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dimanche 18 août 2013

La chose dans les champs


Temps approximatif de lecture : 6 minutes. 

Quand j’étais jeune, je vivais dans une ferme dans l’Oregon rural avec mes parents. J’étais fils unique. Nous n’étions pas une ferme très productive commercialement, seulement une entreprise familiale. Nous avions cinq vaches, trois chevaux, un petit troupeau de chèvres, deux chiens, et un poulailler. Nous avions aussi des canards indiens que nous gardions plus comme animaux domestiques. Nous n’avions pas beaucoup d’argent, juste assez pour prendre soin des animaux et un peu pour nous. Assez d’argent  pour prendre des vacances décentes chaque année. Papa avait un autre travail à la ville, en tant qu’agent d’assurances. Il était en fait le seul de la région, la ville ne comptant que 1500 habitants. Maman donnait des cours de cheval. Nous n’étions pas riches, mais nous n’étions pas pauvres pour autant.

C’était vraiment une vie agréable (enfin, elle aurait pu être pire), j’allais à l’école, Papa travaillait, Maman prenait soin des animaux, enfin nous dînions ensemble chaque soir, et j’allais au lit pendant que Maman et Papa prenaient une bière en regardant le journal télévisé. Quelquefois, la nuit, j’entendais des choses au-dehors. Des bruits normaux. Les vaches ou les chevaux qui étaient effrayés par un coyote, ou alors j’entendais les chiens chasser les lapins, arrachant leurs têtes. Certaines fois, on trouvait un poulet mort. Papa me le disait tout le temps, mais ne me montrait jamais le corps, malgré mes demandes fréquentes. Il voulait nous garder Maman et moi à l’intérieur le temps qu'il s'en occupe, faisant on-ne-sait-quoi du corps, jetant de la sciure sur le sang, puis la vie reprenait son cours. Je supposais que c’étaient des renards, j’en avais vu hors du champ quelquefois, rodant autour dans les herbes hautes.


L’été de mes dix ans, je me rappelle avoir aidé Maman à changer la paille dans l’écurie, quand j’ai entendu un énorme vacarme au-dehors. Si vous n’avez jamais entendu un cheval en train de souffrir, ce n'est pas quelque chose dont vous avez envie, croyez-moi. Ça ressemble exactement à une personne en train de hurler. Eh bien, c’est ce que nous avons entendu, et un de nos chevaux est venu en courant dans la grange avec une plaie sur la cuisse gauche. Quatre longues marques, comme des griffes, parcouraient son corps depuis son sabot. Un flot de sang coulait de son corps. J’étais terriblement effrayé par tout ce sang, tandis que Maman enfermait le cheval dans un box et m’entraînait dedans avec un des chiens. Elle  m’a dit de fermer la porte et de rester dedans tant qu’elle ne reviendrait pas. Ce que j'ai fait.


Bien sûr, Maman est revenue et m'a dit que le cheval s’était blessé lui-même sur un barbelé qui s’était détaché dans le champ, nous avions plus d’hectares avant ça, mais c’était principalement de la forêt. Je crois que je l’avais crue à l’époque mais, au dîner, j’ai noté que Papa était particulièrement silencieux et Maman parlait plus que d’habitude. Elle était vraiment agitée, et j’ai remarqué que Papa avait sorti son fusil et l’avait posé près de la porte de derrière. Normalement, il le sortait uniquement lorsque les coyotes devenaient trop envahissants.


