences inusitées. Mais le nombre de témoignages a explosé durant la Guerre Froide. Rien d'étonnant me direz-vous, avec tous ces espions rouges. En 1971, Simon Mason, 14 ans, reçoit pour Noël un récepteur ondes courtes, et capte sa première station peu après. En 1978, Chris Smolinski en fait lui aussi la découverte. Parallèlement à l'augmentation de la fréquence de captation des stations, le nombre d'articles à ce sujet stagne à zéro, bien qu'une communauté dédiée se forme. Le "dirigeant" de celle-ci est un individu au pseudonyme étrange : Havana Moon, se révélant plus tard être William Thomas Godbey, un ancien agent de renseignement américain.
L'une première hypothèse sur l'origine de ces signaux veut qu'il s'agisse de résultats de loterie ou de bulletins météos quelconques. Mais cela ne tient pas debout : pourquoi ces émissions ne sont-elles pas répertoriées ? Pourquoi les instances de régulation ne les indiquent-elles pas ? Havana Moon commence alors à affirmer que certaines de ces émissions sont liées à la Colonie Dignidad, au Chili, ce qui a été confirmé par la suite. Cette Colonie Dignidad est une organisation caritative néo-nazie basée au Chili possédant un domaine d'activité de 3000 hectares. Le gouvernement chilien de l'époque fermait les yeux sur leurs activités, qui allaient de soins effectifs prodigués aux natifs du lieu à l'obligation pour les membres de la colonie de se reproduire pour former une race pure, etc. Bref, vous avez compris l'idée.
D'autres mystères suivent. Simon Mason fait état de faits extrêmement curieux liés à l'écoute des stations de nombres, comme cette émission en date du 3 septembre 1989 qui ne sera plus jamais entendue par la suite. Il en va de même pour la station de nombre baptisée « Jazz Player » introduite par un air de saxophone précédent une voix de femme égrenant les groupes de cinq chiffres et qui ne sera capté qu'une seule et unique fois malgré des années d'écoute dans le monde entier.
Le 20 septembre 1988, une voix synthétique féminine délivre son message chiffré. Pendant deux ans, personne n'entendra plus l'introduction musicale composée de trois notes dont les tonalités montent, et la radio « Three Note Oddity » cessera d'émettre. Simon Mason reviendra régulièrement sur la fréquence qui a délivré les groupes de cinq chiffres de la « Three Note Oddity ». Il est confronté au vide de la bande jusqu'au 30 septembre 1990, car ce dimanche voit la résurgence des trois notes sur la bande des ondes courtes, suivies du message chiffré identique point par point à celui entendu deux ans plus tôt. Vous pouvez l'écouter ici : https://www.numbers-stations.com/ns/german/g04/.
À cette suite d'énigmes, succèdent d'autres transmissions incompréhensibles, illogiques, incohérentes. Par exemple, les écouteurs nord-américains captent en 1990 une station de nombres affublée par cette même communauté du doux nom de « Bulgarian Betty ». Les séries de chiffres sont entendues sur 4030 & 4882.5 khz en russe, polonais, bulgare, serbo-croate et même en macédonien ! Vous pouvez l'écouter ici : https://www.numbers-stations.com/ns/slavic/s10/.
Les fréquences de la BBC sur les ondes courtes sont également « polluées » pendant la première guerre du Golfe. Une auditrice andorrane de la radio d'état britannique se plaint en effet de l'interférence causée par une voix de femme égrenant des séries de chiffre en lieu et place du bulletin d'information journalier. Cette dame demande ensuite à la BBC s'il aurait pu s'agir d'espionnage. La réponse avancée une tout autre explication : « Chère Madame, il s'agit de bulletins d'enneigement destinés à la maintenance des remontées mécaniques ».
Le Coup d'État avorté dans l'Union Soviétique d'août 1991 donne, lui, lieu à d'étranges diffusions d'une station de nombre qui a passé le même message durant 24h. Vous pouvez l'écouter ici : https://soundcloud.com/walter-kurtz-2/moscow-coup-attempt-irdial.
D'ailleurs, si vous voulez des enregistrements de telles émissions, vous en trouverez beaucoup ici : http://archive.org/details/ird059/. La piste 24 ainsi que la piste 131 sont en français.
Mais une hypothèse beaucoup plus « sérieuse », unifiant un peu toutes les théories précédentes, est apparue par la suite. Ces émissions seraient en fait des messages codés par des autorités ou des organisations quelconques, utilisant le principe de masque jetable pour rendre ces communications indécryptables. Pour faire court, quand vous chiffrez un message, vous pouvez remplacer des lettres par des nombres, suivant un certain code (le codage le plus simple est de remplacer A par 1, B par 2, etc). Un masque jetable est un code aléatoire : on associe à la première lettre du message un nombre, à la deuxième lettre du message un autre, etc, puis on donne en main propre le code au récepteur, code valable pour un unique message. Cela garantit que le code, s'il n'est pas volé au récepteur, est incassable.