Cette nuit je suis allé, au lit comme d’habitude, mais j’ai eu du mal à m’endormir. J’ai allumé ma lampe de chevet et décidé de lire une BD jusqu’à ce que je sois fatigué. Il me semble que je lisais X-Men, lorsque j’ai entendu la porte de derrière s’ouvrir. Regardant par la fenêtre, j’ai vu mon père sous le porche en train de fumer une cigarette en tenant son fusil sous le bras. Il a commencé à marcher autour de la route, puis à suivre la clôture. Je ne pouvais pas dormir avant de savoir Papa de retour hors de danger. Je suis descendu avec pour excuse d’avoir soif si Papa rentrait plus tôt que prévu, et j’ai vu Maman assise sur le sofa du salon, regardant la télé d’un air vide. Elle semblait préoccupée, soupirant de temps en temps. Le temps a passé, et il était presque 4 heures du matin je crois, quand Papa est rentré. J’étais si fatigué que je me suis endormi aussitôt que je l'ai su. Il ne m’a jamais dit ce qu’il avait fait cette nuit, mais je ne lui ai jamais demandé.


Deux mois plus tard, j’étais de retour à l’école. Il pleut énormément en Oregon à l’automne, et ce jour ne faisait pas exception. Tout ce que j’entendais depuis ma chambre était la pluie tapant sur le sol et sur le toit en aluminium du poulailler. Il y avait de l’orage au loin, mais il se rapprochait. Je crois avoir entendu un coyote japper près du garage, ou alors c’était un des chiens. J’ai regardé au-dehors, plissant les yeux pour mieux voir. Dans un bref instant d’éclair, j’ai vu quelque chose. Ça ressemblait à une personne, mais recroquevillée et avec un long torse. C’était grand, plus grand que Papa, qui faisait un bon mètre quatre-vingt, tout au plus. À peine avais-je aperçu cette chose qu’elle avait disparu. Je ne l'ai plus revue de la nuit.


Il y a eu un autre poulet mort le lendemain. Le troisième en à peine quelques semaines. J’ai dit à Papa ce que j’avais vu la nuit précédente, et soudain sa face à blêmi, avant qu'il ne me dise que la tempête m’avait sûrement joué des tours. Je l’ai cru.


Quatre mois plus tard, nous perdions une vache. C’était au milieu de la nuit, et nous nous sommes levés en même temps. Il y avait beaucoup de bruit dans le champ, mais ça s’est vite arrêté. Le cri d’un animal mourant, et un hurlement primitif, guttural, que je n’avais jamais entendu avant. Papa a couru dans ma chambre, je pouvais l’entendre gravir les escaliers. Il avait son fusil dans une main, et il a ouvert ma porte. Il a vu que j’étais déjà levé et m’a dit de rester à l’intérieur, peu importe ce qui arriverait, et d’essayer de me rendormir. Je ne crois pas avoir besoin de le dire, mais je ne pouvais juste pas ; mais je suis resté dans ma chambre avec une couverture sur mes épaules, en regardant par la fenêtre. Dix minutes plus tard, j’ai entendu tirer dans le champ. Je ne savais pas sur quoi il tirait, ni ce qui avait attaqué la vache, ni ce qu’elle était devenue.


Papa n’a jamais rien dit à propos de cette nuit. J’ai su plus tard ce qui était arrivé à la vache, je l’ai trouvée gisant sur le sol, le sang coulant de son ventre ouvert. Les coups que j’ai entendus, c'était Papa qui tirait dans la tête de la vache encore vivante pour abréger ses souffrances.


Ça a continué comme ça. Pendant des années. Un poulet ou un canard mort ici et là. Quelque chose de plus gros rarement. Ça semble absurde mais c’est vite devenu habituel. Je guettais souvent la bête, mais ça me terrifiait. C’est arrivé au milieu de la journée, au cours d’un long week-end quand mes parents se sont absentés pour aller voir mon oncle à Seattle, qui était malade.


C’était un samedi après-midi, j’avais 17 ans. J’étais dehors près de la grange en train de nourrir les chiens et les chevaux. Les chevaux couraient et les chiens dormaient paisiblement dans un coin. J’ai entendu quelque chose qui bruissait dans les hautes herbes hors du champ. Les chiens ont regardé tout autour d'eux, mais n'ont rien semblé trouver d’anormal. J’ai supposé que c’étaient les chevaux qui attendaient que je quitte le champ pour les laisser manger. Quelques minutes plus tard, j’ai entendu un souffle. Je me suis retourné...

Et c’était devant la porte. Aussi grand que voûté. Le soleil ruisselait sur lui, révélant toute la poussière dans l’air autour, comme un halo malsain. Il me regardait. Me considérait. Peut-être était-il en train de réfléchir à si j’étais ou pas de la nourriture. Je me rappelle avoir sué, couru encore et encore, tournant autour de la maison, ne pensant même pas. La panique me faisait courir vite. Il était derrière moi, ne respirait même pas fort. J’entendais ses pieds toucher le sol à un rythme constant. J’ai ouvert la porte de la maison, l'ai claquéei derrière moi et l'ai verrouillée aussi vite que possible. J’ai fait le tour de la maison, fermé chaque porte ainsi que les rideaux de chaque fenêtre. Je pouvais l’entendre gronder depuis la porte de derrière. Les chiens aboyaient après lui, mais ne voulaient pas l’attaquer. Il était énorme, et ils le savaient. Il a rugi sur les chiens et ils se sont cachés dans le champ.


Je suis allé dans la chambre de mes parents et ai attrapé le fusil de mon père. Je l’ai chargé, me suis positionné sur  une chaise qui faisait face à la porte de derrière, et j’ai attendu. Il a commencé à rôder autour de la maison, je pouvais entendre ses pieds crisser sur le gravier du chemin et sur les planches du pont. Il a continué de faire le tour plusieurs fois. J’ai voulu regarder par une fenêtre, mais j’étais trop effrayé. Après des heures à prier pour qu’il s’en aille, le soleil s'est couché. J’ai allumé toutes les lumières au-dehors et suis monté dans ma chambre. J’ai ouvert ma fenêtre, le fusil en main, espérant avoir assez de courage pour tuer cette chose. Je l’ai vue tapie juste devant la lumière du porche. Il avait de longs bras tendineux, et marchait genoux pliés. Il était devant le poulailler. Ensuite, il a disparu de ma vue. J’ai entendu les poulets gratter et hurler. La chose est réapparue avec un poulet mort dégoulinant de sang dans ses mains. Il a arraché une des ailes avec ses mâchoires d’où coulait un filet de bave immonde et a laissé tomber le cadavre à ses pieds. Ensuite, il m’a regardé. Ses yeux pénétraient les miens. Il s’est retourné soudain, encore vers les poulets. Il est revenu avec un autre oiseau, qu’il a mutilé devant moi, et l’a lâché. Il a recommencé encore et encore. J’aurais dû l’abattre, mais j’étais abasourdi et confus, en train de me demander pourquoi il faisait ça. Puis j'ai brusquement compris : c'était une démonstration de force. Il me montrait qu’il était plus fort que moi. Il pouvait faire ce qu’il voulait, je ne pouvais pas l’arrêter. Je me sentais impuissant et écœuré à la fois. Impuissant, parce que c’était ce que j’étais. Ecœuré, parce que j’ai mis un temps incroyable à réaliser son intelligence. La lutte m'a sorti de ma torpeur et je me suis rappelé de mon fusil. Il est retourné vers les poulets, et j’ai décidé que je tenterais ma chance lorsqu'il reviendrait.


Il est revenu sur le porche. Presque arrogant, marchant sur ses genoux pliés avec ses bras si longs que les poulets traînaient pratiquement sur le sol, il était là. J’ai monté le fusil vers mon œil, et ai essayé de me calmer. Mon cœur battait si fort que je pouvais voir le fusil trembler. J’ai visé sa bouche juste avant qu’il mette un poulet dedans, j’ai pressé sur la gâchette. Le craquement de la balle le traversant a résonné dans la nuit calme, juste avant qu’il ne hurle. Un hurlement de souffrance, pour la balle qui avait atterri dans son épaule. Il a fui dans la nuit. Je ne l’ai plus revu.