Cependant, une donnée handicape cette théorie : pourquoi les nombres sont-ils souvent envoyés par paquets de 5 si les émetteurs sont réellement aussi divers que ce qu'on veut bien croire ? Et pourquoi transmettre tous les jours, tous les mois, toutes les semaines des messages semblables ? Dans tous les cas, on peut toujours sauver cette explication en se disant que la masse de ces messages est juste une transmission vide de sens, visant seulement à garder un contact quelconque, avec parfois une information importante pouvant passer, codée comme nous l'avons expliqué.
Ce qui est très amusant est la réaction des autorités lorsqu'on leur en parle. Voici un exemple. Andy Tower, porte-parole de la Chambre de Commerce et d'Industrie, qui régule les télécommunications en Angleterre, déclare en 1998 au Daily Telegraph : « Ces stations de nombres sont ce que vous supposez qu'elles sont. Les auditeurs ne devraient pas avoir de fantasmes sur elles. Elles ne sont pas faites pour une écoute publique. » En 2000, John Winston, assistant chef de la Commission Fédérale des Communications aux États-Unis, résume en ces termes sa position au sujet des stations de nombres dans l'émission radio All thing Considered : « Nous n'avons pas l'intention de discuter de ces stations, si seulement elles existent... Cela ne veut pas dire que j'admets le fait que des stations de nombres émettent depuis ce pays, même si vous affirmez le contraire. Nous en connaissons un grand nombre, mais à l'extérieur du pays. » Pour résumer, circulez, y'a rien à voir. Pourtant, cela peut concerner les simples citoyens, a priori. Ces émissions ne sont pas toujours inoffensives. Une station a par exemple interféré avec le trafic aérien à 6577 kHz, une fréquence réservée aux communications aéronautiques internationales dans le secteur des Caraïbes. Cela s'est répété plusieurs fois. À un moment, le contrôleur aérien de l'ARINC a même été contraint d'utiliser une autre fréquence car les transmissions de nombres bloquaient totalement les autres messages. Le site émetteur a été identifié comme étant Guineo, à Cuba, lié au Renseignement Cubain.
On pense que la dernière hypothèse serait la plus plausible. En effet, certains enregistrements de stations de nombres ont été utilisées comme pièces à conviction dans des procès.
1957 - Rudolf Abel aka William Fischer
L'histoire de William Fischer est un roman. Agent du KGB, il a opéré sur le sol des USA de 1948 jusqu'à son arrestation en 1957 sous une identité usurpée à un autre agent du KGB décédé : Rudolf Abel. C'est une pièce de monnaie creusée qui a été à l'origine de la chute de ce chef de réseau. À l'intérieur de celle-ci ont été introduits des masques jetables microfilmés qui ont permis au FBI de remonter jusqu'à William Fischer. Grâce à cette découverte, le contre-espionnage US a pu repérer et écouter les stations de nombres destinées au réseau dont le Colonel Rudolf Abel / William Fischer avait la charge. Ces pièces à conviction ont contribué à sa peine de trente ans de prison.
1997 - The Cuban 5
Ces cinq agents cubains, intégrés au vaste réseau d'espionnage « WASP », ont été jugés et condamnés en 1997. Le procès des « Cuban 5 » est à ce jour le cas le plus emblématique de l'utilisation des stations de nombres comme média de transmission entre une base et ses agents en opération clandestine. Le FBI traquait depuis longtemps les « Spanish Ladies », ces stations de nombres émettant en langue espagnole que l'on entendait depuis plusieurs années sur la côte Est des USA et surtout en Floride. Vraisemblablement peu convaincus par l'utilité de leurs fonctions, les cinq agents cubains ont commis l'erreur d'utiliser un même masque jetable pour plusieurs messages. Lors de leur arrestation, un poste ondes courtes et des carnets de masques jetables sont trouvés dans leur habitation. Ces éléments ainsi que la surveillance constante du FBI ont conduit à l'arrestation et la condamnation des « Cuban 5 ».
2010 - The Russian 10
Ce réseau russe, baptisé « Illegals » et arrêté en 2010, comportait une dizaine d'agents reconnus coupables d'espionnage pour le compte du service de renseignement extérieur russe (FSB). L'acte d'accusation fait état de l'entraînement et la formation des agents à la cryptographie sur base des masques jetables et l'utilisation des ondes courtes. Plusieurs carnets de masques jetables ont été retrouvés dans les effets personnels de « Cynthia, élégante trentenaire avec un léger accent scandinave qui travaillait pour une banque à New York City ». Un parfum de guerre froide plane sur cette affaire, qui est pourtant révélatrice de l'utilisation actuelle des radios-espions.
Mais il y a pire. Certaines de ces émissions seraient liées au gouvernement. Oui, le même gouvernement qui engage des Hommes en Noir pour vous effacer la mémoire, qui emploie une subtile propagande, qui est infiltré de partout par des ennemis extérieurs. Le gouvernement, l'État y est impliqué. Havana Moon, désireux de prouver que bon nombre des Spanish Ladies, nom donné aux stations de nombres de langue espagnole captées aux USA, ne proviennent pas toutes de Cuba mais trouvent également leurs origines sur le territoire national, décide de parcourir Route 1 avec sa Chevrolet en suivant un signal radio qui le conduira à l'Air Force Station de Tequesta en Floride.
Je tiens enfin à signaler un dernier mystère lié à ces stations : le Buzzer, ou « Mais qui nourrit le chien ? ».
Localisée au nord-ouest de Moscou, dans une zone militaire classifiée pendant la guerre froide, cette station émet un bourdonnement similaire à une sirène ou une corne de brume 24h/24, 25 fois par minute sur 4625 MHZ depuis 1982. Vous pouvez l'écouter ici : https://soundcloud.com/walter-kurtz-2/the-buzzer-irdial .Malgré les demandes répétées d'informations, personne ne sait à ce jour à quelle fonction est destiné le « Buzzer ». Bien qu'il ne s'agisse pas d'une station de nombres classique, mais plutôt d'une « Noise Station », l'UVB-76 excite la curiosité de la communauté depuis plus de trente ans. En trente ans d'existence, l'émission continue du bourdonnement a été interrompue trois fois. Au cours de ces interruptions, dont la dernière date de juin 2010, des voix russes et des séries de chiffres ont été entendues. En 2011, une équipe de reporters russes s'introduit dans le bâtiment qui héberge l'émetteur du « Buzzer » et, constatant que celui-ci est désaffecté depuis deux ans, se pose les questions suivantes : pourquoi entend-on encore le « Buzzer » ? Quelle est sa localisation actuelle ? L'un de ces journalistes a même posé une interrogation tout à fait pragmatique, saisissant bien l'intensité dramatique du moment : « Mais qui nourrit encore le chien resté sur le site ? ».
Photo aérienne du lieu source du « Buzzer »
- Sources :
- ArteRadio, Station de nombres Une de Philippe Baudouin, https://www.arteradio.com/son/616350/station_de_nombres, consulté le 13/01/2020.
- Encyclopédie du paranormal, Station de nombres, http://www.paranormal-encyclopedie.com/wiki/Articles/Station_de_nombres, consulté le 12/01/2020.
- Internet Archive, The Conet Project - Recordings of Shortwave Numbers Stations [ird059], https://archive.org/details/ird059/, consulté le 13/01/2020.
- Laspirale.org, Number station, the sound of the underworld, https://laspirale.org/texte-466-number-stations-the-sound-of-the-underworld…, consulté le 11/01/2020.
- Number&oddities, http://www.numbersoddities.nl/havana.html, consulté le 13/01/2020.et http://www.numbersoddities.nl/unodoscuatro.pdf, consulté le 13/01/2020
- Number station, research and information center, Number station listener starter's guide, https://www.numbers-stations.com/articles/numbers-stations-listener-starter…, consulté le 10/01/2020.
- Soundcloud, https://soundcloud.com/walter-kurtz-2/attencion-3-finals-irdial, consulté le 12/01/2020, https://soundcloud.com/walter-kurtz-2/moscow-coup-attempt-irdial, consulté le 12/01/2020.
Cet article inaugure un nouveau format expérimental que vous allez pouvoir retrouver grâce au nouveau libellé correspondant. Les fiches M sont là pour vous rappeler que l'on ne sait jamais si les creepypastas sont vraies ou fausses, parfois on trouve facilement, parfois non, mais en tout cas l'horreur existe tant dans l'esprit tordu de certains auteurs qu'à 50 mètres de chez vous. N'hésitez pas à nous faire un retour sur cette nouvelle forme de creepypastas et à nous indiquer si vous en souhaitez davantage !
Le creepy est bien plus proche de nous que ce que nous pensons.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJ'aime bien ce nouveau concept. Peut-être percerons nous ce mystère des stations de nombres un jour... un sujet passionnant en tout cas. J'ai bien aimé.
RépondreSupprimerSympa ça et ça permet de laisser le doute sur sa veracité
RépondreSupprimerC'est véridique, hein: https://fr.wikipedia.org/wiki/Station_de_nombres
SupprimerC’était super intéressant, merci !
RépondreSupprimerCe nouveau format est super, en plus il fait vraiment peut étant donné qu'on ne peut pas vérifier le vrai et le faux ;^;
RépondreSupprimerPeur'
SupprimerC'est sympa, non seulement c'est tout à fait réel mais en plus c'est authentiquement bizarre et inquiétant, comme truc... Je ne connaissais pas du tout
RépondreSupprimerJe suis fan du concept ! Et j'avais déjà entendu parler de ces émissions fantômes sans vraiment m'y intéresser. Mais la ça donne envie d'en savoir plus !
RépondreSupprimerY a t’il eu a votre connaissance des analyses des différents sons de ces radio ?
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