Mais il était encore là. Il a continué à tuer des poulets, et d’autres choses. Plus souvent que jamais.


J’écris tout ça parce que mes parents sont morts il y a trois semaines. Ils ont étés tués dans une collision avec un conducteur ivre. Lui a survécu. Ils m’ont laissé la ferme, et j’ai l’intention de vivre ici avec ma propre famille. J’ai aujourd'hui 32 ans, et je travaille maintenant dans un salon de jeu à Salem. Je suis marié à une magnifique femme nommée Stéphanie. Nous avons un fils, Zachary, qui a 4 ans. Nous attendons une fille dans 4 mois. Je suis allé à la ferme tout seul aujourd’hui, j’ai dit à ma femme que j’avais besoin d’être seul quelques minutes dans la maison de mes parents. Elle est très compréhensive.


Je suis revenu réclamer ce qui me revient de droit. J’ai le fusil de mon père près de moi sur la table et il fait sombre. J’ai aussi amené des lampes torches, et mon propre pistolet. Quand j’aurai fini d’écrire ceci, je l’imprimerai et le laisserai sur la table du salon, avec ma bague de mariage et la clé de la boîte où est rangé mon testament. Tout est prêt.


Steph, juste au cas où tu as le malheur de trouver ceci, sache que te laisser seule me fait plus mal que n’importe quoi d’autre sur cette terre, tu sais que je t’aime plus que tout et j’espère que tu comprends que je fais ça pour ton bien. Zachary, je t’aime et j’espère que tu grandiras en devenant quelqu’un de bien, de courageux et de généreux comme ton grand-père l’était. À ma fille qui n’est pas encore née, si je ne vis pas assez longtemps pour te connaître, ce sera mon plus grand regret.


Dites-le à la police, au salon de jeu, à tout le monde qui me connaît. Faites que ça se sache. Quelqu’un finira par le tuer, même si ce n’est pas moi. 

Adieu.

Ce texte a initialement été réalisé par Snake973 sur Creepypasta.org, et constitue sa propriété. Toute réutilisation, à des fins commerciales ou non, est proscrite sans son accord. Vous pouvez tenter de le contacter via le lien de sa création. L'équipe du Nécronomorial remercie également Teru_Sama qui a assuré sa traduction de l'anglais vers le français à partir de l'originale, Tripoda et Chucky qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et Magnosa qui s'est chargé de la correction et la mise en forme. 

8 commentaires:

  1. Waouh ! Excellente creepypasta ! La chute est excellente au tant que le reste de l'histoire !

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  2. En effet, super histoire ! La mise en place, la façon dont c'est raconté, les personnages, personnellement rien à redire... Bon, allez, une: quand le monstre tue les poules une par une, notre héros est un peu lent à la détente.
    Elle me rappelle d'ailleurs beaucoup une autre pasta sur ce site, où le cadre est le même (je ne me rappelle plus de son titre :( ). Serais-ce la même créature ?

    VB

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    1. tu parle peut-être de la chose qui traque dans les champs?

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  3. Super pasta!!!!!
    Cadre original,bien raconte sans fioritures parasites,bon personnage et grosse ambiance pesante d'un souvenir d'enfance genre secret familial!!!!!
    Le cocktail parfait pour une très bonne pasta et c'est le cas!!

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  4. Ça me saoule les gens qui commentent "pas compris". J'ai découvert ce site il y a peu et entreprends de tout lire (ainsi que les commentaires) et je remarque qu'il y a au moins un commentaire de ce genre par pasta... faites fonctionner vos cerveaux, zut!

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  5. Très bonne pasta !

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  6. Ce qui est cool, c'est que quand le narrateur a tiré sur la chose, elle s'est mise à hurler. Ça veut donc dire qu'elle peut être tuer avec une arme classique.

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